La réalité des processus migratoires aujourd’hui [1]
« Les migrations constituent un phénomène propre aux sociétés humaines, mais qui a pris des formes différentes à différentes périodes de l’histoire. À l’heure où les conflits se multiplient – où les inégalités et l’exclusion sociale atteignent des sommets et/ou l’environnement se dégrade à grande vitesse, il est totalement illusoire d’imaginer que les flux migratoires baissent ou diminuent. » [2]
Les classes dominantes d’Europe et d’Amérique du Nord sont prêtes à favoriser les personnes très compétentes formées dans leur pays d’origine pour se procurer une manœuvre dont elle n’a pas à assurer les coûts de formation. Elles sont prêtes également à utiliser des travailleuses et des travailleurs peu qualifiés et très précaires soumis à des migrations temporaires et récurrentes qui peuvent être utilisés comme une main-d’oeuvre corvéable et jetable à merci. Mais la situation internationale actuelle provoque le déplacement de populations où se concentrent les conflits (Asie, Afrique et Proche-Orient) et où la misère est le lot d’une bonne partie de la population. (Amérique Latine) Si ce sont les pays du Sud qui reçoivent une bonne partie des réfugié-e-s, l’Europe et l’Amérique du Nord sont en train de se construire comme une véritable forteresse contre les réfugiés. Toute la rhétorique sur les chocs de civilisation et la xénophobie et le racisme systémique qu’elle nourrit, ne servent qu’à couvrir les politiques des classes dominantes qui refusent d’assumer les conséquences de leur politique de pillage.
Pas étonnant que selon un sondage SOM réalisé par Cogeco Nouvelles, « 51% des personnes interrogées se sont dites d’accord avec l’énoncé « on devrait empêcher les migrants d’entrer au pays directement à la frontière canado-américaine » [3]
Les discriminations et la recherche de leur justification, bases d’un racisme systémique
Malgré que l’immigration économique soit une immigration choisie, les personnes immigrées sont l’objet d’une série de discriminations économiques : chômage plus élevé, salaire plus bas, déqualification en emploi. Quand s’ajoute l’absence de droits politiques et d’une représentation très faible dans les médias et dans différents postes de responsabilité, il faut bien voir que les personnes immigrantes sont définies comme des personnes de deuxième classe. Et quand ces discriminations continuent de s’appliquer lorsque ces personnes sont reconnues comme citoyen canadien et à leurs enfants, il faut bien voir que le vivre en commun ne se réalise que sur une base inégalitaire. Le racisme systémique s’installe lorsque ces discriminations sont justifiées à partir de traits prêtés à ces personnes qui ne les rendraient pas aptes à accéder à un statut d’égalité dans la société. Il ne s’agit donc pas ici de définir des personnes comme racistes, à partir d’une définition essentialiste de la nature de tels individus, mais d’identifier les mécanismes structurels bloquant l’accès à une égalité économique, sociale, culturelle et politique véritable. C’est particulièrement vrai que c’est lorsque les personnes racisées refusent leur position subalterne que les attitudes racistes tendant à se développer. Comme l’écrit Pierre Tavenian [4] c’est la remise en question de la position subalterne qui suscite la haine raciste. C’est ainsi qu’au Québec, la remise en question de la monopolisation des postes par les blancs, les demandes d’accommodements raisonnables ou la demande d’accès à un cimetière, ont favorisé divers raidissements devant l’exigence d’un vivre ensemble sur une base égalitaire.
La question de la diversité culturelle de ces populations a été utilisée par des idéologues, journalistes et partis politiques de droite pour semer la crainte et se construire une base électorale
Comme l’écrit Fabrice Vil [5]Si au moins le racisme prenait uniquement racine dans la société civile, il serait plus facile de dialoguer afin de le désamorcer. Mais bien non, des chefs des partis de l’opposition alimentent la haine par la désinformation. »
Le chef du PQ, Jean-François Lisée a dénoncé la gestion fédérale de l’afflux de demandeurs d’asile Haïtiens et pour stigmatiser la porosité de la frontière canadienne. Manipulant la réalité, François Legault, le chef de la CAQ, a exhorté le premier ministre de régler le plus rapidement possible le cas de ces demandeurs d’asile dans l’espoir de les retourner chez eux et de bloquer l’afflux de migrants. Mais la réaction à l’afflux des Haïtiens et Haïtiennes qui craignent d’être chassés des États-Unis par Donald Trump et d’être obligés de retourner en Haïti n’est que le dernier épisode de l’utilisation des paniques identitaires par les politiciens nationalistes.
