Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique d’austérité

Que faire contre l'austérité ?

Nous sommes des centaines de milliers à travers le Québec à nous opposer aux mesures d’austérité. Pourtant, malgré nos nombreuses manifestations, le gouvernement ne semble pas fléchir. Pourquoi ? Quelles sont les limites de la stratégie actuelle ? Que devraient faire les syndicats, les groupes communautaires et les associations étudiantes ? Ce court texte propose quelques réponses : des origines politiques et économiques de l’austérité aux solutions à court et à moyen termes pour remporter cette lutte, nous tenterons de faire ressortir un projet de société émancipateur pour que l’on cesse d’être toujours sur la défensive.

Réalisé par le Front d’action socialiste.

D’où vient l’austérité ?

L’austérité n’est pas un phénomène unique au Québec. Partout dans le monde, des gouvernements adoptent des mesures similaires. Pourquoi ? Parce qu‘après avoir « sauvé » les banques de la crise à coup de milliards et avoir injecté des milliards dans les entreprises privées pour « relancer la croissance », les dettes publiques ont augmenté d’un coup. Le graphique ci-dessous démontre bien que c’est l’opération de sauvetage après la crise de 2007 qui est à l’origine de la « crise de la dette » partout en Europe et en Amérique du Nord.

Dans certains pays comme la Grèce, la dette publique est si élevée qu’elle restreint les possibles choix politiques du gouvernement. Le Québec est parmi les États les moins endettés de l’OCDE [1], mais notre gouvernement a pourtant adopté la même rhétorique que les autres gouvernements. Partout en Europe, la taille des dettes publiques est utilisée pour justifier les coupures dans les services publics. C’est la même chose ici.

À qui profite l’austérité ?

Les coupures dans les services publics vont affecter la qualité de vie de tout le monde, sauf des plus riches. Les travailleurs et travailleuses du secteur public, qui occupent 13% de tous les emplois au Québec, subiront un recul de leur niveau de vie, car le gel des salaires ne suivra pas la hausse du coût de la vie. Ces concessions vont affecter l’ensemble des travailleurs et travailleuses au Québec, car elles vont exercer une pression à la baisse sur leurs conditions de travail. De plus, les coupures de postes et de programmes vont diminuer la qualité et la quantité des services à la population. De leur côté, les plus fortuné-e-s auront toujours l’argent pour utiliser le système privé. Ils et elles ne sentiront donc pas l’effet négatif des coupures.

Pendant qu’il coupe dans les services publics, le gouvernement annonce une diminution des tarifs d’électricité et des congés fiscaux pour les entreprises. Il a même clairement affirmé qu’il utiliserait les potentiels surplus dégagés par les mesures d’austérité pour diminuer les impôts. Récemment, il a aussi proposé d’augmenter les taxes à la consommation pour ensuite baisser les impôts sur le revenu. C’est d’ailleurs ce que propose le rapport Godbout. Or, les diminutions d’impôts successives depuis le début des années 2000 ont déjà privé l’État de 4,5 milliards de dollars par année, tout en favorisant surtout les haut-e-s salarié-e-s. [2]
Ces baisses d’impôts ont surtout pour effet d’alléger le fardeau fiscal de ceux et celles qui gagnent le plus, car ce sont eux et elles qui payaient aussi le plus d’impôts [3]. Dans les faits, le système fiscal québécois désavantage principalement les contribuables dont le revenu se situe entre 25 000$ et 69 999$ [4], ce qui participe à reproduire le inégalités économiques.

Tout indique que l’austérité du gouvernement vise à diminuer la redistribution, favoriser la destruction des services publics et à accroître les revenus des plus riches et la profitabilité des grandes entreprises. Est-ce nouveau ?

Depuis 30 ans, les riches s’enrichissent… et nous ?

De 1945 à 1975, les salaires étaient ajustés à l’accroissement de la richesse. Grâce à leurs luttes, les travailleurs et travailleuses ont obtenu des augmentations salariales à peu près équivalentes à l’accroissement de la productivité.

Au Québec, la multiplication des grèves et des moyens de pression au cours des années 1960 et 1970 a permis d’obtenir des victoires importantes en termes de développement des services publics et d’augmentation du niveau de vie pour la majorité. La rapidité avec laquelle la population a remporté ces nouvelles avancées a forcé une meilleure redistribution de la richesse, ce qui a toutefois réduit la marge de profits des entreprises et les revenus des plus riches.

