Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Pourquoi est-ce si difficile de développer un mouvement social unitaire contre le capitalisme ?

Le texte du 24 juin 2014, « Le Réseau écosocialiste défend une stratégie de rupture écosocialiste, indépendantiste et démocratique » fait ressortir une énigme apparente. Comment se fait-il que la conjonction des luttes populaires, syndicales, écologistes, féministes, anti-racistes, évidente à première vue, soit si difficile à concrétiser dans les faits, au-delà de coalitions ponctuelles sur des enjeux particuliers.

La 1ère partie de l’article démontre bien les mécanismes de domination économique, mais aussi idéologique et culturelle de la classe dominante dans les sociétés capitalistes modernes. L’objectif serait donc de « former un gouvernement de rupture, ce qui ne sera possible que s’il existe un grand mouvement social unitaire des classes dominées... ». Or, ce je constate depuis des années, c’est qu’il existe des mouvements sociaux ponctuels où l’un ou l’autre des groupes dominés recherche des alliances pour faire avancer son agenda propre, mais sans cause commune qui transcende l’intérêt de chacun d’entre eux. Ces luttes visent d’ailleurs souvent à la défense de droits, ou la fin de la discrimination, afin de mieux s’intégrer à la société capitaliste dominante et non la dépasser. Quelques exemples :

•Luttes antiracistes : l’élection de Barack Obama est une victoire éclatante pour le mouvement anti-raciste, mais n’a rien à voir avec une avancée des luttes anti-capitalistes ou impérialistes. Il s’agit simplement de la preuve que des membres de minorités ethnoculturelles peuvent s’intégrer à la classe dominante, s’ils n’en contestent pas les fondements, bien entendu. L’impérialisme actuel n’est pas raciste en soi, ou en tout cas beaucoup moins que des dominations coloniales ou régimes fascistes passés (empire colonial espagnol, états sudistes aux États-Unis, Allemagne nazi). Tous ceux qui sont capables de payer sont acceptés... ;
•Luttes féministes : L’élection de Françoise Bertrand à la présidence de la Fédération des chambres de commerce du Québec ou de Pauline Marois à titre de première ministre du Québec sont bien des victoires contre une société patriarcale et à ce titre dignes d’être soulignées. Mais ce que l’auteur omet de mentionner, c’est que le société capitaliste avancée est le cadre dans laquelle, les avancées du mouvement féministe ont eu lieu, et qu’elle s’avère beaucoup moins patriarcale que les sociétés traditionnelles, qu’elle a remplacées ;
•Luttes écologistes : Ne contestent pas le système capitaliste en soi, mais certains de ses excès, s’ils mettent en danger l’environnement. Par exemple pour lutter contre un nouveau pipeline, l’argument avancé sera souvent que des alternatives existent du côté des énergies « propres » ou d’une meilleure conservation. Tous secteurs qui sont présentement envahis par des entrepreneurs capitalistes, grands et petits, qui y voient des occasions d’affaires (ex. éoliennes, recyclage, produits « équitables »).

Le système de domination capitaliste a une capacité énorme de récupération et intégration de mouvements sociaux qui lui étaient au départ hostiles. Cela se fait par le biais de l’avancée des droits individuels et jamais collectifs. Pourquoi la classe dominante n’aurait-elle pas intérêt à intégrer des femmes ou des membres de minorités culturelles, qui serviront d’exemples et relais dans l’élargissement de sa domination ? En quoi la couleur ou le sexe de consommateurs solvables supplémentaires, importerait-il ?

Je réalise que mon constat est assez déprimant et je n’ai aucune solution miracle. Ce que je vois de QS présentement c’est qu’il essaie d’être tout à tout le monde, en espérant que de l’addition de luttes ponctuelles et disparates, il sortira nécessairement renforcé. Je n’en suis pas convaincu et l’avance modeste constatée aux dernières élections, me fait croire que par exemple, pour un militant(te) écologiste ou féministe, des positions sectorielles qui leur conviennent, ne sont pas nécessairement corrélées avec un appui à l’indépendance du Québec ou une volonté de renversement du pouvoir de la classe dominante, aux plans économique et politique.

En ce sens il serait peut-être plus « payant » à long terme de mettre de l’avant le modèle de société écosocialiste souhaité et y rallier progressivement des militants(tes) convaincus, plutôt que de s’illusionner en additionnant, au sens figuré, des pommes et des oranges.

Luc Bordeleau
A appuyé Québec solidaire et son candidat dans Ahuntsic, André Frappier, aux élections de 2012 et 2014
Ex-travailleur du secteur de la santé
Membre du CA du Mouvement démocratie nouvelle qui milite pour un changement de mode scrutin au Québec

Mots-clés : Edition du 2014-08-12

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