À titre de co-éditrice de ce texte, j’étais alors invitée à prendre la parole, en tant que témoin privilégiée de ce récit de femmes et pour souligner plus particulièrement l’appui soutenu de plusieurs personnes venant du Nord (coopérantes volontaires et autres) tout au long des parcours de ces femmes courageuses et déterminées, vivant dans les villages miniers au Pérou, qui nous ressemblent tellement et qui nous rassemblent ici ce soir.
Cette présentation à Lima était également l’occasion de célébrer l’anniversaire de l’association Filomena dont l’historique est relaté dans le livre. En effet, il y a un peu plus de 30 ans, au Pérou, se constituait officiellement une ONG de femmes dont j’ai eu le bonheur d`être l’une des trois co-fondatrices. Ce collectif, cette association, regroupait des femmes participant dans des « comités de amas de casa » et vivant dans des campements miniers, villages parsemés ça et là dans les Andes péruviennes, certains même s’étalant jusqu’au pied de la cordillère.
« Los comités de amas de casa »…..que pour les fins de la traduction nous avons identifiés bien timidement par « comités de ménagères »…. (l’expression en langue espagnole étant évidemment beaucoup plus poétique). Mais voilà, en français, on aurait pu traduire par « comités de femmes au foyer » ou « comités de maîtresses de maison » Nous avons plutôt optés pour « comités de ménagères » parce que ces femmes « a-ménageaient » leur vie pour survivre dans les conditions pénibles des campements miniers de l’époque. Elles se sont toujours engagées avec une volonté ferme à « ménager » - dans le sens de sauver - la vie de leur famille, de leurs proches, dans des conditions difficiles au quotidien et elles ont aussi littéralement « sauver » de nombreuses vies lors des grèves ou des luttes qui étaient trop fréquentes …
Il faut savoir qu’à chaque année, dans les centres de travail miniers, il y avait renouvellement des conventions collectives (donc possibilité de conflit, de grève et de longue marche de sacrifice). Les revendications et les luttes de ces « comités de ménagères » visaient également à « ménager » - à prendre soin de… l’environnement, de la santé, de l’eau, de l’air etc.
Comme l’écrit Patricia Amat (p. 25) : …« l’exploitation minière bouleverse la vie des populations installées autour des sites miniers, transforme leur environnement naturel de manière irréversible, entrave leur relation à la Terre Mère, pollue leurs sources d’eau, affecte leur agriculture et leurs élevages et compromet gravement leur santé….Les femmes…passées maîtresses dans l’art d’assurer le bien-être de leur famille, ont appris à défendre leur environnement à en prendre soin et à réagir rapidement dans les situations d’urgence ».
Filomena c’est une ONG de femmes qui ont mis leur énergie, leur intelligence, leur volonté au service de l’organisation des femmes vivant sur les sites d’exploitation minière.
Elles ont, NOUS avons ensemble formé équipe et développé, élaboré une approche féministe originale avec les femmes du secteur des mines, par l’information et par une proposition de formation originale et d’avant-garde pour l’époque.