Les plus riches ont donc voulu répondre à cette menace. Ce qu’on appelle le « néolibéralisme », c’est le projet politique de l’élite économique pour renverser cette tendance et préserver sa richesse et son pouvoir.

À partir du milieu des années 1970, partout autour du globe, le programme néolibéral a été le suivant :

Réduire les impôts des entreprises et du secteur bancaire

Au Québec, le gouvernement récoltait 32% de ses revenus auprès des entreprises en 1963. Aujourd’hui, ce ratio est de 14%. Pourtant, les profits des entreprises n’ont pas diminué - au contraire. Le fardeau fiscal pour payer les services publics repose en grande partie sur les travailleuses et les travailleurs [5]. Les mécanismes de redistribution de la richesse à travers la fiscalité de l’État sont donc beaucoup moins efficaces qu’avant.

Établir des traités de libre-échange

La multiplication des traités de libre-échange coïncide avec l’ère néolibérale. Alors qu’en 1975, seulement 6 traités de libre-échange étaient en vigueur, aujourd’hui, il y en a plus de 400 [6]. Ces traités permettent avant tout aux entreprises de déménager leur production dans des pays où les salaires sont plus faibles et où les impôts sont moins élevés. Cela place les travailleurs et les travailleuses en compétition les un-e-s avec les autres à l’échelle internationale et les force à accepter des concessions par peur que l’entreprise déménage.

Affaiblir les syndicats

La récession économique à laquelle nous avons assistée au début des années 1980 s’est traduite par une hausse importante du taux de chômage et, par le fait même, à une accentuation de la compétition entre les travailleurs et travailleuses sur le marché du travail. Les gouvernements ont alors eu recours à de nombreuses lois spéciales pour casser les reins du mouvement syndical et lancer un message clair aux travailleurs et travailleuses : leurs attentes en termes de niveau de vie doivent cesser. On ne fait pas exception au Québec : en 1982, le Parti Québécois, alors dirigé par René Lévesque, impose une loi spéciale qui met fin aux négociations du front commun dans le secteur public.

Nous pouvons aussi observer dès les années 1960 une contre-offensive du patronat qui se traduit par une multiplication des compagnies spécialisées dans le « cassage » de grève et une explosion des pratiques anti-syndicales. Toutes ces attaques ont pour effet de réduire le nombre de grèves, d’abaisser drastiquement le taux de syndicalisation et de faire stagner les salaires des travailleurs et des travailleuses. Ironiquement, la réponse des syndicats a été de faire des compromis avec le patronat pour maintenir la profitabilité des entreprises, ce qui s’est traduit par l’acceptation de concessions au détriment des conditions de travail à chaque ronde de négociation.

Réduire ou privatiser les services publics

La privatisation des services publics a plusieurs facettes. D’une part, les gouvernements ont réduit leurs dépenses dans les services publics par l’abolition de services, par le transfert de services dans le réseau communautaire et par des mises à pied. Ces coupures ont permis à l’État de dégager des sommes d’argent qui ont été utilisées pour accorder des baisses d’impôts qui ont surtout profité aux entreprises, aux banques et aux plus riches.

La sous-traitance au sein des services de l’État participe également à cette tendance. En faisant appel aux entreprises privées pour obtenir des services au lieu d’embaucher le personnel nécessaire directement au sein de la fonction publique, le gouvernement contourne les conventions collectives des syndicats du secteur public. Cela transforme la nature même de ces services, désormais soumis aux exigences de profitabilité des entreprises qui les fournissent et non pas aux besoins réels de la population. La sous-traitance réduit également l’expertise disponible au sein du secteur public. L’État devient donc de plus en plus dépendant de compagnies qui ne cherchent qu’à faire des profits.

