Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Projet de loi 33

Quelles conséquences pour les syndicats de la construction ?

Jean Charest n’a pas semblé trop pressé de mettre sur pied une commission d’enquête publique sur la corruption et la collusion dans l’industrie de la construction, mais dans le cas des problèmes concernant le monde syndical, il s’est montré beaucoup plus enthousiaste. Au printemps dernier il mettait sur pied un groupe de travail sur le fonctionnement de l’industrie de la construction dont le rapport a été remis à la ministre du travail Lise Thériault le 30 août dernier. Belle manœuvre de diversion qui laissait supposer que le fond du problème provient davantage des syndicats.

Après plusieurs mois de pressions publiques et médiatiques, le premier ministre Jean Charest s’est vu contraint de mettre sur pied une commission d’enquête dans l’industrie de la construction mais il aura fallu ajouter l’intervention du Barreau du Québec pour qu’il en fasse une commission avec un minimum de pouvoir.

Collusion dans le partage des territoires, intimidation physique, pots-de-vin, conflits d’intérêts concernant les élus politiques tant municipaux que provinciaux, contrôle de la mafia dans plusieurs secteurs, tout cela n’était pas convainquant pour Jean Charest.

Mais dans le cas des problèmes concernant le monde syndical, il s’est montré plus enthousiaste. Au printemps dernier il mettait sur pied un groupe de travail sur le fonctionnement de l’industrie de la construction (1) dont le rapport a été remis à la ministre du travail Lise Thériault le 30 août dernier. Belle manœuvre de diversion qui laissait supposer que le fond du problème provient davantage des syndicats.

Il faut ajouter à cela les décisions prises par la nouvelle PDG de la Commission de la Construction du Québec Diane Lemieux. On constate qu’en ce qui concerne les syndicats, le gouvernement Libéral ne craint pas de prendre des mesures coercitives. Par exemple les 900 employés de la Commission de la construction du Québec devront à l’avenir remplir une « déclaration d’intérêts », mesure destinée à circonscrire l’étendue de leurs liens familiaux avec l’industrie de la construction et les syndicats. Le questionnaire vise à établir d’abord « les liens » entre les employés et les permanents syndicaux. On veut aussi savoir si les employés ou leur famille proche détiennent des intérêts dans des entreprises du secteur de la construction. Madame Lemieux a aussi indiqué qu’elle vérifierait les antécédents judiciaires des 300 employés investis d’un pouvoir d’enquête au sein de la CCQ et a imposé leur désaffiliation d’avec la FTQ afin de s’assurer de leur intégrité et d’une parfaite étanchéité entre eux et le monde de la construction. De plus, les employés-es de la CCQ ne devront se lier à aucun autre syndicat impliqué dans cette industrie. Comme si le fait d’être affilié à la FTQ, qui regroupe autant les employé-e-s des postes, du secteur de la santé, des communications et de l’énergie, du commerce, de la métallurgie etc, que de la construction pouvait nuire à leur intégrité.

Le projet de loi 33

Le rapport du groupe de travail sur le fonctionnement de l’industrie de la construction prend fait et acte des problèmes sur les chantiers de construction mais il omet de mettre en contexte la situation de corruption et de conflits d’intérêts qui existe dans ce secteur au niveau des politiciens et d’un grand nombre d’entrepreneurs. Cela ne fait évidemment pas partie de son mandat. Comme cela a été le cas par le passé entre autres lors de la commission Cliche, on place les syndicats particulièrement ceux de la FTQ, dans la ligne de mire et on laisse finalement de côté le fond du problème que sont la collusion et la corruption érigées en système.

Le placement syndical fait partie des premiers points sur la liste. Dans les faits le placement des employés-es n’est pas prévu par la loi. Il s’est imposé au fil des ans parce que l’expertise syndicale avec sa connaissance des métiers permettait de mieux répondre aux besoins des entreprises que la CCQ elle-même. Selon le groupe de travail le placement syndical se limite aux secteurs non résidentiels et représente 15% du placement total : « En théorie, les employeurs sont censés appeler la Commission de la construction du Québec (CCQ) lorsqu’ils ont besoin d’ouvriers. En pratique, la CCQ est souvent incapable de rendre ce service » (2). L’enjeu du placement syndical est cependant de taille. Il favorise que la meilleure expertise disponible se retrouve au bon endroit. Cependant les syndicats représentant une minorité restent confinés à leur secteur selon les métiers qu’ils représentent.

