Tiré du blogue de l’auteur.
Seydou Ra Sablga Ouedraogo et l’institut Free Afrik[1], la recherche en mouvement au service de l’avenir…
Les premiers moments à Ouagadougou, je les ai passés avec Seydou Ra Sablga Ouedraogo. Débarqué de mon avion vers 2 heures du matin, nous avons échangé jusqu’à 6 heures sans voir le temps passer. Une plongée dans un échange d’idées particulièrement riches, dans un bain d’intelligence, de rhétorique, d’indépendance d’esprit. Un plaisir. Sa passion, la recherche scientifique pluridisciplinaire ! Un véritable bourreau de travail qui dort peu, reçoit beaucoup, et passe ses nuits à écrire, avant d’émerger le matin pour gérer tout ce petit monde qui travaille avec lui. Assidument. Beaucoup de jeunes qui l’appellent respectueusement « Le Docteur ».
Nous aurons de nombreuses autres occasions d’échanger, des moments riches et passionnants, souvent autour de menus succulents, toujours locaux.
Il reçoit toujours avec plaisir les jeunes doctorants, leur donnant des conseils, déplorant la négligence de l’enseignement de la méthodologie de recherche dans les parcours de formation. Son mentor c’est Joseph Ki Zerbo, le grand historien burkinabè, un chantre du développement autocentré. Il porte le nom de la salle de conférence. Mais aussi Thomas Sankara, dont le portait trône au centre d’un espace qui porte son nom où sont organisées les conférences, dans la grande cour du siège spacieux de l’institut.
Free Afrik est devenu, en quelques années une référence que les nombreux organismes, en recherche d’études diverses, s’arrachent. Le travail assidu, la rigueur, et l’excellence sont la règle, les clés de la réussite.
Les consultants qui y collaborent se font facturer au prix fort et reversent une partie de leurs honoraires à l’institut dont le financement est complété par des membres fondateurs. Seydou Ra Sablga Ouedraogo en reverse pour sa part la totalité. C’est le prix de la compétence et le gage de l’indépendance qu’il ne cesse de revendiquer. Ces honoraires servent à payer les salariés de l’institut. Ainsi aujourd’hui, 60% du budget provient des contributions des membres fondateurs et 40% de subventions.
J’ai assisté à 3 de ses conférences en une semaine. Sur des sujets totalement différents. Le premier une étude comparative sur le développement en Corée du sud et au Burkina. Passionnant sujet quand on sait que la Corée du Sud était au niveau du Burkina dans les années 50. Il s’agit de démontrer que le Burkina peut décoller, non en copiant un quelconque modèle mais en recherchant au Burkina son propre modèle, ses propres ressources.
La deuxième, à l’invitation de l’association African Golden qui valorise l’expérience de personnalités marquantes. Devant une salle comble, près de 300 personnes, qui a dû refuser du monde. Un tout autre sujet : « Jeunesse, idéal et invention d’avenir ». Là, il s’agissait de transmettre des valeurs positives, d’espoir, de travail, de rigueur, d’exigence. Un discours de pédagogue. « Ne vous laissez pas envahir par le discours de justification de votre état du fait de cause externe. Trouvez les moyens en vous-mêmes de trouver de l’énergie pour passer ces épreuves, d’être solidaires. Rapprochez-vous de ceux qui réussissent par leur travail, imposez-vous à eux, cherchez les meilleurs enseignants ». Il raconte : « un de mes amis avait une méthode toute particulière lorsqu’il traversait des périodes de désespoir. Il avait collé un grand portrait de Thomas Sankara sur son mur. Dans ces moments-là, il se plantait devant quelques minutes. Il se retrouvait ragaillardi. »
La troisième conférence était consacrée à la situation économique mondiale, celle de l’Afrique puis du Burkina L’institut en publie un rapport là-dessus chaque année. L’occasion de signaler que certains pays d’Afrique s’en sortent et décollent à l’image du Rwanda et plus récemment de l’Ethiopie. Toujours le souci de transmettre l’espoir, transmettre de l’énergie sans rien perdre en rigueur scientifique.