Le projet néolibéral vise aussi à instaurer une logique utilisateur-payeur dans les services sociaux qui remet en question leur universalité, ce qui ouvre la porte à leur privatisation. La santé ou l’éducation, par exemple, ne sont donc plus considérés comme des droits fondamentaux, mais plutôt comme des marchandises vendues par l’État, en compétition avec les entreprises privées. L’une des conséquences de cette privatisation est de restreindre l’accessibilité aux services, ce qui accroît les inégalités sociales. D’autre part, la privatisation des services publics affecte d’abord les femmes qui constituent la majorité des travailleuses de ce secteur. Cela affaiblit leur rapport de force et leur capacité d’organisation collective, en plus de favoriser entre elles une compétition internationale.

Le programme néolibéral, appliqué par les élites économiques partout autour du globe, explique en grande partie la stagnation de nos conditions de vie depuis 30 ans, même si l’économie ne cesse de croître. Toutefois, seule une minorité de privilégié-e-s profitent de la croissance. Le graphique qui suit illustre l’écart croissant entre l’évolution de la productivité du travail et la part qui revient aux travailleurs et travailleuses sous forme de salaire.

De 1947 à 1975, les salaires ont augmenté au même rythme que la croissance de la productivité. Pendant ce temps, la part des revenus contrôlés par les plus riches a diminué. À partir de 1975, les salaires ont stagné malgré les gains ont productivités, alors que la part des plus riches a augmenté très rapidement.

L’austérité, ce n’est donc pas quelque chose de nouveau. Les mesures prises par le gouvernement Couillard sont simplement plus drastiques qu’à l’habitude, mais il s’agit de la poursuite des politiques néolibérales en vigueur depuis plus de 35 ans.

Walmartisation du travail : précarité au menu

Dans les années 1980, l’implantation de la multinationale Walmart et de ses semblables a entraîné une dégradation importante des conditions d’emploi dans le secteur des services. Dans plusieurs régions, la compétition sauvage et la pression à la baisse sur les salaires imposée par les multinationales ont causé la fermeture de plusieurs commerces locaux. La délocalisation de la production vers des pays où les salaires sont bas permet aux multinationales de dégager une marge financière pour offrir des produits à bas coûts contre lesquels ne peuvent rivaliser les productrices et producteurs locaux.

Au cours des dernières années, les politiques des gouvernements fédéraux et provinciaux concernant entre autre le chômage et la retraite et visant la « relance de l’emploi » ont plutôt eu pour effet de favoriser une hausse des emplois faiblement payés, précaires et à temps partiel dans le domaine des services. Nous pouvons constater une décroissance des emplois industriels, généralement mieux rémunérés, alors que les emplois dans les services, mal rémunérés, sont en croissance, qu’ils soient dans le secteur de la vente au détail, des services sociaux ou de la restauration.  

Ces emplois sont principalement occupés par des jeunes, des femmes et des personnes de 55 ans et plus. Les femmes occupent plus des deux tiers des emplois à temps partiel dans le secteur des services. Ce phénomène a des conséquences importantes pour les travailleuses. Travaillant souvent au salaire minimum et sans avantages sociaux, elles doivent aussi vivre avec des horaires irréguliers qui rendent difficile la planification de leur vie personnelle et familiale [7].

L’échec de la concertation

Depuis les années 1980, les syndicats privilégient le dialogue et évitent la confrontation. Pour maintenir une image d’acteur « raisonnable », ils adoptent une stratégie de « concertation » avec le gouvernement en tentant de le convaincre avec des études et des publicités.

On entend souvent d’ailleurs, de la part des leaders syndicaux, que l’austérité est une « mauvaise » politique économique qui plongerait le Québec en récession et que le gouvernement est victime d’un « aveuglement idéologique ». Le problème avec le discours syndical actuel, c’est qu’il laisse entendre que le gouvernement est simplement dans l’erreur : soit il est incompétent et il suffit de le changer, soit il s’est trompé et il suffit de le convaincre.

Au contraire, le gouvernement est très conscient des effets de son programme : les coupures, au nom de la « rigueur budgétaire », permettront aux riches de s’enrichir encore plus. Ceci n’est pas une théorie du « complot » - à vrai dire, la classe politique n’a pas besoin de comploter pour mettre en oeuvre des mesures favorisant les riches. En ce moment même, Legault, Péladeau, Leitão et bien d’autres sont directement issus du milieu des affaires. Ceux et celles qui dirigent la politique parlementaire proviennent du monde de la business et les gens qu’ils côtoient viennent aussi de ce milieu. C’est pourquoi même lorsque l’on change un grand parti pour un autre, c’est toujours la même politique néolibérale qui est appliquée. Venant du même milieu, ces personnes ont les mêmes intérêts.