Dans le prologue du livre, Gina Vargas, grande féministe péruvienne, qualifie, plus ou moins dans ces mots, le travail réalisé par ce collectif....« les Filomenas ont réinventé la lutte des classes, grâce à la manière dont elles sont arrivées à faire le lien entre le travail de reproduction et le travail de production »
Les Filomenas ont soutenu activement l’organisation des comités de base dans les campements jusqu’à la mise en place d’une organisation de niveau national, à l’intérieur même des structures syndicales. Simultanément, les Filomenas ont imaginé et organisé des services de santé pour les femmes dans les villages miniers, elles ont proposé des démarches d’alphabétisation et encourager activement leur participation à la vie syndicale et politique et ce, toujours avec une ouverture internationale…
L’auteure, Patricia le souligne comme suit : (p.170) « une des expériences dont les filomenas se souviennent avec le plus d’acuité et qu’elles chérissent particulièrement demeure le travail quotidien avec les coopérantes québécoises qui les accompagnèrent pendant 10 ans dans leurs processus de réflexion et leurs démarches d’éducation populaire et féministe. En plus de mettre leurs connaissances et spécialisations au service des femmes……les coopérantes partagèrent aussi leur expérience se rapportant à l’égalité et au plein exercice de leurs droits. Par leur comportement quotidien et leur appel à l’auto-organisation et à l’autonomie des femmes, elles remirent respectueusement en question certaines façons de faire des femmes militantes péruviennes qui avaient évolué au sein des partis politiques et des syndicats. »
D’autres faits ont également été marquants dans le développement de cette conscience féministe et internationale, entre autre, on mentionne la visite de Domitila de Chungara, la femme minière bolivienne, venue rencontrer les femmes à Lima en 1985…
En même temps qu’on ne peut passer sous silence, la visite de la présidente du comité des ménagères de Minas Canaria, avec laquelle les ONG québécoises organisèrent une tournée de solidarité syndicale au Québec en 1984. À son retour, Eusébia Oré a témoigné de ce qu’elle avait vu et perçu avec les femmes du Québec. Ses réflexions et ses découvertes, suite à son séjour ici au Nord, au début, ne furent pas reçues très positivement au SUD…..les hommes ….et même certaines femmes de son comité se sont affolé devant de telles révélations, comme l’égalité, les droits. (p. 169) Mais par la suite, ces expériences sont devenues une référence qui a consolidé la volonté de ces femmes de se donner une organisation nationale autonome.
Ce livre relate également la vie, l’apport et l’influence de l’une des fondatrices, Consuelo Garcia. Il y a 2 ans, encore presque jour pour jour, en novembre 2014, le gouvernement péruvien se pliait enfin au jugement de la Cour interaméricaine des droits humains et reconnaissait sa responsabilité devant la mort violente de « notre »Consuelo, qui fut sauvagement assassinée, en 1989, par un commando d’extrême droite à la solde du gouvernement de l’époque, en même temps que Saul Cantoral, alors secrétaire général de la Fédération des travailleurs des mines du Pérou. Lucie, une ex-coopérante de SUCO, nous apporte son témoignage personnel face à ce drame de la disparition violente de Consuelo Garcia en 1989.
Saul Cantoral était un dirigeant syndical qui a fait avancer énormément le syndicalisme péruvien, dans le secteur des mines. C’est sous sa gouverne que les syndicats des mineurs ont réussi un « premier front commun » pour négocier tous ensemble une première convention collective nationale unifiée dans le secteur minier. Dans cette foulée, une délégation des comités de femmes (conjointes) ont même obtenu une place à cette table de négociation syndicale.
Comme le dit la chanson : « avec le temps, avec le temps, tout s’en va »…mais on sait aussi que les écrits restent. Voilà pourquoi en 2014, à l’occasion du 25e anniversaire de la mort de Consuelo, Patricia et les Filomenas ont souhaité que l’on se souvienne que l’on retrace la trajectoire de cette militante au sein de cette magnifique organisation qu’elle présidait.
Ces femmes qui vivaient dans les campements miniers ont lutté, souvent aux côtés du syndicat, mais la plupart du temps à partir de leur propre initiative avec leur comité de ménagères et combien trop souvent contre leur propre conjoint, (mais avec quelle ingéniosité !) Elles ont lutté pour libérer leur parole, leur avenir et celui de leurs enfants.
Dans ce livre, vous retrouverez donc citées les paroles directes de plusieurs de ces femmes. Elles nous parlent de leur vie, de leurs efforts d’organisation et de leur volonté de se donner une voie autonome et forte afin de pouvoir faire reconnaître leurs droits.
Mais, ce ne sera certainement pas une surprise de constater que l’histoire se conjugue souvent au présent. Ce livre propose donc une analyse critique de la situation actuelle vécue par les populations aux prises avec les nouvelles formes de « soi-disant » ou de « simulacre » de développement, par une exploitation minière démesurée.
