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Travail

Projet de loi 19 sur l'encadrement du travail des enfants - Les élèves provenant de milieux défavorisés seraient pénalisés davantage

MONTRÉAL, le 20 avril 2023 - La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) salue le dépôt du projet de loi 19 sur l’encadrement du travail des enfants, mais elle estime que le ministre du Travail, Jean Boulet, ne va pas assez loin. Jeudi prochain, en commission parlementaire, elle lui demandera de réduire de 17 à 10 heures le nombre d’heures qu’un élève peut travailler par semaine et de limiter à 4 le nombre d’heures travaillées en semaine, soit du lundi au vendredi. Autrement, certaines dispositions pourraient nuire à l’obligation de fréquentation scolaire et ce sont les élèves issus des populations les plus défavorisées qui seraient les plus sujettes et sujets à succomber aux chants des sirènes des revenus d’emplois exigeant peu ou pas de qualification. Il faut aussi investir dans la recherche en santé et en sécurité au travail chez les enfants, en raison des hausses alarmantes d’accidents au cours des dernières années.

Les enseignantes et les enseignants de l’école publique qu’elle représente sont parmi les mieux placés pour témoigner des effets du travail sur certaines populations d’élèves, notamment celles et ceux issus de milieux défavorisés. Or, après analyse de l’emploi du temps typique d’une ou d’un élève du secondaire de 14 à 16 ans, la FAE conclut, en comptant en moyenne 9 heures de sommeil par nuit, que le projet de loi dans sa forme actuelle ne laisserait à un élève qu’entre 2 et 6 heures par jour, en semaine, pour voir sa famille, socialiser avec ses pairs, prendre du temps pour elle ou lui, se reposer, etc. Si une ou un élève travaillait 10 heures en semaine, comme dans ce projet de loi, ceci implique que, dans certaines situations, l’élève n’aurait aucune heure de libre en semaine. La situation serait toutefois moins tendue en termes d’horaire la fin de semaine.

En effet, les horaires réguliers des écoles secondaires varient de 7 heures à 8 heures par jour, incluant les cours, les battements entre les cours et les dîners. Toutefois, les projets pédagogiques particuliers (PPP) ou les activités parascolaires, très répandus, peuvent parfois augmenter significativement le temps de présence à l’école. À ces heures de fréquentation scolaire s’ajoutent évidemment les devoirs, leçons et travaux à faire à la maison, dont la quantité et la durée varient en fonction de divers facteurs (participation de l’élève à un PPP, facilité ou difficultés scolaires de la personne, etc.) Enfin, en tenant compte des transits écoles-domiciles (quel que soit le moyen de transport), il est possible d’évaluer le temps de déplacement de 30 minutes à 1 heure par jour, voire plus, selon les cas.

« Un tel horaire a inévitablement un impact, pour la majorité des élèves, sur leur niveau de fatigue, leur niveau de concentration, de motivation, en plus de risquer de générer du stress et de l’anxiété. Comment peut-on justifier qu’une semaine régulière de travail est de 40 heures pour un adulte et imposer un horaire de 60 heures par semaine pour un ou une jeune de 14 ou 15 ans ? Nous devons favoriser d’abord et avant tout la réussite scolaire des élèves et nous devons leur garantir les conditions pour le faire », souligne Mélanie Hubert, présidente de la FAE.

Par ailleurs, ce projet de loi ne touche pas le nombre d’heures en période de non-fréquentation scolaire. Par exemple, un élève pourrait bel et bien, pendant la période des fêtes, travailler plus de 40 heures par semaine, cumuler des heures supplémentaires, ne pas avoir de temps de se reposer et revenir fatigué à l’école en janvier. Notons également que les heures supplémentaires haussent les risques pour la santé et la sécurité au travail, notamment l’atteinte à l’intégrité physique et psychique, ce qui a un impact sur la réussite scolaire de l’enfant. C’est pourquoi la FAE recommande aussi d’interdire les heures supplémentaires aux enfants assujettis à l’obligation de fréquentation scolaire et de mettre un nombre d’heures de travail maximales par semaine de 40 heures et par jour de 8 heures en toute période de plus de 7 jours consécutifs au cours de laquelle aucun service éducatif n’est offert à l’enfant.

