13 mai 2024 | tiré d’Inprecor | Photo : Des personnes font la queue pour entrer dans un bureau de vote vers midi, le dernier jour de l’élection présidentielle à Moscou, en Russie. « Pourquoi je suis là ? Je pense que tout le monde sait pourquoi je suis là ! » © Maxim Shemetov/Reuters.
Le groupe terroriste État islamique de la province de Khorasan (ISIS-K) a revendiqué la responsabilité de l’attentat, au cours duquel un groupe de terroristes a tué et blessé des centaines de personnes qui assistaient à un concert de rock dans la banlieue de Moscou. Des responsables américains ont également attribué la responsabilité de l’attentat à ISIS-K. Mais le président Poutine et d’autres responsables russes ont fait des déclarations prétendant que l’Ukraine était impliquée dans l’attentat – une manœuvre destinée à détourner l’attention de l’échec de son régime à empêcher l’attaque, et à attiser le soutien à l’escalade de sa guerre impérialiste.
Tout ceci se déroule au lendemain de l’élection présidentielle russe, truquée, au cours de laquelle tous les candidats de l’opposition ont été interdits et où Poutine a remporté une victoire écrasante. Son nouveau mandat devant durer jusqu’en 2030, il deviendra le dirigeant du pays à la plus grande longévité depuis le dictateur soviétique Joseph Staline. Présentant l’élection comme une confirmation du soutien populaire à son régime, Poutine est prêt à consolider son pouvoir réactionnaire en Russie et à étendre sa guerre impérialiste en Ukraine.
Dans l’entretien ci-dessous, le socialiste russe Ilya Budraitskis partage ses réflexions sur l’attaque terroriste, l’élection, le pouvoir de Poutine, la nature du régime de Poutine et la trajectoire de la guerre.
Que s’est-il passé lors de l’horrible attentat terroriste de Moscou ? Qui en est à l’origine ? Comment les autorités russes et Poutine ont-ils réagi ? Comment vont-ils utiliser l’attentat en Russie et dans leur guerre impérialiste contre l’Ukraine ?
Un groupe de terroristes est entré dans Crocus City, une salle de concert à Moscou, armé de mitrailleuses et d’engins explosifs. Ils ont attaqué les gardes de sécurité privés, tiré sur les personnes présentes et déclenché leurs engins, déclenchant un incendie et tuant au moins 133 personnes et en blessant plus de 100.
Les forces de sécurité russes ont arrêté 11 personnes, dont quatre qui tentaient de fuir le pays vers le Belarus ou l’Ukraine. Ces quatre personnes étaient des travailleurs migrants originaires du Tadjikistan, une république d’Asie centrale et une ancienne république soviétique. Ils ont avoué avoir commis l’attentat, affirmant qu’ils avaient reçu 5 000 dollars pour le mener à bien.
Immédiatement après l’attentat, sans la moindre preuve, les responsables russes et les médias ont accusé l’Ukraine et ont même laissé entendre que les États-Unis étaient impliqués 1 . Poutine a retardé son intervention publique dans l’espoir de trouver ou de fabriquer des preuves à utiliser contre l’Ukraine.
Lorsqu’il s’est exprimé à la télévision nationale (2), vingt heures plus tard, il a affirmé que l’Ukraine essayait d’aider les terroristes à fuir la Russie. Les commentateurs des médias officiels russes ont également dénoncé les travailleurs migrants issus d’Asie centrale, comme s’ils partageaient une sorte de culpabilité collective pour l’attentat.
Aucune de ces accusations n’est crédible. Juste après l’attaque, les porte-paroles ukrainiens ont nié toute implication et ont averti que Poutine blâmerait l’Ukraine et encouragerait le soutien à sa guerre. Il est évident que l’attaque contre les migrants n’est que racisme et xénophobie.
En ce qui concerne les allégations contre les États-Unis, Washington avait en fait informé la Russie d’une attaque imminente d’ISIS-K, une branche d’ISIS basée en Afghanistan, qui a ciblé la Russie 2 parce que celle-ci a décimé ses forces en Syrie et soutenu le dictateur du pays, Bachar el-Assad. Depuis l’attentat, Washington a accusé ISIS-K de l’avoir perpétré.
