Ce que nous dit Québecor :
– Les travailleuses et travailleurs s’étaient donnés un mandat de grève le 28 août.
– Québecor voulait avoir plus de latitude pour mettre à pied les personnes à son emploi tandis que le syndicat y était fortement opposé, donc la négociation était bloquée.
– Le syndicat avait refusé de signer une lettre permettant de faire appel à un arbitre. Dans cette convention collective particulière, un tel protocole est nécessaire si on veut faire appel à un arbitre sans passer par un conflit de travail.
– Considérant le passé militant de ce syndicat, l’employeur n’avait pas le choix de procéder à un lock-out pour « protéger les actifs de l’entreprise » et « assurer la continuité des opérations ».
Ce que le syndicat nous dit :
– La négociation avait commencé en mars dernier, à peine sept rencontres ont eu lieu, un très petit nombre de rencontres pour une négociation de convention collective.
– Il y avait encore de la place au compromis et des possibilités d’arriver à une entente, c’est pourquoi le syndicat n’entendait pas se servir de son mandat de grève tout de suite.
– Quebecor a remercié 15 travailleurs et travailleuses en janvier dernier et 35 autres en août. Il n’en reste donc que 44 en lock-out sur la centaine d’employés que comptait cette imprimerie située à Mirabel.
– Or, la convention collective prévoit un plancher d’emploi. Toujours selon le syndicat, un jugement d’arbitre soutient que les personnes congédiées en janvier devraient être réintégrées. Québecor conteste cette interprétation et dit que les personnes congédiées ne sont pas visées par le plancher d’emploi. Un autre jugement sur celles et ceux qui ont été congédiés en août pourrait suivre en décembre.
– L’employeur aurait fait, avant le début des négociations, une offre étrange de donner 15 M$ en indemnités de départ à une cinquantaine de personnes qu’il employait, montant que les autres auraient dû déduire de leur salaire.
Ce qu’on apprend en faisant un peu de recherche
– Québecor a annoncé en juillet 2015 des profits de 72 M$, et son chiffre d’affaires est en croissance pour le deuxième trimestre, ça semble donc aller relativement bien (en tout cas, mieux que dans les dernières années).
– Les pressiers et pressières du Journal de Montréal font partie de ces gens à qui le père Péladeau avait offert de bonnes, voire de très bonnes, conditions de travail. On disait la même chose, anciennement, des journalistes du Journal de Montréal. L’idée était simple et se résume comme suit : « Votre travail m’a permis de devenir riche, il est normal que vous soyez bien traités ». Avec les pressiers et pressières, Pierre Péladeau avait cependant une entente spéciale : il avait fait ajouter une clause à la convention collective qui interdisait tout conflit de travail de plus de 20 semaines. Le vieux renard ne voulait pas se faire faire le coup qui lui avait permis de lancer le Journal de Montréal aux dépends du Montréal Matin et de La Presse, alors en grève.
– Comme on le sait grâce à ce qui s’est passé avec les journalistes du Journal de Montréal, cette entente tacite n’a jamais plu à l’héritier Péladeau. Dans une biographie du père publiée chez Québec Amérique, on apprend qu’en 1993 le fils avait eu la responsabilité d’organiser le congédiement de nombreux pressiers et pressières. Il avait alors choisi de procéder à un lock-out pour renégocier la convention collective de ceux et celles qui avaient conservé leur emploi : « Il avait installé des presses dans une usine ontarienne – où la loi québécoise sur les briseurs de grève ne s’appliquait pas – et avait envoyé des cadres en formation afin qu’ils puissent remplacer les pressiers. Barbelés et agents de sécurité entouraient l’usine de Cornwall qui allait prendre la relève de l’imprimerie du 4545 Frontenac. »
– Le syndicat des Teamsters a répondu à ces mises à pied et à ce lock-out de façon musclée. La biographie de Péladeau évoque de l’intimidation, des pneus crevés et même des tirs de mitraillettes qui auraient fait voler des fenêtres en éclat dans les locaux du Journal de Montréal. Selon Luc Desaulniers, alors proche de Pierre Péladeau, ce dernier était grandement insatisfait de la gestion désastreuse des relations de travail menée par son fils : « Quand M. Péladeau a vu ça, il a appelé Pierre-Karl. Il était question qu’il le mette dehors. » Finalement, il n’y aura pas de renvoi mais un exil en Europe. Les négociations suivantes se feront sous les auspices du père.
– En 2006, l’entreprise est alors dans les mains du jeune héritier. Aucune négociation avec l’imprimerie de Mirabel ne se fera ensuite sans grève ou lock-out.
– La rumeur (que le syndicat relaie d’ailleurs) court depuis plusieurs semaines que Québecor aimerait se départir de l’imprimerie de Mirabel, raison pour laquelle, par exemple, elle fonctionnerait au tiers de ses capacités et ne prendrait plus de contrats commerciaux d’impression depuis la fin août. Les presses nec plus ultra de Mirabel n’imprimeraient que trois quotidiens alors qu’elles ont la capacité de faire bien plus (et donc de rapporter davantage à l’entreprise). On entend entre les branches que Transcontinental – qui a grossi récemment par l’achat d’hebdos de Québecor – serait intéressé. Cette transaction serait très logique : Québecor (qui a aussi cessé d’imprimer les journaux de la chaîne Sun dont elle s’est récemment départi) a de moins en moins besoin d’une imprimerie ; Transcontinental, de plus en plus. Québecor nie toute volonté de vendre cette imprimerie.
– Faire diminuer le nombre de personnes à l’emploi, réduire les conditions de travail de ceux et celles qui restent : voilà qui ferait grandement augmenter la valeur de l’imprimerie en question si on souhaite la vendre.
Je ne veux pas tirer de conclusion hâtive : qui sait ce qui arrivera de l’imprimerie de Mirabel ? Cependant, avec ces quelques éléments, on saisit peut-être un peu mieux ce qui pousse un géant comme Québecor à mettre à la rue les 44 personnes toujours à l’emploi du secteur sur lequel s’est construit l’empire. Chose certaine, quand Québecor affirme qu’il faut « protéger les acquis de l’entreprise », il n’est de toute évidence pas questions de ceux et celles qui y travaillent quotidiennement. Dans la bouche de ses porte-parole, ces gens-là semblent surtout être considérés comme des nuisances potentielles : soit comme travailleuses et travailleurs superflus et coûteux, soit comme grévistes turbulents.