Menaces de mort…
La qualité de son travail, son indépendance d’esprit, sa rigueur et sa franchise lui créent, certes de la jalousie, mais plus gravement, des ennemis redoutables. Sans doute Ra Sablga Seydou Ouedraogo fait-il de l’ombre à nombre d’hommes politiques dont il n’hésite pas à critiquer la vacuité, ceux qui voient en lui, un homme dangereux pour son charisme et un rayonnement toujours plus grand.
Il a plusieurs fois refusé des postes de ministre. Récemment en janvier, à l’occasion de la formation d’un nouveau gouvernement, son nom est souvent revenu. Il a reçu officiellement des propositions. Mais il reste attaché à son rôle d’intellectuel et à son travail à l’Institut et à l’université de Ouaga 2.
Il dénonce aussi sans détour la corruption, y compris dans l’armée, un des sujets sur lequel travaillent plusieurs chercheurs de l’institut.
Depuis quelques temps il reçoit des menaces de mort. Bien sûr, certains pensent qu’il s’agit de plaisantins. D’autres y sont habitués. Mais il est inquiet. Il prend les menaces très au sérieux et prend des précautions, se plaint du manque de solidarité autour de lui. Aussi certaines conférences organisées à l’institut sont protégées par des forces de sécurité en armes, à l’entrée du siège de l’institut mais aussi disséminées dans la cours et le jardin de la propriété siège de l’institut FREE AFRIK. Aux frais de l’institut ! Cet homme semble pourtant bien précieux pour son pays. La protection doit s’organiser autour de lui.
Blandine Sankara et l’association Yélémani[2] (changement) pour la promotion de la souveraineté alimentaire
Blandine Sankara est l’une des plus jeunes sœurs de Thomas Sankara. Beaucoup de frères et sœurs ont pu partir à l’étranger, et c’est elle qui est restée longtemps en famille pour veiller sur les parents. Une tâche lourde alors que le pouvoir tentait de multiples manœuvres y compris celle de corrompre la famille, qu’il a fallu déjouer.
Lorsqu’elle a pu partir, elle a choisi la Suisse où elle a étudié la sociologie. Des études idéales et un endroit propice pour murir son projet, rencontrer ses futurs partenaires. Dès son retour elle créée l’association Yélémani dont la mission est ainsi définie « Partant des insuffisances, des menaces et des limites constatées sur les stratégies actuelles de promotion des produits locaux, Yelemani travaille dans la promotion de la souveraineté alimentaire à travers la valorisation de ressources culinaires, culturelles et écologiques du territoire burkinabé » .
Cette fois, je me suis efforcé de dégager du temps pour visiter le site de production maraichère bio-organique sur le site de Loumbila situé à une vingtaine de kilomètres de Ouagadougou.
La route pour se rendre sur les lieux est toute récente. C’est la même qui mènera au futur aéroport de Ouagadougou, l’ancien se trouve en plein centre-ville. Blandine avait pu acquérir des terres il y a longtemps, alors que les prix étaient au plus bas et la demande inexistante. Cette période est révolue. De grands propriétaires terriens ont acquis d’immenses domaines qui entourent maintenant le site de Yélémani dont notamment Gilbert Diendéré, actuellement en procès pour le coup d’Etat de septembre 2015. Le maire de la ville a voulu reprendre les terres non mises en valeur mais il a dû faire machine arrière, tant les réactions de ces grands propriétaires se faisaient menaçantes.
Yélémani exploite deux terrains qui sont en même temps des sites de production bio-organiques et s’est construit peu à peu une clientèle. Mais je comprends vite que ce n’est qu’un des volets de l’association. La formation est au cœur de l’activité. L’un des sites est équipée d’une grande salle de cour et d’un tableau, avec des affiches pédagogiques. On y forme à différentes techniques d’enrichissement de la terre, de cultures différenciées, de fabrication d’engrais naturel organique. Ont été construits aussi un restaurant, qui devrait être inauguré le 8 mars, et une première chambre, à base de matériaux locaux, qui gardent la fraicheur, équipée de sanitaires pour loger les visiteurs. Les soutiens des ONG finissent toujours pas se tarir. Si elle veut poursuive son activité l’association se doit se trouver ses propres revenus.