Nous ne pouvons donc pas convaincre le gouvernement de faire marche arrière avec de bons arguments, car il défend les intérêts des riches et sait pertinemment que l’austérité permet d’accroître la richesse des possédant-e-s. Il ne sert plus à rien d’essayer de faire valoir notre argumentaire auprès des ministres et des député-e-s. Croire que le gouvernement est ouvert à une négociation raisonnable, c’est accepter d’avance les concessions.

Que faire pour renverser la tendance ?

Nous ne pouvons laisser aller le saccage continuel des services publics et la diminution perpétuelle de nos salaires et de nos conditions de travail. Or, si nous ne faisons rien, c’est bel et bien vers un appauvrissement toujours plus grand que nous nous dirigeons. Il faut renverser la tendance, une fois pour toutes.

Solution à court terme : bâtir un réel rapport de force

C’est seulement si le gouvernement croit que le bon fonctionnement de l’économie est en danger qu’il va céder. Les plus grandes augmentations de salaires de la fonction publique ont eu lieu pendant les négociations de 1972, car les syndiqué-e-s du secteurs public ont fait 10 jours de grève générale, suivis de plusieurs grèves illégales qui ont perturbé l’ensemble du Québec.

En 2012, c’est également grâce à leur rapport de force que les étudiant-e-s sont parvenu-e-s à bloquer le projet de hausse drastique des frais de scolarité imposé par le gouvernement libéral. C’est parce qu’elles et ils ont bloqué l’ensemble du système d’éducation pendant plus de six mois qu’il a été possible d’obtenir une victoire majeure.

De « front commun » à « front social »

Pour renverser la tendance, il faut toutefois élargir le but de nos luttes. En ce moment, le mouvement syndical considère la lutte pour les conditions de travail dans le secteur public comme une lutte distincte de la lutte contre l’austérité. C’est une erreur fondamentale.

Le seul moyen de renverser la tendance, c’est de cesser de se limiter aux petites victoires sectorielles. Même si l’on diminuait les coupures en éducation, que l’on augmentait légèrement les offres salariales pour la fonction publique et que l’on parvenait à rétablir certains services, nous subirions tout de même des reculs.

Pour renverser l’austérité, il faut forcer le gouvernement à aller chercher de nouveaux revenus dans les poches des plus riches. Une foule de mesures existent. D’ailleurs la Coalition opposée à la tarification et la privatisation des services publics a élaboré des alternatives fiscales qui pourraient rapporter 10 milliards de dollars par année à l’État québécois [8].

 Il serait possible de rétablir une « taxe sur le capital » des entreprises, c’est-à-dire une taxe sur la valeur des avoirs d’une entreprise. Cette taxe existait au Québec avant 2007, mais a été abolie par le gouvernement. Or, au cours des huit dernières années, on observe un phénomène de suraccumulation chez ces mêmes entreprises : plutôt que d’investir et de relancer la croissance, elles investissent leur argent sur les marchés financiers qu’elles considèrent comme plus rentables que l’économie réelle.

 Actuellement, il existe un crédit d’impôt sur les gains en capitaux, ainsi qu’un crédit d’impôt sur les gains en dividendes. Cela signifie qu’une personne qui s’enrichit grâce à des placements (actions, immeubles, etc.) paie moins d’impôts qu’une autre dont le revenu provient d’un salaire régulier. Abolir ces crédits d’impôt permettrait de récupérer près d’un milliard de dollars par année au Québec.

 Il serait possible d’ajouter des paliers d’imposition pour que l’impôt sur le revenu soit plus progressif. Cela permettrait de récupérer un milliard de dollars chez les plus fortuné-e-s.

Pour obtenir de telles concessions, il faut toutefois être très nombreux et nombreuses à faire pression sur le gouvernement. Au lieu de lutter pour des enjeux sectoriels, l’ensemble des mouvements pourrait se rallier autour d’une mobilisation commune pour que le gouvernement taxe les actionnaires, les haut-e-s salarié-e-s, les grandes entreprises et les banques. Ces nouveaux revenus pourraient ensuite être réinvestis pour améliorer les conditions de travail et donner des services gratuits et de qualité à la population.