Ce groupe a effectivement revendiqué l’attentat 3 , et il est probablement le coupable. ISIS-K a pu passer par l’Afghanistan et le Tadjikistan voisin pour s’assurer les services des auteurs de l’attentat.
Poutine a d’abord rejeté les avertissements de Washington en les qualifiant de désinformation et d’alarmisme. Ses forces de sécurité ont toutefois arrêté plusieurs personnes accusées d’être des agents d’ISIS. Mais il est clair qu’elles n’ont pas pris l’avertissement au sérieux, qu’elles n’ont pas éliminé tous les agents d’ISIS à Moscou et qu’elles n’ont pas réussi à empêcher l’attentat.
Néanmoins, Poutine a persisté à essayer d’incriminer l’Ukraine. Il est clair qu’il a l’intention d’instrumentaliser l’attaque pour justifier la répression intérieure et la guerre impérialiste en Ukraine.
C’est ainsi qu’il a réagi à de précédents attentats terroristes. Par exemple, lorsque des militants tchétchènes se sont emparés d’une école à Beslan 4 et ont pris plus de 1 100 otages, il a inconsidérément lancé un raid sur l’école, entraînant la mort de centaines de personnes, mettant un terme aux élections démocratiques des gouverneurs régionaux et aggravant considérablement la guerre en Tchétchénie.
Je prédis que Poutine suivra le même scénario aujourd’hui. Il adoptera de nouvelles mesures répressives, non seulement à l’encontre des terroristes présumés, mais aussi de toute dissidence face à son pouvoir en Russie. Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité, a déjà proposé de rétablir la peine de mort.
Il est probable que Poutine attise également le soutien patriotique en faveur d’une éventuelle nouvelle offensive en Ukraine. Il pourrait ainsi aggraver cette tragédie par la répression à l’intérieur du pays et par la mort et la destruction à l’extérieur.
Passons maintenant aux résultats des élections russes. Ils sont, bien sûr, sans surprise. Poutine a obtenu 87 % des voix. Étant donné que l’opposition a été écrasée et que les candidats anti-guerre ont été interdits, comment devons-nous comprendre ce résultat (6) ? Dans quelle mesure ce résultat reflète-t-il le soutien populaire au régime, dans quelle mesure est-il le résultat d’un soutien forcé et dans quelle mesure est-il le résultat d’un acquiescement passif ?
Les résultats de l’élection sont en effet sans surprise. Comme tous les autres dans la carrière de Poutine, ce résultat était réglé d’avance et truqué. Mais cette fois-ci, il y a des différences. Il a obtenu un score de niveau nord-coréen, ce qu’il n’avait jamais obtenu par le passé.
En 2000, lorsqu’il a été élu pour la première fois à la présidence, il n’a obtenu que 52 % des voix (7). Lors d’autres élections, c’était moins de 70 %, et lors de la dernière en 2018, il a recueilli 76 % des voix (8).
Pour obtenir 87 % des voix, il a abandonné tout semblant de démocratie. Son régime a organisé l’une des élections les plus falsifiées de l’histoire (9). C’est la conclusion partagée par la plupart des analystes des élections russes (10), à l’exception des soutiens au régime et ses apologistes.
Le niveau de falsification défie toute concurrence : ils ont falsifié les résultats, en publiant des chiffres qui ne correspondaient pas à la réalité. Pour permettre ce trucage des élections, Poutine a détruit toute l’infrastructure des observateurs indépendants.
Par exemple, le régime a interdit l’organisation non gouvernementale Golos (« Voix ») (11), qui avait été la principale organisation à former des observateurs électoraux indépendants. La plupart de ses organisateurs ont été emprisonnés ou chassés du pays.
En conséquence, Poutine a eu les coudées franches pour produire un résultat électoral en totale contradiction avec les sondages pré-électoraux indépendants. Selon l’un d’entre eux (12), seuls 50 % des électeurs ont déclaré avoir l’intention de voter pour Poutine.
Par ailleurs, 40 % des personnes interrogées ont déclaré ne pas savoir pour qui elles allaient voter ou n’ont pas souhaité exprimer publiquement leur préférence. Il est donc clair qu’il ne bénéficie pas du soutien de 87 % de la population russe.
