L’émergence de nouvelles avenues ne peut se faire sans établir au préalable quelques constats. Le politologue, économiste et altermondialiste bien connu Riccardo Petrella estime que « la pauvreté n’est pas un fait naturel. Elle est construite et maintenue par les sociétés, spécialement les plus injustes, comme les États-Unis, le Congo ou la Russie. Le Québec, tout comme le Canada, n’échappe pas à cette règle ». Si la pauvreté n’est pas naturelle, il est donc possible de déclarer illégaux les mécanismes qui la créent.
En parallèle à cela, il est essentiel de mieux expliquer les méfaits de la pauvreté sur l’ensemble de la société et de repenser les liens qui nous unissent, à l’instar de Laure Waridel, sociologue spécialisée en environnement et pionnière du commerce équitable et de la consommation responsable au Québec. « Quand on y regarde de plus près, nous sommes tous pauvres de quelque chose et cette pauvreté n’est pas toujours économique. Voilà pourquoi la solidarité nous enrichit tous de multiples manières. Chaque individu fait partie de la société ; en ce sens, nous sommes tous les uns les autres. Alors, laisser la pauvreté dévorer les uns, c’est nécessairement la laisser NOUS dévorer ».
Une telle vision de l’interdépendance entraîne inévitablement des questionnements à propos de nos manières de vivre collectivement. Vivian Labrie, chercheure autonome et membre du Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion (CEPE), propose justement une réflexion en profondeur visant à développer le réflexe de penser autrement pour assurer le bien-être de touTEs. « Au-delà de notre rapport incontournable à l’argent, c’est tout l’équilibre du doux et du dur qui est à reconsidérer, dans nos vies et entre nous, vers un monde sans pauvreté, plus riche pour tout le monde et plus riche de tout son monde. La bonne nouvelle, c’est que ça peut être bon à vivre ».
Réaliser une telle transformation sociale serait évidemment bénéfique pour les premières personnes concernées par la pauvreté, c’est-à-dire celles qui la vivent. De l’avis du Comité AVEC, qui regroupe des personnes en situation de pauvreté, des intervenantEs et des chercheurEs, un changement de cet ordre, en plus d’améliorer les conditions d’existence des personnes pauvres, favoriserait leur inclusion. En fait, « si touTEs les décideurEs considéraient les personnes qui vivent la pauvreté comme des expertes de leur situation et, par conséquent, appliquaient le principe qui consiste à penser, décider et agir avec elles pour trouver des solutions viables, ce ne sont pas seulement les personnes en situation de pauvreté qui en profiteraient, mais bien l’ensemble de la société ».
Ce « pensons, décidons et agissons ensemble ! » doit nécessairement inclure « ceux qui reviennent de loin », pour reprendre l’expression de l’auteur-compositeur-interprète Dan Bigras. Ces gens, jeunes et moins jeunes, qui ont connu la rue et, surtout, l’indifférence, en ont long à dire et leurs histoires sont pleines d’enseignements sur la route d’un Québec débarrassé de la pauvreté. Des histoires que l’on entend peu, car, comme l’affirme Julian Boal, l’une des figures de proue internationales du théâtre participatif, éducatif et militant, « l’oppression, qu’elle soit sexiste, raciste, économique ou autre, s’accompagne toujours d’un interdit : celui, imposé aux oppriméEs, de ne pouvoir se raconter eux-mêmes ». Heureusement, il existe des pratiques, des méthodes et des techniques qui s’apparentent au Théâtre de l’opprimé, lui qui « cherche à briser le monopole de la scène comme une étape dans la lutte contre tous les monopoles du savoir, des médias, de la politique et du pouvoir », pour faire en sorte que de plus en plus de gens soient acteurs de leur vie, et de notre histoire commune.
Bref, près de dix ans après l’adoption unanime de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale par l’Assemblée nationale, rarement l’idée d’éliminer la pauvreté au Québec aura repris un souffle aussi puissant.