Grève générale et désobéissance civile

Le mouvement syndical peut jouer un rôle central dans cette lutte. Les négociations du secteur public permettent à plus de 500 000 employé-e-s de faire une grève générale. Cette opportunité n’est toutefois jamais mise de l’avant par les centrales. Et mis à part quelques gains mineurs, la stratégie des centrales est vouée à l’échec : les conditions de travail reculent d’année en année, les services à la population diminuent et les médias parviennent tout de même à dépeindre les syndiqué-e-s comme des privilégié-e-s.

Pour renverser la tendance, il faut changer complètement de stratégie. En faisant des alliances avec les autres mouvements sociaux et en luttant directement pour une taxation des riches, les syndiqué-e-s du secteur public démontreraient qu’ils luttent pour l’ensemble de la population.

Il serait alors possible de mettre de l’avant la grève générale dans le secteur public comme un moyen de pression au bénéfice de tous et toutes. Comme l’objectif serait commun aux autres mouvements, les syndiqué-e-s pourraient compter sur l’appui du mouvement étudiant, des groupes communautaires, des groupes de femmes, des régions, etc.

Le gouvernement aurait alors beaucoup moins de légitimité pour adopter une loi spéciale. En 1972, la loi spéciale n’a pas réussi à arrêter le mouvement de grève générale, car la mobilisation était forte dans tous les secteurs de la société. En 2012 aussi, la loi spéciale contre les étudiant-e-s n’a pas pu briser le mouvement. Au contraire, cette dernière a renforcé l’appui populaire au mouvement de grève.
Il est temps de mettre de l’avant des moyens d’action combatifs et audacieux qui pourront faire plier le gouvernement. La grève générale et la désobéissance aux lois spéciales ne sont que deux exemples, mais ce sont des armes redoutables pour faire avancer notre cause. Le mouvement syndical doit cesser d’en avoir peur.

Démocratiser les syndicats

Pour convaincre nos collègues de travail de faire une grève, il faut toutefois que les syndicats soient perçus comme étant au service des membres. Trop souvent, les syndicats ont une structure très centralisée et distante des travailleurs et travailleuses. Le syndicalisme gagnerait à organiser plus souvent des assemblées générales locales et à donner le contrôle du plan d’action directement aux membres.
En ce moment, le plan d’action des centrales est élaboré au sommet, par une poignée d’élu-e-s et de permanent-e-s syndicaux. Même si ces personnes pensent bien faire, elles sont le plus souvent préoccupées par les contraintes juridiques et par la peur de perdre des membres au profit d’une autre organisation. C’est pourquoi les plans d’action syndicaux manquent souvent d’audace et de combativité.

S’il y avait plus d’assemblées générales avec un réel pouvoir sur le plan d’action syndical, les membres seraient mieux informés de l’actualité. Ce serait également plus facile de mobiliser pour des actions discutées directement par les membres. Les syndiqué-e-s ne voteraient pas nécessairement en faveur d’une grève générale, mais la question pourrait au moins être débattue par les personnes les plus directement concernées. Les centrales syndicales devraient encourager les initiatives locales et soutenir leur réalisation. Un mouvement syndical fort est assurément un mouvement syndical dynamique qui favorise le développement de l’autonomie de ses membres et la prise en charge des décisions directement par la base.

Vers une économie démocratique

Limites des réformes au sein du capitalisme

Même si nous parvenons à renverser la tendance grâce à une grève générale, nos gains seront toujours de courte durée. C’est que l’économie actuelle est contrôlée par quelques grandes entreprises, elles-mêmes controlées par une poignée de grands actionnaires et de PDG.

Cette concentration économique — inhérente au capitalisme — permet à une minorité de riches de décider où investir, où développer des usines et des centres de recherche, où creuser des mines, où embaucher. C’est cette minorité qui décide de la direction que prend le développement économique. Elle prend ses décisions en fonction d’un seul critère : la quantité de profits qu’elle peut soutirer.