Ce qu’il faut comprendre de cette soi-disant élection, c’est qu’elle était planifiée et contrainte. Par exemple, les employeurs, en particulier dans le secteur public, ont non seulement exigé de leurs employés qu’ils votent, mais aussi qu’ils partagent une photo de leur bulletin de vote.
Évidemment, ils étaient menacés, s’ils ne votaient pas pour Poutine, de perdre leur emploi. L’élection a donc été le produit d’une combinaison dystopique d’une dictature totalitaire extrême et d’un capitalisme de surveillance. En ce sens, il n’y a pas lieu de parler d’élection.
Poutine s’en sert déjà pour consolider son emprise idéologique sur la société russe, en présentant les résultats comme la confirmation que tout le monde est à l’unisson de son projet national et impérial.
Dans les régions occupées de l’Ukraine, les élections ont été encore plus truquées et les résultats sont surréalistes (14). Dans la soi-disant République populaire de Donetsk, 95 % des électeurs ont soutenu Poutine (15). Les forces d’occupation ont fabriqué ce résultat sous la menace des armes (16).
Le résultat le moins crédible de tous est la « victoire » de Poutine à Avdiivka, une ville qui vient d’être détruite par l’armée russe, qui en a chassé la majeure partie de la population. Néanmoins, il a obtenu un soutien massif dans la ville.
Tant en Russie qu’en Ukraine occupée, cette élection était un simulacre. Les résultats sont le fruit de la coercition et de la falsification systématique.
Juste avant l’élection, Poutine a fait tuer Alexeï Navalny pour envoyer un signal à l’opposition nationale et internationale à son régime. Néanmoins, sa veuve, Ioulia Navalnaya, a appelé à des protestations dans les urnes. Quelle a été leur ampleur ? Quelle est leur importance ?
L’appel de Ioulia Navalnaya, que j’ai totalement soutenu, n’a jamais été conçu pour influencer le résultat de l’élection, qui, comme je l’ai dit, était complètement prédéterminé par le régime. L’idée était plutôt d’en profiter pour mobiliser l’opposition politique.
Rappelons que tout rassemblement public non autorisé a été interdit et que toute dissidence politique, en particulier contre la guerre en Ukraine, a fait l’objet d’une répression brutale (17). Un nombre incalculable de personnes ont été jetées dans les prisons de Poutine.
Navalnaya a profité de la pression du régime pour que tout le monde vote pour appeler l’opposition à se rendre aux urnes à midi, le 17 mars. Le résultat a été étonnamment favorable, un grand nombre de personnes ayant répondu à l’appel (18).
Les autorités russes ont eu très peur de cette protestation programmée. Dans les jours précédant l’élection, elles ont demandé à de nombreuses personnes de se présenter à des postes de police et ont menacé de les arrêter et ou de leur faire payer des amendes pour action de masse illégale si elles agissaient.
En outre, ils ont supprimé les informations relatives à l’appel. Il ne faut pas oublier que tous les sites web de l’opposition, comme Meduza, ont été bloqués. Néanmoins, selon un sondage indépendant, près d’un quart des Russes avaient entendu parler de l’action.
Bien sûr, les chiffres qui ont été publiés étaient loin d’atteindre ce pourcentage. Mais le fait que les gens soient venus en grand nombre démontre l’opposition à Poutine et à sa guerre impérialiste en Ukraine.
Les capacités de résilience du régime de Poutine et du capitalisme russe sont surprenantes, face à la guerre, à la tentative de coup d’État d’Evgueni Prigojine (19) et aux sanctions occidentales. Comment l’expliquez-vous ?
La principale raison de la stabilité économique de la Russie est son industrie pétrolière. Elle n’est pas sanctionnée 5 et, comme le prix du pétrole reste très élevé, la Russie a pu maintenir sa croissance économique et sa rentabilité.
Dans le même temps, le prix de la guerre est très élevé. On estime que l’armée absorbe environ 40 % du budget du régime (21). Cette économie de l’armement peut également alimenter la croissance, en particulier chez les fabricants d’armes, au cours des deux prochaines années, mais de telles dépenses ne sont pas viables à long terme 6 .
Cette économie pétrolière et guerrière n’a pas modifié le modèle économique néolibéral de Poutine. Il y a eu quelques nationalisations temporaires d’entreprises, mais les actifs saisis ont été rapidement vendus à d’autres propriétaires fidèles au régime.