Tous les jeunes ne sont pas égaux face au marché de l’emploi

La FAE estime également que l’accès au travail des enfants doit être bien encadré, puisque tous les jeunes ne sont pas égaux face au marché de l’emploi. Le lien entre pauvreté et décrochage scolaire n’est plus à faire : l’origine socioéconomique des élèves est un des premiers déterminant de la réussite scolaire. Cela se reflète directement sur les taux de diplomation et de qualification par cohorte. Par exemple, en 2015-2016 au Québec, le taux d’obtention du diplôme d’études secondaires (DES) ou d’une qualification dans le réseau public est de 70 % en milieu favorisé, mais de 52,7 % en milieu défavorisé. Pour la même cohorte, 87,6 % des jeunes qui fréquentent l’école secondaire privée obtiennent un diplôme ou une qualification après cinq ans.

Or, l’attrait du marché du travail est aussi l’une des raisons du décrochage scolaire, particulièrement chez les garçons. Certains jeunes choisissent aussi d’entrer sur le marché de l’emploi pour subvenir à leurs propres besoins ou pour participer au revenu familial. Dans le contexte inflationniste actuel, où se nourrir et se loger sont devenus un véritable parcours du combattant pour certaines familles, cet enjeu devrait également préoccuper le législateur. La pauvreté étant l’un des facteurs les plus importants en matière de décrochage scolaire, l’entrée sur le marché du travail des enfants pour pallier ce problème n’est certainement pas une solution. Des solutions fiscales et une amélioration de la qualité et de l’accessibilité des services publics et des programmes sociaux devraient être une priorité pour le gouvernement.

Investir dans la recherche en santé et sécurité au travail chez les enfants

Malgré plusieurs mesures de prévention, les statistiques démontrent que les lésions professionnelles sont en constante augmentation, particulièrement chez les jeunes. Pour l’année 2021, alors que le nombre d’accidents du travail, toutes catégories d’âge confondues, était en diminution par rapport à l’année précédente, l’on constate une augmentation importante de 11,6 % chez les moins de 20 ans. Sur une plus longue période, le constat est alarmant. De 2012 à 2021, chez les travailleuses et travailleurs de 16 ans, le nombre d’accidents du travail a bondi de 17 %, tandis que chez les 15 ans, une explosion de 221 % a été constatée ; du côté des 14 ans et moins, c’est purement catastrophique, avec une augmentation de 392 %.

Les violences physique et psychologique peuvent entraîner des maladies, telles la détresse psychologique et la dépression, voire des idées suicidaires. Ces maladies peuvent avoir des effets persistants sur la santé des élèves travailleuses et travailleurs et ce type de lésion professionnelle aura assurément des impacts sur leur scolarité à court terme et entraînera potentiellement des séquelles pour le reste de leur vie. « Sachant qu’il y a une pénurie de personnel dans l’ensemble des sphères d’activité et qu’elle ne semble pas vouloir s’estomper à court terme, les jeunes sont et seront de plus en plus appelés à travailler, et ce, de plus en plus tôt. La situation risque de ne pas s’améliorer à brève échéance. Comme enseignantes et enseignants de l’école publique, ces statistiques et la situation actuelle de l’emploi nous interpellent concernant la réussite scolaire des élèves », ajoute Mélanie Hubert, présidente de la FAE.

Ainsi, comme les statistiques de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) ne prennent pas en compte les lésions professionnelles qui n’ont pas nécessité de réclamation, la FAE recommande aussi : 1. Qu’elle mette en place des mesures annuelles de suivi, telles des statistiques ventilées par tranches d’âge et différenciées pour les femmes et les hommes permettant d’obtenir un portrait de la situation des travailleuses et travailleurs de 17 ans et moins. 2. Qu’elle mette en place un projet de recherche sur les lésions professionnelles chez les élèves travailleuses et travailleurs de 16 ans et moins afin d’en dégager des constats permettant d’orienter les actions de tous les intervenants pour le futur.

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