Yélémani est aussi engagée dans différents collectifs, notamment celui contre les OGM. Suite à un accord avec le régime de Blaise Compaoré, ils avaient pris possession des champs de coton avant que le pouvoir ne se retourne contre MONSANTO.
Yélémani développe aussi une activité de sensibilisation sur la souveraineté alimentaire en direction des écoles dont l’une se trouve juste à côté d’un des deux sites de productions avec des supports pédagogiques qu’elle a elle-même réalisés.
L’échange est instructif. Blandine me confie son souci de mieux partager cette expérience qui a connu plusieurs étapes. Une étude scientifique historique lui parait souhaitable. Yelemani a connu des changements, des réorientations du fait d’erreur et donc une accumulation d’expériences toutes aussi riches les unes que les autres. Par exemple des partenaires qui finançaient momentanément les projets, ont souhaité y insérer leur propres objectifs et imposer des contraintes comme par exemple une main d’œuvre issue d’un type de population inadaptée.
La terre de cette région proche de Ouagadougou me semble particulièrement sèche sans doute du fait de la déforestation et ses petites étendues de verdure cultivées peuvent apparaitre comme un exemple à suivre. Mais l’agro-biologie demande beaucoup d’effort, de travail. D’où une grande activité déployée pour sensibiliser la population rurale à ce type d’agriculture protectrice de l’environnement.
Nous évoquerons le Mémorial et le refus jusqu’ici du comité qui en a la charge, de prendre en compte les désirs de la famille de ne pas enterrer Thomas Sankara sur le lieu où il a été assassiné mais aussi où les tortionnaires au service de Blaise Compaoré ont pratiqué la torture. Certains membres du comité du Mémorial se répandent dans des déclarations déplacées tendant à dire que Thomas Sankara appartient à son pays et que peu importe la position de la famille. La douleur de Blandine est alors perceptible. La famille, qui a tant souffert, n’a toujours pas pu faire le deuil. Finalement la famille a été représentée à l’inauguration du lieu. Est-ce le signe d’un dénouement heureux ou juste un nouveau geste de bonne volonté de la famille toujours en l’attente qu’on tienne compte de ses souhaits.
CASTEL impose l’interdiction de jus de fruits locaux à la foire commerciale du FESPACO
La proximité du FESPACO (Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou) et l’attrait qu’allait constituer la foire commerciale était une excellente opportunité pour valoriser les produits locaux. Blandine s’apprêtait à louer un local pour vendre des jeux de fruits locaux. C’était sans compter sur des impératifs de certains bailleurs qui dictent leur loi aux organisateurs du festival. CASTEL, qui détient le quasi-monopole des boissons mises en bouteille et distribuées au Burkina, finance en partie, très modestement, selon ce qu’on me dit, le FESPACO. L’entreprise s’est permis d’exiger l’exclusivité de la vente des boissons sur le site officiel du festival. Exit donc les boissons fabriquées à base de produits locaux.
Et gare à ceux qui refusent d’obtempérer ! Blandine me raconte que lors du dernier FESPACO, des vendeurs de boissons locales avaient déjà dû déménager. Alors qu’ils étaient déjà installés !