En ce sens, il n’y a pas eu de nationalisation au sens traditionnel du terme. Il s’agissait simplement d’une redistribution de la propriété7 . Cela a entraîné une certaine recomposition de la classe dirigeante russe, mais sans modifier sa structure fortement privée.
Poutine a également utilisé la guerre pour s’assurer le soutien de militaires professionnels très bien payés 8 . Leurs salaires sont bien plus élevés que ceux des travailleurs ordinaires des autres secteurs publics et privés.
Mais cette économie de guerre n’est pas viable à long terme. Ses contradictions finiront par saper sa croissance et, avec elle, les contradictions du système politique réapparaîtront, provoquant un nouveau cycle d’instabilité et de crise.
Comment Poutine va-t-il utiliser sa victoire électorale truquée pour sa guerre néocoloniale en Ukraine ?
Avant même l’élection, Poutine s’est vanté dans un discours devant le Parlement que la majorité absolue des Russes soutenait son « opération militaire spéciale » 9 . Il interprétera donc le vote truqué comme une confirmation de son emprise idéologique sur le peuple russe.
Mais c’est son hubris10 . En réalité, le mécontentement à l’égard de la poursuite de la guerre est largement répandu, même parmi les partisans de Poutine. Nombre d’entre eux ont voté pour lui en pensant : « il a commencé cette guerre, il devrait y mettre fin ».
Poutine a ignoré ce sentiment. Pendant la campagne, il n’a jamais mentionné comment il comptait rétablir la paix. Au contraire, il n’a cessé de répéter que la Russie était engagée dans une guerre existentielle avec l’Occident, qu’elle devait la poursuivre et étendre le conflit à d’autres pays.
Une minorité de la société russe soutient ce projet, probablement 10 à 20 % (27). Mais la majorité souhaite que la paix soit rétablie. Bien sûr, ils ne veulent pas que la Russie soit militairement vaincue, mais ils veulent que cette guerre prenne fin à un moment ou à un autre.
Ces sentiments sont de plus en plus forts et pourraient créer à l’avenir une crise pour le régime. Mais pour l’instant, sa réponse consiste à ignorer ces sentiments ou à y répondre par des campagnes d’endoctrinement patriotique visant à susciter un soutien en faveur d’une guerre qui s’étend.
L’ancien président Dmitri Medvedev, aujourd’hui vice-président du Conseil de sécurité, a clairement exposé les objectifs de Poutine dans un discours (28) prononcé quelques jours avant l’élection. Il a déclaré que la Russie avait l’intention de « libérer » Odessa, d’en faire une ville russe et d’éliminer l’Ukraine en tant qu’État-nation.
Il a ensuite proposé sa propre formule de « paix » comme alternative à celle proposée par le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Il a déclaré que l’Ukraine n’était pas une véritable nation, mais un territoire qui devrait être partagé entre la Russie, la Pologne et la Roumanie.
Bien entendu, le seul moyen de réaliser cela est la conquête totale et la saisie de l’Ukraine par la Russie. C’est le contraire de la paix. Ce sont les ingrédients d’une guerre impérialiste sans fin et d’une occupation coloniale.
Nombreux sont ceux qui s’attendent à une escalade de la guerre en Ukraine dans un avenir proche. Cela nécessitera-t-il une plus grande mobilisation des troupes russes ? Comment la population russe réagira-t-elle ? Cela suscitera-t-il une résistance ?
Il est difficile de dire si les autorités russes mobiliseront davantage de troupes russes. Jusqu’à récemment, elles ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour éviter une deuxième vague de mobilisation.
Bien sûr, après les élections qui, selon elles, ont prouvé que les Russes soutiennent totalement la guerre, elles pourraient lancer une nouvelle mobilisation. En même temps, ils sont assez malins pour savoir que cela serait très impopulaire.
Il est donc probable qu’ils continueront à verser d’énormes salaires aux soldats prétendument volontaires. Mais s’ils ont l’intention de mener une offensive de plus grande envergure, ils devront mobiliser des conscrits.