Lors des votes d’allégeance, les syndiqués continueront de voter pour le syndicat qui les représente déjà et qui leur fournit du travail. Le changement de la règle du placement syndical, risque d’avoir un impact sur les votes d’allégeance prévus aux quatre ans. Mais tout cela ne garantira pas pour autant le bon fonctionnement du placement par la CCQ. Le principal danger qui en découle est que les entrepreneurs finiront par prendre le contrôle du placement avec tout le favoritisme que cela peut comporter. Le comité de travail recommande déjà le retour au plein droit de gérance pour les employeurs.

Le régime de négociation est certainement un autre point d’achoppement. À l’heure actuelle les syndicats qui représentent 50% plus un des travailleurs et travailleuses siègent à la table de négociation. Historiquement, la FTQ construction (44%) et le Conseil provincial international (26%), ont représenté la construction. Le groupe de travail recommande maintenant que l’accord d’au moins trois des cinq associations syndicales représentant plus de 50% des salariés de l’industrie de la construction, soit requis pour la ratification des conventions collectives. La CSD représente 15%, la CSN 11% et le Syndicat québécois de la construction 4%. Un changement imposé favorisera-t-il l’unité syndicale ? Il est possible d’en douter.

Pourtant un changement avait commencé à s’opérer en début d’année. Le Conseil provincial (qui avant 2000 faisait partie de la FTQ Construction) avait adhéré à l’Alliance Syndicale, avec la CSN-Construction, le Syndicat québécois de la construction et la CSD Construction dans le cadre du renouvellement de la convention collective qui arrivait à échéance le 30 avril. Mise à l’écart au début, la FTQ construction s’est ajoutée en juin. Il était difficile de concevoir une négociation sans la participation du plus gros groupe de syndiqués.

À noter que selon les recommandations du comité de travail, un salarié ou une salariée qui s’estimerait mal représenté par son association syndicale représentative pourrait soumettre une plainte à la Commission des relations du travail en application de la nouvelle clause d’égalité de traitement. Au terme de ce recours, si la CRT en décide ainsi, le salarié pourrait modifier son choix d’association syndicale représentative, un précédent dans le monde du travail.

En ce qui concerne le fonds de formation d’environ 184 millions$, il a été créé par les syndicats et les employeur lors de négociations et fait parti des convention collectives. Il est géré de façon paritaire et les différents syndicats y ont droit afin de donner la formation professionnelle appropriée selon le type de travail nécessaire dans un chantier.Ce fonds sera dorénavant récupéré par la CCQ au sein d’un fonds gouvernemental. Le comité de travail craint que l’offre exclusive de formation puisse être utilisée comme outil de promotion par certains syndicats.

Des leçons à tirer

Discréditée par les révélations de l’émission Enquête envers le comportement de Jocelyn Dupuis et Jean Lavallée, la FTQ construction est devenue la principale organisation visée par les recommandations qui seront étudiées en commission parlementaire cette semaine. Les syndicats minoritaires n’ont quant à eux rien à perdre puisque leur champ d’action est à toutes fins pratiques impossible à étendre dans le régime actuel et voient dans le projet de loi une opportunité de changer la donne. Cependant le projet de loi 33 aura des conséquences profondes pour l’ensemble des syndiqué-es. Ce projet ne vise pas seulement le retrait des acquis comme le placement, il s’immisse dans le contrôle de la vie syndicale comme la reddition de comptes aux membres et le rôle du délégué de chantier, retire le contrôle paritaire du fonds de formation, et décrète la durée des conventions collectives. Le gouvernement, sous prétexte de régler un problème syndical, amorce ainsi un virage visant l’affaiblissement des droits syndicaux dans le secteur de la construction.

À ce chapitre le principal syndicat de la construction devrait mettre de l’emphase sur une campagne publique plutôt que d’user de moyens traditionnels qui pour l’instant donnent plus de poids aux déclarations de la ministre du travail Lise Thériault, d’autant plus qu’elle est laissée seule sur la patinoire médiatique. Si la FTQ construction veut renverser la vapeur, elle devra comprendre qu’elle ne peut plus faire fi de l’opinion publique, et devra repenser ses pratiques, ce qu’elle aurait du faire depuis longtemps.

(1)http://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/construction/consultation/Rapport-construction.pdf

(2) Idem

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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