Le Balai citoyen à la croisée des chemins
Nous nous sommes largement étendus par le passé, dans ce présent blog, sur le rôle du Balai citoyen dans la préparation de l’insurrection d’octobre 2014. Puis son esprit d’initiative et sa clairvoyance pour trouver une issue à l’insurrection au moment où le pays risquait de sombrer dans le chaos. Leur présence dans les manifestations, aux côté des partis d’opposition, rassuraient la jeunesse qui s’est mobilisé quasi unanimement, sans laquelle une telle insurrection n’aurait pu être victorieuse. Leur sens de la communication, des mots d’ordre, de l’organisation, leur radicalité, ont été un apport précieux. Et leur appel à limiter les violences ont sans doute permis d’éviter aussi des provocations qui auraient pu tourner aux massacres. Nous n’avons rien à retirer de nos analyses d’alors, que l’on peut retrouver dans nos papiers de 2013 à 2015. Cet objectif atteint le Balai citoyen avait fait le choix de se retirer du processus de mise en place de la transition considérant son rôle comme terminé.
Quatre ans plus tard, vu depuis la France, bien qu’annonçant une centaine de clubs, l’activité parait avoir décliné. L’association semble se consacrer à des actions citoyennes de nettoyage de centre de santé, de plantation d’arbres et surtout à la formation sur le long terme d’une nouvelle génération qui serait capable de prendre les rênes du pays, en commençant par les collectivités locales. L’éducation populaire semble avoir pris le pas sur l’activisme.
Le Balai citoyen s’est ainsi investi dans une activité de partenariat avec la présidence de l’Assemblée nationale pour apprendre à des jeunes les rouages du travail parlementaire tout en sensibilisant les parlementaires sur la nécessité de tenir compte de l’avis de la jeunesse lors de la rédaction de leurs projets de loi. Il continue cependant à publier de temps quelques déclarations hostiles à la politique gouvernementale mais ne semble plus être à l’initiative des mobilisations, se résolvant à appeler à celles des autres.
Les héros sont-ils fatigués ?
Je repars donc à la rencontre de certains de ces leaders. Après plusieurs tentatives, Smockey me donne rendez-vous dans son studio où il me reçoit dans son bureau. Je lui explique que l’objet de mon voyage est d’enquêter sur l’insurrection en vue de la rédaction d’un nouveau livre. J’essuie un refus catégorique de sa part. « J’en ai marre de faire des interviews. Je me suis exprimé maintes fois, tu n’as qu’à les rechercher. Je ne souhaite plus revenir sur cette période. Je prépare l’avenir maintenant ». Parmi toutes les personnes sollicitées, il est le seul à refuser une interview. A part le colonel Auguste Barry, un des acteurs majeurs de la transition soumis à la réserve du fait de son maintien en résidence surveillée, après avoir été arrêté pour être soupçonné d’avoir fomenté un coup d’Etat.
En fait je ressens de sa part une grande lassitude. Après le rôle majeur joué pendant l’insurrection, les leaders du Balai citoyen ont subi de multiples attaques les accusant d’avoir vendu l’insurrection, d’avoir trahi le peuple, d’avoir reçu de l’argent, etc… Elles semblent avoir fini par les atteindre. Des calomnies probablement orchestrées par les ennemis de toujours. Les associations créées de toute pièce par le MPP. Ou ceux que Smockey appelle les « rouges », les militants du PCRV (parti communiste révolutionnaire voltaïque) qui contrôle le syndicat la CGTB, le syndicat le plus puissant et de nombreuses associations de la société civile qui restent souvent ensemble les seules capables d’organiser de puissantes manifestations anti-gouvernementales.
Un sourire de dépit aux lèvres, il évoque les déclarations de ces associations proches du PCRV qui affirment vouloir « défendre les acquis de l’insurrection » alors que pour l’essentiel leurs militants sont restés spectateurs de ces journées historiques pour ne se manifester que lorsque Blaise Compaoré avait déjà fui.
Il me renvoie à son ami Guy Hervé Kam, l’autre porte-parole, que je n’aurai pas le temps de voir cette fois, mais que j’avais déjà interviewé à Paris. Smockey a vu en peu de temps deux fois son studio détruit. La première fois lors d’un incendie, dont la cause n’est toujours pas établie, une deuxième fois sous de roquettes du RSP (le régiment de sécurité présidentiel) lors du putsch de 2015.