Ils pourraient assortir cette nouvelle mobilisation d’une promesse de rapatrier ceux qui ont été enrôlés en 2022 et déployés sur le front au cours des deux dernières années. Cela pourrait calmer les appels de plus en plus nombreux des épouses et des parents qui réclament le retour de ces soldats 11 .
Mais les gens ne supporteront pas longtemps cette guerre et cette mobilisation. Et tout soldat rentrant au pays rapportera avec lui des récits de la boucherie en Ukraine, ce qui déstabilisera le régime.
Dans quelle mesure peut-on dire que le régime de Poutine et le capitalisme russe sont stables ? Quels sont les problèmes et les failles du système ?
Il y a un problème profond dans la construction politique même de ce régime. Dans l’un de ses récents discours, Poutine a trahi une certaine conscience de ce problème 12 . Il a déclaré que l’ancienne élite constituée à travers la privatisation des biens de l’État soviétique était dépassée et qu’une nouvelle élite devait être mise en place.
Il a ajouté qu’une nouvelle et véritable élite devrait être recrutée parmi les héros issus des lignes de front. En réalité, Poutine est en train de construire une nouvelle base sociale à partir des enfants de son cercle étroit d’amis qui contrôlent les grandes sociétés d’État et l’industrie privée.
Leurs parents vieillissent et Poutine sait qu’il est confronté à la difficulté de reproduire le régime et une clique dirigeante qui lui soit loyale. Il considère donc ces enfants comme ses futurs fidèles au sein de l’État et des entreprises russes 13 .
C’est le signe d’un régime profondément personnalisé, dans lequel Poutine ne fait confiance qu’aux personnes qu’il considère comme des amis. Mais le nombre d’amis du dictateur étant limité, le seul moyen pour étendre sa base sociale est de recruter les enfants qui lui sont loyaux pour occuper des postes dans la bureaucratie gouvernementale et les conseils d’administration.
Poutine intègre également ses gardes du corps personnels à des postes au sein de l’État. Ainsi, un certain nombre de gouverneurs dans diverses régions du pays sont issus de son équipe de sécurité personnelle.
Ces méthodes d’expansion et de consolidation du régime peuvent se retourner contre lui et créer de graves problèmes pour le maintien de son pouvoir. Par exemple, dans ce système, si des membres de l’appareil d’État veulent faire avancer leur carrière, ils se retrouvent dans une impasse, car au sommet de la bureaucratie se trouvent des loyalistes de Poutine nommés directement par le dictateur.
Si vous ne faites pas partie de ce cercle charmant, votre carrière est vouée à l’échec. Cela peut engendrer de l’apathie et même du mécontentement au sein de l’appareil d’État, ce qui mine le régime de l’intérieur.
Bien sûr, la couche supérieure de l’appareil d’État soutiendra Poutine jusqu’au dernier souffle, en appuyant l’escalade de sa guerre impérialiste. Mais, en dessous d’eux, il y a des couches parmi lesquelles le mécontentement et l’opposition peuvent se développer. La grande question, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du régime, est donc de savoir combien de temps peut durer cette loyauté non seulement envers Poutine, mais aussi envers le système.
Un autre problème auquel le régime est confronté est la contradiction que j’ai décrite entre la vision imaginaire de Poutine d’une société russe loyale et unie derrière lui et les divisions réelles au sein de cette société, en particulier celles provoquées par la guerre. Cette contradiction ne peut pas durer longtemps.
Enfin, beaucoup de gens de gauche font pression pour que l’Ukraine s’engage dans des pourparlers de paix et accepte un accord « terre contre paix » avec Poutine, ce qu’ils n’exigeraient jamais des Palestinien·nes. Que pensez-vous de cet argument ? Pourquoi est-il irréaliste ? Que devrait dire la gauche à propos de la guerre et que devrait-elle exiger à la place ?
Il faut bien comprendre que Poutine a pris très au sérieux la décision de lancer cette invasion et qu’il est déterminé à ne pas s’arrêter tant qu’il n’aura pas atteint ses objectifs déclarés : l’élimination de l’Ukraine en tant qu’État-nation indépendant et la mise en place imposée d’un gouvernement fantoche à Kiev. S’il n’atteint pas ces objectifs, il considérera cela comme une défaite, ce qu’il n’est pas prêt à accepter.