Plus ses coûts de production sont bas, plus elle peut dégager de profits. C’est pourquoi les entreprises préfèrent investir là où les salaires sont faibles, où les impôts sont bas et où les normes environnementales sont peu coûteuses à respecter. Avec les traités de libre-échange, le Québec se trouve en compétition sur tous ces facteurs avec les autres pays. Ainsi, les réformes « néolibérales » pour rendre le Québec plus « compétitif » visent surtout à réduire les salaires, les taxes et les normes pour rendre le Québec « attrayant » aux yeux des investisseurs. La croissance économique du Québec devient donc dépendante des choix d’une minorité de riches, faits en fonction de leur capacité à réaliser des profits.

À court terme, un bon rapport de force peut permettre de protéger nos acquis et d’augmenter nos salaires. Mais à long terme, nous devons mettre fin au contrôle de l’économie par cette minorité de grands actionnaires.

L’alternative que nous proposons, c’est que la population reprenne le contrôle de l’économie. En ce moment, les grandes entreprises sont dirigées par des PDG et des grands actionnaires qui ne recherchent que le profit. Il faut changer cette structure. Au lieu de cela, les finalités de l’économie devraient être décidées par la population, tandis que les employé-e-s devraient contrôler eux-mêmes et elles-mêmes leurs entreprises. La production serait ainsi axée sur les besoins de la population et non sur la course au profit. Il est évident qu’un changement comme celui-là signifie de repenser notre rapport au travail (temps, production, surconsommation).

Remplacer la direction de l’économie par les actionnaires par celle de l’ensemble de la population, c’est transformer une économie privée en une économie sociale. C’est pourquoi notre projet, sur le plan économique, est une forme de socialisme. Ce socialisme que nous proposons se veut profondément démocratique - le but n’est pas de transformer l’économie pour créer une nouvelle élite comme ce fut le cas en URSS, mais plutôt de mettre pour de bon le contrôle de la société entre les mains de tous et toutes.

Pour des salaires décents et des emplois valorisants

La recherche du profit maximum pousse les entreprises à toujours vouloir réduire nos salaires et augmenter la cadence de travail. Dans le secteur privé, on nous menace de déménager l’entreprise ailleurs si l’on n’accepte pas des baisses de conditions de travail considérables. Dans le secteur public, la réduction des salaires permet au gouvernement de dégager la marge de manoeuvre nécessaire pour subventionner les entreprises ou réduire leurs impôts. Un nouveau projet de société permettrait d’offrir un salaire décent à tout le monde : l’argent accaparé par les actionnaires sous la forme de profits serait plutôt redistribué à tous et à toutes. Au Québec seulement, la redistribution des profits des entreprises aux travailleurs et travailleuses représenterait, en moyenne, une hausse de 20 à 30% de la rémunération de chacun-e [9] (incluant les avantages sociaux).

De plus, les abolitions de postes et la rationalisation perpétuelle du personnel rend nos emplois de plus en plus aliénants. Le rythme de travail est épuisant et nous sommes de plus en plus nombreux et nombreuses à être atteint-e-s de burnouts et autres maladies professionnelles. Pour les patrons, presser le citron au maximum maximise leurs profits, mais pour la société dans son ensemble, il est tout à fait contreproductif de surcharger les travailleurs et les travailleuses jusqu’à l’épuisement professionnel. Reprendre le contrôle collectivement de notre économie, c’est aussi s’assurer que le rythme de travail nous permette de faire un travail valorisant et de qualité tout au long de notre vie active. Mais pour cela, il faut que l’objectif des organisations qui nous emploient ne soit pas le profit infini, mais plutôt le bien-être de la population.

Pour une véritable démocratie

Tant qu’une minorité contrôlera les entreprises, nos gouvernements seront « liés » aux intérêts de ces ultra-riches. Ce sont ces riches qui financent les campagnes électorales, qui contrôlent les médias et ce sont eux qui décident où ils et elles investiront pour créer des emplois. Sur le long terme, les grands actionnaires et les chefs d’entreprises auront toujours les moyens d’influencer le processus électoral et ils auront toujours les moyens de contraindre un gouvernement élu pour que celui-ci gouverne pour leurs intérêts.

Pour reprendre le contrôle de notre gouvernement, nous devons nous attaquer directement à la source du pouvoir de ces ultra-riches. Nous devons mettre fin à la propriété privée des entreprises et y substituer une propriété collective et démocratique. C’est seulement si les entreprises sont contrôlées par l’ensemble de la population, plutôt que par une minorité, que nous pourrons prendre des décisions collectives véritablement démocratiques.