Mais ce n’est pas tout. Si Smokey ne s’est jamais plaint de lui-même de menaces directes, le pouvoir de Blaise Compaoré s’adressait à la famille pour qu’il tempère ses attaques. Son humour acerbe, Smockey n’est autre qu’une déformation de « se moquer », frappait fort. Un de ses proches m’a expliqué qu’il subit aussi des attaques de nostalgiques du CDP qui viennent lui dire qu’ils reviendront et qu’il sera un des premiers sur la liste !
Je n’insisterai pas, m’éclipsant rapidement, évitant les sujets sur lequel nous aurions pu avoir des différends. Mon admiration reste intacte, mais la tristesse vient la rejoindre..
Je passerai aussi une soirée avec Sams’K le Jah dont l’accueil fut chaleureux. Nous avons évité les questions qui nous séparent pour passer un moment de détente ensemble, à visiter quelques-uns de ses amis. Chacun a droit, non pas à un cadeau mais à un sac entier. Puis autour d’un délicieux poulet flambé. Lui aussi a subi les mêmes attaques. Il a préféré prendre de la distance, se ressourcer aux États-Unis, où il possède quelques attaches. Comme nombre de ses habitants, il doit accepter plusieurs emplois pour vivre. Et surtout pour se consacrer plus à la musique, acheter du matériel, enregistrer de nouveaux morceaux avec d’autres musiciens. Il vient de rentrer pour des vacances, très heureux d’être là. Happé par des activités, je le verrai en photo sur Facebook en compagnie de militants du Balai citoyen venus sans doute sensibiliser des collégiens sur la veille citoyenne. Il me confiera aussi ses doutes, son questionnement sur ce qu’il convient de faire dans la situation actuelle, mais nous ne nous étendrons guère. Je sais que lui est partisan d’une implication plus importante dans la vie politique.
Sams’K Le Jah et Smockey ont été de véritables vedettes dans leur pays, affrontant le pouvoir, subissant des menaces. Ils étaient adulés par une jeunesse louant leur courage, buvant leur parole, se nourrissant de leurs chansons. Ils en étaient devenus les porte-paroles de fait. Certes il reste de nombreux jeunes qui chantent leurs louanges, encore aujourd’hui. Mais les attaques sont nombreuses, injustes. Ils ont fait ce qu’ils ont pu, et surtout beaucoup, dans une situation qu’ils n’étaient guère préparés à affronter. Ils ont du mal à accepter tant d’attaques alors que plus que beaucoup d’autres ils ont risqué leur vie.
Moins exposés plus sereins
D’autres membres du Balai citoyen ne me semblent pas autant atteints. J’ai pris l’habitude d’échanger avec Souleymane Ouedraogo, nom d’artiste Basic Soul, qui revendique l’introduction du rap au Burkina Faso. Moins exposé que les deux leaders du Balai citoyen, il est pourtant lui aussi très engagé, organisateur de formations, de camps de jeunes du Balai Citoyen. Ses analyses sont posées, justes, intelligentes. Je ne peux que conseiller à ceux qui souhaitent s’informer sur l’évolution du Burkina de suivre sa page facebook[3]. La discussion est agréable, détendue, riche. Je lui fais part de mon questionnement et il répond en toute franchise. Il dit ce qu’il pense, ce qu’il sait, ne cache pas les difficultés que rencontre le Balai citoyen à se relancer dans cette situation bien complexe. J’en retire une opinion plus circonstanciée, débarrassée de la passion. Le Balai est effectivement dans une passe difficile. On ne peut que souhaiter qu’il en sorte rapidement. Et que des hommes de qualité comme lui ne laissent pas tomber alors qu’il avait à la fin de l’année pris du recul.
Je rencontre aussi Abdoulaye Diallo, un autre leader, plutôt en retrait mais très influent. Un homme aux multiples casquettes, à l’origine de plusieurs festivals dont ciné droit libre aujourd’hui décentralisé dans différentes pays de la région. Lui répond amicalement à mes questions me dévoilant quelques secrets, disons par-là d’informations que je n’avais pas qui seront dévoilés dans mon ouvrage. Abdoulaye explique être fier de ce qu’ont pu réaliser tous ces « jeunes » au sein du Balai citoyen, il n’a pas tort, nostalgique sans doute d’un passé prestigieux dont il est en partie à l’origine.
