Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Mouvement Nuit debout

Pour le droit à la non-mixité

Un appel collectif de défense du droit à la non-mixité est lancé pour dénoncer « une République qui nie les formes contemporaines de racisme et d’oppression post-coloniale, et dont les élu.e.s cherchent, par de curieux renversements, à transformer celles et ceux qui subissent quotidiennement le racisme et l’islamophobie en figures de la division ».

Nous sommes engagé-e-s contre le racisme, et nous sommes blanc.he.s. En tant que tel.le.s, deux initiatives récentes, de débats sociaux et politiques, nous sont explicitement et volontairement fermées : la préparation de "paroles non-blanches" (mais non les conférences elles-mêmes, contrairement aux rumeurs malveillantes), dans le cadre de l’occupation de l’université Paris 8 ces derniers jours ; le camp d’été décolonial, qui doit se tenir au mois d’août.

Ces deux initiatives étaient discutées mercredi dernier à l’Assemblée Nationale, dans le cadre des questions au gouvernement.

Bernard Debré interpellait en effet la ministre de l’Éducation Nationale, Najat Vallaud-Belkacem.

Le premier affirmait son engagement à « barrer la route à des mouvements (...) qui mettent en danger notre démocratie, pronant le désordre, le racisme et l’antisémitisme ». La seconde expliquait partager l’indignation du député LR et dénonçait des « initiatives inacceptables, en ce qu’elles confortent une vision racisée et raciste de la société » et qui ne peuvent que déboucher sur du « repli sur soi, la division communautaire et le chacun chez soi ».

Nous sommes blanc.he.s, et nos valeurs sont celles de l’émancipation, notre horizon celui d’une égalité effective.

C’est précisément au nom de de ces valeurs, et parce que nous sommes attaché.e.s à cet horizon, parce que nous sommes engagé.e.s au quotidien dans la lutte contre le sexisme, l’homophobie, la transphobie, le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme, que nous soutenons ces deux initiatives.

Nous savons, en effet, qu’il est essentiel que les personnes qui subissent une oppression puissent se retrouver, s’organiser comme elles le souhaitent, débattre comme elles l’entendent de leurs revendications et de leurs stratégies. Nous savons que l’autonomie est un préalable déterminant pour construire des réponses à l’oppression et aux discriminations, construire des alliances avec celles et ceux qui ne subissent pas ces formes spécifiques d’oppression mais sont déterminé-e-s à les transformer.

Nous savons ce que le mouvement féministe doit à sa capacité d’avoir construit, non sans avoir été et être encore attaqué, des espaces non-mixtes. Ces espaces sont indispensables pour mettre en lumière, par un effet de miroir, l’existence d’autres espaces non-mixtes, dont les femmes étaient et sont encore souvent exclues : les cercles de pouvoir, les assemblées parlementaires, les organisations politiques, etc. Ils permettent l’existence momentanée d’une parole délivrée du poids vécu de l’oppression et la création de liens de solidarité essentiels à la poursuite de la lutte.

Nous n’y voyons nulle division, nul chacun pour soi. Nous savons qu’il n’y a là aucune volonté de faire sécession, mais une autonomie et une reconnaissance indispensables. Et nous savons l’importance de l’autonomie dans la construction des chemins qui mènent à cet horizon d’égalité effective et de dignité pour tou-te-s. Nous comprenons et soutenons la formation de mouvements par et pour celles et ceux qui subissent l’oppression de genre, le racisme ou l’islamophobie dont nous, en tant qu’hommes et/ou en tant que blanc.he.s serons tenu.e.s à distance. Nous savons que ces différentes formes d’oppression portent atteinte à la dignité de tou.te.s en conférant un privilège à certain.e.s, dont nous faisons indéniablement partie.

Nous ferons donc notre possible pour permettre aux organisatrices et aux organisateurs de ces espaces de mener à bien leurs projets - ou plutôt : nous agirons en fonction de ce que ces organisatrices et organisateurs nous demanderont de faire pour les soutenir. Sans attendre, nous pouvons déjà dénoncer une République qui nie les formes contemporaines de racisme et d’oppression post-coloniale, et dont les élu.e.s cherchent, par de curieux renversements, à transformer celles et ceux qui subissent quotidiennement le racisme et l’islamophobie en figures de la division.

Nous ne sommes par ailleurs pas dupes de ces ministres, élu.e.s, éditorialistes et autres intellectuel.le.s qui, comme par enchantement, confronté.e.s à des portes qui leurs sont pour une fois fermées, tentent de se faire passer pour l’avant-garde de la lutte contre "les visions racisées et racistes de la société", alors que les politiques qu’elles et ils défendent renforcent le racisme et l’islamophobie.

Nous ne sommes pas les bienvenu.e.s dans ces espaces non-mixtes ?

Nous savons que les occasions de nous retrouver n’ont pas manqué et ne manqueront pas.

Le lien vers la pétition en ligne : https://www.change.org/p/le-gouvernement-pour-le-droit-à-la-non-mixité

Les signataires :

Catherine Achin, sociologue ; Armelle Andro, démographe ; Aurélie Audeval, docteure en histoire ;

Magali Bessone, professeure de philosophie ; Jean-Raphaël Bourge, chargé de cours à l’Université Paris 8 ; Sebastian Budgen, Editeur, Verso Books ;

Zoé Carle, enseignante ; Le Cercle des enseignants laïques ; Maxime Cervulle, chercheur en sciences de l’information et de la communication ; Isabelle Clair, sociologue, chargée de recherche au CNRS ; Maxime Combes, économiste et militant associatif ; Vanessa Codaccioni, maître de conférences en sciences politiques ; Annick Coupé, militante syndicale ; Thomas Coutrot, économiste ;

Marion Dalibert, maître de conférences à l’Université de Lille ; Christine Delphy, sociologue et féministe ; Thomas Deltombe, éditeur ; Virginie Descoutures, sociologue ; Véronique Dubarry, membre d’EELV, adjointe au maire de l’Ile Saint Denis ;

Renaud Epstein, sociologue ;

Éric Fassin, professeur de sciences politiques ;

Claire Grino, docteure en Philosophie ; Julie Grisolla, professeure en lycée, organisatrice du festival Transposition ;

Émilie Hache, philosophe ; Nicolas Haeringer, militant associatif ; Marie-Pierre Harder, ATER Paris 8 ;

Caroline Izambert, militante associative ;

Irène Jami, professeure d’histoire ;

Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire ;

Philippe Marlière, politiste ; Morgane Merteuil, porte-parole du STRASS ;

Nelly Quemener, Maître de conférences en SIC ;

Gianfranco Rebucini, anthropologue, enseignant à l’EHESS ; Matthieu Renault, Maître de conférences, Université Paris 8 ; Juliette Rennes, sociologue ; Julien Rivoire, militant syndical ; Olivier Roueff, sociologue ; Océane Rosemarie, auteure et comédienne ; Juliette Rousseau, militante associative ;

Isabelle Saint-Saens , militante associative ; Julien Salingue, docteur en sciences politiques ; Clément Sénéchal, essayiste ; Patrick Simon, démographe ;

Julien Talpin, sociologue ; Rémy Toulouse, éditeur ; Sylvie Tissot ; Benjamin Tubiana, militant associatif ;

Florian Voros, chercheur à l’université Paris 8.

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