Encore une fois, nous constatons nos ressemblances entre le Pérou et le Québec, c’est un même combat. Chez nous, on n’a qu’à penser à la population de Malartic et aux villages des premières nations où l’on démembre des territoires pour faire place à des projets d’excavation trop immenses.
Grâce à sa compétence et à son engagement féministe et sa présence active dans tous les enjeux « genre et économie » en Amérique latine, Patricia a su cerner les problématiques actuelles face à l’exploitation minière et l’ampleur du désastre causé par le saccage des ressources naturelles. Comment changer le cours de cette exploitation à grande échelle ? Il va falloir faire vite, car c’est une réelle course contre la montre !
Au Pérou, en 1991 – il y avait 2.5 millions d’hectares de concessions minières
En 2015 – on dénombre 24 millions d’hectares de terrains concédés.
Juste sur le territoire péruvien, il y a actuellement plus de 8 616 passifs, c.d des sites de déchets, de résidus de minerai (au Québec, il y en a près de 6 000 ha.)
Mais, aujourd’hui, ce ne sont pas uniquement les syndicats et les femmes qui résistent à ces saccages, mais des populations entières. Comme dans la vallée de San Lorenzo, zone agricole et prospère, pleine de citronniers, où la minière canadienne Manhattan voulait s’installer. Les communautés prenant conscience des démembrements des terres qui allaient s’en suivre, du danger de pollution des sources d’eau et du ravage des cultures, organisèrent une campagne de conscientisation si forte que l’ensemble des populations rejetèrent ce projet, grâce à une large mobilisation et à une véritable concertation de nombreux partenaires. Et encore avec beaucoup d’imagination….la bataille a été gagnée. Tout le monde sait bien comment quand on fait référence « a la comida » au Pérou, c’est gagnant. Le slogan gagnant de la campagne anti-mine a rejoint le cœur des péruviens. « Sans citrons, pas de ceviche »
Pour les travailleurs des mines d’aujourd’hui, les situations sont quelque peu inversées. À cause de l’exploitation actuelle des mines, bien souvent à ciel ouvert et non en tunnels et galeries, les entreprises ont délaissé leur responsabilité envers les familles –la loi des mines a été changé – et ont choisi de ne retenir que les travailleurs qui acceptent de vivre dans des barraquements en leur offrant des conditions de travail…encore plus dangereuses, comme des horaires atypiques (en concordance avec les accords internationaux de 20-10 ou 14-7 ) Ces conditions bouleversent encore plus les conditions des femmes et des familles. Les familles ne vivent plus aux abords « du trou de la mine », les campements n’existent presque plus. Les femmes ont perdu leur lieu d’appartenance et sont maintenant devenues des citoyennes plus anonymes dans les villes.
Dans ce contexte nouveau, les filomenas concentrent maintenant leurs activités dans la région de La Oroya (ville qui a la triste réputation d’être l’une des plus polluées au monde) où les problèmes de contamination causent de sérieux dommages à la santé de la population, particulièrement aux femmes enceintes et aux enfants. C’est un dilemme qui n’est pas prêt de se régler. C’est avec les jeunes maintenant que l’organisation Filomena tente de réagir et de poursuivre un travail de conscientisation .
Vers la fin du récit, plusieurs paroles de femmes viennent confirmer les leçons à tirer de cette aventure, et des témoignages plus directs de quatre de ces femmes, protagonistes principales de cette histoire, viennent cerner, couronner, confirmer l’ancrage des faits et des analyses. En effet, Esther, Hermelinda, Erlinda et Ana ont accepté, généreusement et humblement, de partager leur parcours vers la liberté, l’autonomie et témoignent des changements dans leur vie.…
« J’ai appris à être solidaire avec les autres femmes »
« Je savoure aujourd’hui la liberté et l’indépendance que je n’ai pas connues plus tôt »
EN CONCLUSION
Comme on le souligne dans la préface, nous voulons que ce récit, que ces réflexions servent. Nous vous les offrons, en version française afin que nous puissions continuer à partager cette solidarité Nord-Sud, qui s’est tissée entre nous, il y a déjà plusieurs décennies. Comme le suggère Patricia,
À la page195 quand elle insiste « …sur la nécessité de tisser, d’enlacer et d’unir ces tronçons d’expériences afin de confectionner une toile collective assez forte pour résister et exiger, tout en demeurant assez flexible pour écouter, accueillir et imaginer ».