Il considère le maintien d’un gouvernement indépendant à Kiev comme une menace pour la sécurité nationale de la Russie. Il ne se contentera donc pas de s’emparer de certaines parties de l’Ukraine ; il veut s’emparer de l’ensemble du pays, comme première étape de la reconstruction de l’ancien empire russe.
Il l’a clairement exprimé lors d’une récente interview à la télévision russe (33), au cours de laquelle il a été interrogé sur la possibilité d’entamer des pourparlers de paix. Il a déclaré sans ambages qu’il n’était pas intéressé par de tels pourparlers, que ceux-ci n’étaient motivés que par le manque d’armes de l’Ukraine.
Il n’accepterait des pourparlers de paix que s’ils garantissaient les objectifs impérialistes de conquête et de régime qui sont les objectifs de son « opération militaire spéciale ». Par conséquent, à ce stade, il rejettera toute négociation et il est probable qu’au contraire il intensifiera la guerre.
Face à cette guerre impérialiste sans fin, la gauche doit soutenir l’Ukraine et sa lutte pour la libération. Si Poutine réussit à conquérir l’Ukraine, cela créera un précédent pour d’autres puissances et États impérialistes qui lanceront des guerres similaires de conquête coloniale.
La gauche internationale doit défendre le droit des nations opprimées à l’autodétermination sans exception et défendre leur droit à se procurer des armes pour se défendre. Seule une telle solidarité d’en bas peut mettre un terme à la poursuite de la guerre impérialiste.
Publié le 25 mars 2024
* Ilya Budraitskis, chercheur en histoire et en sciences politiques, enseignant à l’Université de Moscou, organisateur du mouvement anti-guerre jusqu’à son exil en 2022, est militant du Mouvement socialiste russe. Il est chercheur invité au sein du programme de théorie critique de l’université de Californie à Berkeley, et auteur de Dissidents parmi les dissidents : Idéologie, politique et gauche dans la Russie post-soviétique. Il est également membre du comité éditorial du site socialiste russe Posle.media.
Cet entretien a été publié par Truthout, qui indique qu’il a été « légèrement modifié pour plus de clarté ». Ashley Smith est un écrivain socialiste et un activiste de Burlington, dans le Vermont. Il écrit dans de nombreuses publications, dont Truthout, The International Socialist Review, Socialist Worker, ZNet, Jacobin, New Politics et bien d’autres publications en ligne et imprimées.
Notes
1. « Russia’s Battle With Extremists Has Simmered for Years », Neil MacFarquhar, 24 mars 2024, The New York Times.
2. Why is ISIL targeting Russia ? », Kevin Doyle, 23 mars 2024, Al Jazeera.
3. « Four suspects in Moscow concert hall terror attack appear in court », Andrew Roth et Pjotr Sauer, 24 mars 2024, The Guardian
4. European Court Faults Russia’s Handling of 2004 Beslan School Siege », Sewell Chan, 13 avril 2017, The New York Times. )
5. « Putin approves big military spending hikes for Russia’s budget », 27 novembre 2023, Reuters.
6. « Ukraine – two years on, no end in sight », 22 février 2024,
7. « How Putin Turned a Western Boycott Into a Bonanza », Paul Sonne et Rebecca R. Ruiz, 17 décembre 2023, The New York Times.
8. « The Russian military is offering up to 10x an average salary to fill its ranks depleted by Ukraine invasion casualties », Bethany Dawson, 13 mai 2023, Business Insider.
9. « Putin lauds Ukraine gains, threatens West in annual speech », 29 février 2024, DW.
10. « Putin had to contrive a ‘landslide’ – because he knows cracks are showing in Russian society », Samantha de Bendern, 18 mars 2024, The Guardian.
11. « Dozens detained as Russian soldiers’ wives call for their return from Ukraine », 3 février 2024, AP.
12. « Vladimir Poutine a annoncé la préparation d’une “nouvelle élite” dans le pays à partir des participants à la guerre. », 29 février 2024, TVRain.
13. « Putin Has Russian Elite in a Frenzy Over Their Political Futures », Bloomberg News, 12 mars 2024.
Ilya Budraitskis, chercheur en histoire et en sciences politiques, enseignant à l’Université de Moscou, organisateur du mouvement anti-guerre jusqu’à son exil en 2022, est militant du Mouvement socialiste russe.
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