Pour un avenir écologique

Sous le capitalisme, le progrès technologique dépend des profits que peut tirer une compagnie d’une innovation. Ainsi, plusieurs nouvelles technologies qui auraient pu être bénéfiques pour l’ensemble de la population ne sont pas développées, car elles mettent en danger certaines industries hautement profitables. Nous pouvons penser à l’exemple de la voiture électrique. Les compagnies qui oeuvrent dans l’industrie de l’automobile ainsi que dans celle des hydrocarbures n’ont aucun intérêt à favoriser le développement des sources d’énergie alternatives. C’est que faire une transition vers la voiture électrique mettrait en danger la fortune des plus grandes entreprises (cinq des dix entreprises mondiales dégageant le plus de revenus oeuvrent dans le secteur du pétrole) [10].

Le contrôle démocratique des entreprises permettrait de prioriser les innovations qui bénéficient à tous et toutes plutôt que celles qui génèrent le plus de « profits ». C’est seulement ainsi que nous pourrons dépasser la contradiction entre écologie et développement économique. Tant que notre économie dépend des choix d’investissement des ultra-riches, nous devrons nous plier à leurs intérêts. Nos gouvernements nous répéteront sans cesse cette maxime du ministre Leitão : « ce n’est pas vrai qu’on va détruire l’économie pour sauver l’environnement ».

Pour libérer la créativité humaine

Également, pour faire des profits, une entreprise doit protéger les innovations par un système de brevets. Les brevets empêchent le partage de nouvelles innovations et ralentissent le développement. On nous répète souvent que sans ces brevets, personne ne ferait de nouvelles inventions, mais cela est seulement vrai sous le capitalisme. De nos jours, les plus riches ne font des investissements en recherche que lorsqu’ils croient pouvoir en tirer des profits. Ce ne sont toutefois pas les propriétaires d’entreprises qui font la recherche, mais plutôt les scientifiques et les ingénieur-e-s. Or, ces derniers ne bénéficient pas des brevets. Pire, les brevets peuvent aussi freiner l’innovation. Les entreprises vont parfois breveter un produit dans l’unique but d’éviter qu’un concurrent le développe. De cette façon, les capitalistes peuvent tirer le maximum de profit de leur produit déjà commercialisé. Pour eux, les brevets sont donc nécessaires.

Si les entreprises étaient contrôlées par la population, les investissements en recherche seraient faits au bénéfice du bien commun, plutôt que pour la recherche des profits. Nous n’aurions alors pas besoin d’un système de brevets. Les nouvelles technologies pourraient être librement partagées au bénéfice de tous et de toutes. Les scientifiques et les ingénénieur-e-s, au lieu de travailler dans le secret des laboratoires industriels des multinationales, pourraient partager leurs découvertes avec l’ensemble de la communauté.

À quoi ressemblerait une économie démocratique ?

Le projet de société que nous décrivons n’a pas encore été réalisé - c’est à nous tous et toutes d’en définir la forme exacte. Nous savons toutefois qu’il est possible de s’organiser de manière démocratique : les coopératives de travail et de consommation, ou encore les assemblées générales étudiantes et syndicales en sont des exemples concrets. Le défi consiste à concevoir comment les principes de la démocratie peuvent être appliqués à grande échelle au sein de l’économie. Il n’y a pas de réponse simple à cette question : la démocratisation de l’économie sera forcément un processus dont la forme exacte se précisera au travers de l’expérience collective. Il est toutefois possible d’identifier deux grands principes pour guider la démocratie économique :

1 - La direction générale de l’économie doit être déterminée par l’ensemble de la population.

2 - La gestion quotidienne du lieu de travail doit être contrôlée par les travailleuses et les travailleurs.

Les moyens concrets à utiliser pour réaliser cette démocratie peuvent être multiples. Il peut s’agir de référendums, d’élections, d’assemblées générales ou de consultations électroniques. Tout dépendant de la taille de la coopérative ou de la population, l’important sera de choisir les moyens démocratiques appropriés en fonction du contexte.