BONNE LECTURE !
Marie-Claire Nadeau
Ex-coopérante SUCO Pérou
1982-1987 - co-fondatrice de Filomena
Co-éditrice « Les femmes et les mines : mémoires d’un parcours de résistance dans les Andes péruviennes » - version française de « Transitando caminos : mujeres y mineria » de Patricia Amat y Léon, Pérou. Nov. 2015.
DES REMERCIEMENTS.
D’abord un salut tout à fait spécial et une grande reconnaissance à Patricia Amat qui nous offre, avec autant de fierté que d’émotions, le fruit de son labeur des dernières années « Transitando caminos : mujeres y mineria » est un trésor de l’histoire de femmes au Pérou.
Merci à chacune de ces femmes qui ont accepté de livrer en tout ou en partie, leurs aventures, leurs complicités, leurs pas, les embûches qu’elles ont franchies dans ces parcours de résistance. À Esther Hinostroza, la présidente de Filomena, qui a permis tant de révélation.
Comme ces deux éditions du livre, tant en espagnol qu’en français, ont vu le jour grâce au soutien de notre réseau de solidarité au Québec, merci autant de fois, à chacune des personnes…..qui si généreusement ont accepté par amitié et solidarité de financer l’histoire que nous avons aujourd’hui entre nos mains. Il nous reste à la faire connaître, la diffuser, la partager.
Grâce à une équipe extraordinaire de bénévoles, dont Françoise Roinsol a été à la tête, nous avons réussi ce coup de maître de la traduction et de la présentation en français. Et se sont joints à nous de grands partenaires, identifiés au première page du livre. Merci pour ces contributions.
Merci ! À SUCO qui a accueilli ce projet de traduction et qui a mis ses ressources, les compétences de son équipe, son nom, sa renommée au service de cette production.
Il me faut dire que si, il y a plus de 30 ans, cette histoire avec les femmes minières a pu voir le jour, c’est grâce en grande partie à SUCO, à la forme de coopération volontaire que SUCO m’a permis de faire ; ce genre de coopération que l’on a défini à l’époque, lors de l’AGA de SUCO en 1985, comme une coopération de « solidarité directe ». Ceux et celles qui participèrent à cette assemblée se souviendront sans doute du texte d’orientation soumis par Joseph Giguère….à partir de la réflexion amorcée avec le collège des coopérants volontaires terrain du Pérou. Merci aussi à SUCO pour son partenariat soutenu avec Filomena durant de nombreuses années.
Dans le même sens, j’adresse un remerciement tout à fait spécial à la Caisse d’économie solidaire et au syndicat des employés de la Caisse qui, à l’époque de ‘85, s’étaient entendus pour que je puisse prolonger d’une certaine façon « un congé sans solde » afin de terminer mon mandat de coopération… de plus de 5 ans !. Chapeau à la solidarité de la caisse solidaire !
Enfin, à vous chères ami-e-s, qui accepterez de lire cette histoire, nous vous invitons à nous transmettre vos commentaires, (peut-être sur le Face Book de SUCO ou au courriel de Patricia, ou des Filomenas ou sur le mien), pour que nous puissions les faire suivre aux femmes du Pérou, aux Filomenas, aux féministes d’AL qui continuent leur combat pour une société solidaire qui respecte les rêves des femmes, pour une société juste, équitable, respectueuse.
Et merci au comité de travail de cet évènement.
ET ENCORE UNE FOIS, BONNE LECTURE !