Ces partis jouent depuis des années de cette carte identitaire. Le Parti québécois (et le Bloc québécois aux dernières élections fédérales, on s’en rappellera) n’a pas hésité à participer à une racialisation des combats électoraux en s’appuyant sur une anxiété antipluraliste déjà existante, mais en l’organisant en la renforçant. L’opération péquiste sur la Charte des valeurs québécoises est exemplaire à cet égard. [6]
Les nationalistes identitaristes présentent l’immigration non seulement comme un danger pour la langue et la culture françaises, mais également comme un obstacle de plus dressé sur l’avancée de la lutte pour l’indépendance du Québec. On se souviendra de la déclaration de PK Péladeau, qui parlait de l’urgence de réaliser l’indépendance à cause du poids croissant des minorités ethnoculturelles au sein de la société québécoise.
La CAQ joue également cette carte identitaire, pour se construire une rente électorale en nourrissant chauvinisme et xénophobie. Ce parti a repris des thèmes islamophobes. Le test des valeurs proposé par Legault est un clair exemple de cette démarche. On en vient à présenter le multiculturalisme comme la source de tous les dangers, à rejeter toute démarche d’accommodements raisonnables. Plus, pour cette droite nationaliste, la société québécoise pécherait par un excès de pluralisme.
Sous les coups de l’agitation de ces partis, on assiste donc à une marginalisation de l’idéal d’une société pluraliste et inclusive. Des sondages révèlent que des deux tiers au trois quarts de la population s’opposent à l’accueuil des demandes de traitement spécial au titre de la différence culturelle ou religieuse. Les médias, pour vendre, multiplient les reportages exagérés lorsque des membres des groupes ethnoculturels religieux ou racisés sont en cause. Ce sont bien ces élites qui construisent la peur de l’autre et les préjugés qui en découlent.
Le nationalisme identitaire : une pensée essentialiste figée et productrice de préjugés
Il y a essentiellement deux façons d’aborder la question de l’identité. La première s’appuie sur un paradigme essentialiste. Dans cette optique un-e Québécois-e a une série de caractéristiques, de valeurs partagées qui définissent son être social. Ces traits sont historiquement hérités et relèvent de la nature de son être et connaissent une certaine permanence. On est Québécois-e ou on ne l’est pas. Cette approche peut reposer sur une base purement ethnique, l’être québécois est essentiellement une héritage ethnique d’origine canadienne-française. Les véritables Québécois sont les Québécois de souche. On a affaire ici un véritable ethnicisme. Mais une approche essentialiste peut aussi défendre que toute personne qui le souhaite peut adopter ces traits, les assimiler et rejoindre ainsi le tronc commun québécois. Il s’agit, pour cela, de savoir apprendre sa langue, sa culture, apprendre et agir en Québécois-e-s afin de faire de cette identité son identité essentielle, bref de s’intégrer à la nation pour ne pas dire s’y assimiler. C’est pourquoi on peut dire que la logique de l’intégration a un soubassement essentialiste. Dans cette logique, le bon immigré est poli et fait la démonstration permanente de l’allégeance à la culture québécoise. Il oublie ou refoule son identité nationale d’hier et doit faire preuve de discrétion et d’une bonne dose d’invisibilité. Il n’a pas dans un tel scénario à exiger des accommodements fussent-ils raisonnables. Le test des valeurs de François Legault est une application concrète de ce type de raisonnement. C’est la même crispation identitaire qui mène Jean-François Lisée à s’opposer à une commission sur le racisme systémique qui devra avoir comme objectif non pas de faire un portrait essentialiste de la population du Québec, mais de jeter les bases des luttes contre les discriminations vécues et leurs fondements et à définir les moyens de les dépasser.
Pour la gauche internationaliste, l’identité doit être définie à partir d’un paradigme matérialiste et historique. La nation, son identité et sa culture sont des constructions historiques. Elles sont en évolution permanente. Les vagues d’immigration et les luttes sociales traversent la nation et redéfinissent radicalement sa réalité, ses rapports sociaux et ses valeurs. Les rapports hommes-femmes dans la société canadienne-française n’ont rien à voir avec les rapports vécus dans la société québécoise contemporaine. Le mouvement des femmes est passé par là. Ce n’est pas un rapport a-historique à des valeurs définies par essence comme Québécoise qui pose la nécessité d’un rapport d’égalité. Celui-ci n’est d’ailleurs que partiellement cristallisé. Des luttes sont encore en cours qui vont redéfinir ces rapports. [7]
Dans cette logique, le combat indépendantiste ne peut être qu’un combat internationaliste et antiraciste
Dans cette logique historique, les Québécois-e-s, l’habitant du Québec, toutes celles et tous ceux qui y œuvrent et qui participent à la création de la richesse commune font partie de la nation et contribuent à sa redéfinition permanente.
Dans cette perspective, l’accueil de l’autre est généralisé. Dans le contexte particulier de la mondialisation et du développement inévitable des migrations, l’hospitalité et la reconnaissance du caractère pluriel de la nation sont des axes du vivre ensemble et une richesse dans le ralliement à une véritable libération nationale.
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