Plusieurs exemples d’organisation collective, communautaire et démocratique ont été mis en oeuvre de manière relativement marginale au cours des deux derniers siècles. Bien que ceux-ci aient eu une portée limitée face au pouvoir de l’élite économique capitaliste, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’initiatives inspirantes qui ont agi à titre de laboratoire en matière d’innovations sociales et économiques.

Parmi les expériences concrètes, on retrouve le modèle québécois de la Tricofil [11], l’exemple basque de la Corporation coopérative de Mondragon ou encore les vagues de récupération d’usines en Argentine. Dans le secteur de la santé, la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles est aussi un exemple important d’une gestion politisée, démocratique, publique et participative. L’expérience de Mondragon est exemplaire en ce qu’elle a suscité le développement d’un large réseau de coopératives de production, de recherche et de mutuelles d’assurances collectives pour assurer sa viabilité. Les reprises d’usines en Argentine ont quant à elles démontré qu’il était possible d’assurer la production sur la base de conseils ouvriers de gestion. Mais tant que nous ne transformerons pas le système économique dans son entièreté, ces petits espaces de démocratie économique seront contraints par la compétition des multinationales qui, elles, n’hésitent pas à sacrifier le bien-être des êtres humains pour écraser leurs compétiteurs.

Conclusion

La lutte contre l’austérité et contre les politiques néolibérales est nécessaire et doit se mener par la constitution d’un front social regroupant plusieurs groupes sociaux, syndicaux, étudiants et communautaires. La lutte contre l’austérité n’est pas celle d’un printemps ; elle doit être la lutte d’une classe qui se bat sur le long terme pour construire la société de demain. C’est pourquoi nous croyons, au Front d’action socialiste, qu’il faut rompre avec l’ordre établi. Le capitalisme est un système basé sur la quête perpétuelle d’un plus grand profit, et ce, en exploitant les êtres humains et la nature. Le capitalisme n’est pas une finalité, ni l’aboutissement du monde, bien au contraire.

Luttons contre l’austérité, luttons pour le socialisme.


Libre de droits - 2015 Front d’action socialiste

Illustration sur la couverture : Artact Qc
Ce livret a été écrit et produit par le Front d’action socialiste.
socialiste.org | fas@socialiste.org

Avril 2015


[1Francis Fortier et Simon Tremblay-Pépin, État de la dette du Québec 2014, IRIS, http://iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2014/12/Dette-Web-05.pdf

[3Lessard, Denis. « Fiscalité : le rapport Godbout préconise une refonte en profondeur », La presse, 19 mars 2015, http://affaires.lapresse.ca/economie/quebec/201503/19/01-4853744-fiscalite-le-rapport-godbout-preconise-une-reforme-en-profondeur.php

[4Francis Fortier et Bertrand Schepper, « Le système fiscal québécois désavantage la classe salariée », IRIS, Janvier 2014, http://iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2014/07/Evitement-WEB.pdf

[5Frédéric Rogenmoser et Martine Lauzon, « L’analyse du fardeau fiscal des particuliers et des entreprises au Québec et au Canada », décembre 2014, http://www.lese.uqam.ca/pdf/note_14_fardeau_fiscal_entreprises_particuliers.pdf

[6Organisation Mondiale du Commerce - https://www.wto.org/english/tratop_e/region_e/regfac_e.htm

[77. Mayer, Stéphanie, « Les effets de la libéralisation des marchés sur les conditions de travail et de vie des femmes : le cas Walmart », 2013, http://www.ffq.qc.ca/2013/06/les-effets-de-la-liberalisation-des-marches-sur/

[8Coalition opposée à la tarification et la privatisation des services publics, Tableau des solutions fiscales, février 2015, http://nonauxhausses.org/wp-content/uploads/TableauSolutionsFiscales2015.pdf

[9Ce ratio est calculé à partir du tableau 384-0007 de Statistique Canada en divisant le surplus d’opération net des corporations par la rémunération globale de employé-es.

[10« Global 2000 », Forbes, [en ligne], http://www.forbes.com/global2000/

[11Pelletier, Jean et al. « Tricofil, l’utopie des ouvriers-patrons », Radio-Canada, 20 mai 2014 http://ici.radio-canada.ca/emissions/tout_le_monde_en_parlait/2014/reportage.asp?idDoc=338335

Sur le même thème : Politique d’austérité

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...