Ils combinent tous, selon des proportions variables, des ouvertures de ligne de crédit (jusqu’à 320 milliards d’euros en France) et des prises de participation au capital des banques (40 milliards dans le cas français). Ces pseudonationalisations sont en réalité une privatisation de l’argent public : elles sont partielles et à durée déterminée, le temps que les banques se restructurent, s’assainissent et puissent être restituées au secteur privé. Mais cette injection d’argent public se fait sans aucune exigence en contrepartie, parce que leur véritable objectif est le rétablissement des profits bancaires.
L’occasion était pourtant extraordinaire d’imposer aux banques, à chaud, de nouvelles règles prudentielles encadrant ou interdisant les pratiques et techniques qui ont permis la propagation de la crise. Mais on ne trouve rien dans ces plans sur la titrisation, rien sur les produits dérivés, ni aucune taxe « à la Tobin » sur les transactions financières. On braque le projecteur sur les rémunérations des dirigeants mais les mesures prises sont d’une extraordinaire timidité. Le gouvernement vient par exemple de refuser un amendement émanant des députés UMP qui voulait soumettre tous les parachutes dorés, les stock-options et les actions gratuites au nouveau forfait social de 2% à la charge des employeurs.
Le second point commun de ces plans est de ne pas prendre en compte la logique de diffusion de la crise, et c’est pourquoi leur mise en place n’a fait cesser ni la volatilité de la Bourse, ni les restrictions de crédit. Ils
sous-estiment d’abord les mauvaises nouvelles possibles du côté de la sphère financière : les défaillances de créances moins douteuses que les subprimes (crédits « Alt-A » et cartes bancaires), les pertes
encourues par les fonds spéculatifs (hedge funds) et le risque d’effondrement des CDS (Credit Default Swaps). Ils ne prévoient rien non plus pour compenser la faillite des fonds de pension et l’exemple argentin montre que cette question va être extraordinairement difficile à traiter, puisque la seule annonce d’une réintégration des fonds de pension dans un système de retraites public a suffit à faire plonger la Bourse et le peso.
Ces plans ne tiennent pas compte non plus du fait que la crise financière et bancaire s’est d’ores et déjà transmise à l’économie réelle qui est entrée en récession dans la plupart des pays développés. Et c’est un spectacle proprement hallucinant que celui d’un Sarkozy qui s’obstine à faire des cadeaux aux entreprises (aides aux PME, suppression de la taxe professionnelle sur les investissements, voire suspension des cotisations à l’Unedic) en oubliant qu’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. L’échec de cette logique est patent : c’est le même qui n’a pas cru bon que les pouvoirs publics soient représentés au conseil d’administration des banques bénéficiaires des capitaux publics, qui en appelle, quelques jours plus tard, aux préfets pour vérifier que les banques ouvrent le robinet du crédit au lieu de garder pour elles les fonds publics.
Il faut donc refuser le faux dilemme selon lequel on n’aurait le choix qu’entre sauver les banques ou être tous emportés dans leur faillite. Il était possible, et il est encore possible, d’assortir les plans de sauvegarde d’une conditionnalité contraignante et de les combiner avec un plan de relance coordonnée, ciblé sur des activités socialement et écologiquement utiles et permettant de sauvegarder - aussi - l’emploi et le niveau de vie de la majorité. Or, la propension naturelle des classes dirigeantes va être de chercher à reporter sur « les autres » les effets de la crise. Les autres étant, à l’intérieur, les salariés et les budgets sociaux, mais aussi, à l’extérieur, les autres pays. C’est pourquoi il ne faut pas attendre de ce système de solution spontanément coopérative, les deux tests étant la refonte du système monétaire international (un « nouveau Bretton Woods ») et un plan de relance coordonné au niveau européen. Les seuls progrès seront forcément
imposés, par l’ampleur de la récession qui reste sous-évaluée, et par celle du mouvement social.
Michel Husson (*), à paraître dans L’Université syndicaliste (revue du SNES)
(*) économiste, membre du Conseil scientifique d’Attac.