La relève ?
Une visite au local du Balai citoyen me donne une image rajeunie de l’association, et plus enthousiaste. Quelques jeunes sont là autour de Fatou Souriaté qui tient la permanence. J’évoque la méconnaissance de la réalité et de la profondeur du projet de Thomas Sankara, comme des multiples contradictions et difficultés rencontrées. Et la nécessité de multiplier les séances de formation sur la période révolutionnaire. Je m’en suis rendu compte lors d’une conférence que j’ai pu donner sur la politique économique du pouvoir révolutionnaire, à l’IPD AOS (Institut panafricain pour le développement, Afrique de l’Ouest et Sahel)[4], dirigé par mon ami Sylvestre Ouedraogo qui a sauté sur l’occasion de ma présence. Je suggère quelques noms, de Burkinabè qui ont eux-mêmes travaillé sur cette période dans un cadre universitaire ou en publiant des livres. Un des jeunes présents, en saisit l’opportunité et promet de le faire dans le club de quartier qu’il semble animer.
Fatou réfute totalement la baisse d’activité. « Au contraire, me dit-elle, nous en menons beaucoup plus, mais cela n’intéresse pas les médias ». Les jeunes qui sont là, en particulier l’un d’eux qui anime un club de quartier parait bien dans sa peau et heureux de son engagement. Peut-être le signe d’un passage prochain de relais d’une génération à l’autre. Smockey et Sams’K Le Jah n’approchent-ils pas la cinquantaine ?
Les héros sont fatigués ? Sans doute, mais la relève est là semble-t-il, tout juste faut-il retrouver des forces pour encadrer tous ces jeunes avides d’engagement et de connaissance. Balai avec sa centaine de clubs, rassemblent des milliers de membres doit jouer un rôle de tout premier plan.
Un film sur Smockey est passé cette année dont le titre est « Nous avons le temps pour nous ». Vraiment ? L’éducation citoyenne est certes indispensable. Mais à l’approche d’une nouvelle échéance électorale, pour quoi et pour qui tous ces jeunes sensibilisés à l’implication dans la a vie citoyenne, doivent-ils voter en l’absence de toute candidature alternative ? Qui donc pourraient mieux que les leaders du Balai citoyen revêtir leurs habits de rebelles, élever haut et fort la voix dans ce pays pour exprimer la révolte d’une jeunesse en quête d’espoir et de rêve qui n’en peut plus de cette absence de perspective, de la régression, après une si formidable insurrection, que constitue ce régime qui n’a jamais pu rompre, ou si peu, avec celui de Blaise Compaoré ?
La place me manque pour rendre compte d’autres rencontres toutes aussi passionnantes qu’agréables et rassurantes malgré la tonalité quelque peu optimiste de cet article. Avec l’équipe du site thomassankara.net en construction pleine de promesse, avec le responsable du services des archives de la télévision, qui se bat malgré le manque de moyens pour organiser et numériser l’important stocks de cassettes, qu’il estime à 150000, mais qui ressent un manque de valorisation de son travail, avec tant de jeunes avides de connaissances, de structures pour les encadrer et les former, avec tant d’amis que j’ai dans ce pays qui chacun à sa façon me permet d’aimer ce pays et de toujours mieux appréhender les réalités de ce pays.
Bruno Jaffré
Notes
[1] Pour mieux connaitre l’activité de l’institut FREE AFRIK on se reportera à https://free-afrik.org/ et https://www.facebook.com/freeafrik/ .
[2] Voir https://www.yelemani.org/
[3] Voir sa page à https://www.facebook.com/ouedraogo.souleymane.Basic.Soul
[4] Voir http://www.ipd-aos.org/
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