Édition du 17 décembre 2024

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Pétrole à Anticosti : l'ABC du « vol du siècle »

Grande comme 16 fois l’île de Montréal, Anticosti est un paradis pour les amoureux de la nature. Les paysages sont grandioses, on peut y chasser le chevreuil, pêcher le saumon, bref y passer du bon temps.

Depuis qu’il n’y a pour ainsi dire plus de coupes forestières sur l’île, Anticosti ne vit plus que du tourisme, mais les pourvoiries ne tournent pas toute l’année. Avec une mono-économie ainsi axée sur une seule activité saisonnière, l’île pourrait bien, un jour, perdre tous ses habitants.

Mais voilà qu’apparaît l’or noir !

En 2002, le gouvernement de Bernard Landry prévoit un programme d’exploration des réserves de l’île de 330 millions de dollars. Mais l’élection d’un nouveau premier-ministre, l’année suivante, freine cette exploration. Avec 10 millions d’investis sur les 330 prévus, le gouvernement du jeune Jean Charest annonce en 2005 qu’il n’y a absolument rien dans le sous-sol de l’île.

En 2008, Hydro-Québec décide de mettre en vente ses 35 permis de forage dans l’île, et c’est la société Pétrolia qui fait l’acquisition de 6 100km² au terme d’un contrat avec des clauses juteuses, mais secrètes.

Isabelle Proulx, vice-présidente au développement des affaires chez Pétrolia rappelle qu’à l’époque Hydro-Québec cherchait du pétrole conventionnel. De plus, « la technologie a évolué et on sait maintenant extraire mieux du non-conventionnel ».

Du « non-conventionnel », c’est exactement ce que Pétrolia a cherché… et trouvé. Le pétrole est dans la roche !

En 2011, Pétrolia décide de faire appel à la société Sproule pour connaître le potentiel des réserves pétrolières de l’île. On peut facilement imaginer la surprise qu’ont dû avoir les dirigeants de Pétrolia lorsque Sproule leur communique que les réserves peuvent s’élever entre 19,8 et 48,2 milliards de barils, soit au taux actuel entre 1 881 et 4 579 milliards de dollars !

Il faudra toutefois recourir aux procédés de fracturation hydraulique pour extraire le pétrole de l’Île

Par contre, selon Mme Proulx les techniques actuelles d’extraction ne permettent de récupérer que près de 5% d’un gisement. C’est ce que l’on appelle le « taux de récupération ». Le gisement à Anticosti rapporterait donc « seulement » entre 94 et 229 milliards de dollars.

Autre bémol, le professeur André Desrochers de l’Université d’Ottawa, qui a passé plusieurs décennies sur l’île, souligne qu’il y a un manque flagrant de connaissances au niveau de la géologie et de l’hydrogéologie d’Anticosti. « On a besoin d’études scientifiques de base, de mettre en place un observatoire scientifique avant d’aller plus loin. »

Pourquoi Hydro-Québec a-t-il cédé ce trésor ?

Mais la question à plusieurs milliards de dollars est : pourquoi Hydro-Québec a cédé ce véritable trésor ?

À l’époque, le gouvernement libéral de Jean Charest décide de freiner l’exploration sur l’île et fait fermer la division pétrole et gaz d’Hydro-Québec. Comme un spectre planant, un autre gisement situé un peu plus loin subit le même sort. Le nom vous dira sans doute quelque chose : Old Harry.

Critiqué par l’opposition péquiste pour avoir cédé au secteur privé les permis d’exploration gazière et pétrolière détenus par Hydro-Québec, Jean Charest a rétorqué que Québec pourra compter sur de généreuses redevances si l’entreprise Pétrolia en venait à extraire du pétrole sur l’île d’Anticosti.

N’ayant finalement que peu d’informations en main, Hydro-Québec n’aurait donc pas eu d’autre choix que de vendre… à l’aveugle.

Hydro-Québec n’a pas souhaité s’exprimer dans ce dossier, mais rappelle qu’en 2005 l’entreprise s’est réorienté sur les énergies renouvelables, et que l’exploitation et l’exploration gazière et pétrolière ne font donc plus partie de ses activités.

À propos du potentiel découvert par Pétrolia, le PDG d’Hydro-Québec, Thierry Vandal, avait cependant indiqué en avril dernier ne pas avoir eu cette information-là. Il assure cependant que la société d’État a fait une « transaction prudente et raisonnable ».

Plusieurs experts et scientifiques avaient toutefois déjà fait part du potentiel de l’île, et il y avait même eu un reportage de l’émission Découverte à ce sujet.

Pour l’ex-premier ministre Bernard Landry, « balancer » ainsi le pétrole d’Anticosti au secteur privé serait une décision inexplicable, car l’exploitation de ces ressources doit se faire sous la surveillance économique et écologique du gouvernement québécois. La décision du gouvernement Charest d’éliminer la division pétrole et gaz d’Hydro-Québec créée par le gouvernement Landry est absolument inacceptable et incompréhensible, dit-il.

Selon M. Landry, cela pourrait être une question d’idéologie, la démonstration du néo-libéralisme de ce gouvernement, mais les libéraux ont ainsi, dit-il, privé les Québécois d’un trésor dans des conditions obscures qu’on n’a pas pu encore éclaircir. Après leur défaite le 4 septembre, Bernard Landry souhaite donc que le nouveau gouvernement péquiste corrige enfin cette erreur qu’il n’hésite pas à qualifier de « monstrueuse » et « d’infamie ».

Lors du débat des chefs à Radio-Canada, la chef Pauline Marois a aussi déclaré trouver « scandaleux qu’Hydro-Québec ait laissé aller ses permis à une entreprise privée ». Elle préconisait une enquête du vérificateur général sur cette affaire.

Et maintenant, combien touchera le Québec ?

Pris souvent en exemple, l’Alberta et son gouvernement provincial ont mis en place une redevance de base de 6,54%, qui s’applique lors de la phase initiale du projet. Par la suite, lorsque le seuil de rentabilité de l’entreprise est atteint (le moment entre les pertes et les bénéfices), la redevance albertaine passe à 35,38%.

Le montant de la transaction passée entre Hydro-Québec et Pétrolia reste un secret pour le moment. André Proulx, président de Petrolia indique que ce sont des royautés que touchera la société d’État. Montant fixe, forfait ou pourcentage, l’entente demeure un mystère.

Pour a part, le gouvernement du Québec, prendra, en plus de ces royautés, des redevances pour le bail d’exploitation de l’entreprise. Avant le budget 2012, le pourcentage variait entre 5 et 12,5%, il est désormais entre 5 et... 40% !

Si tout se déroule normalement et si le potentiel pétrolier d’Anticosti se vérifie, le gouvernement du Québec pourrait toutefois toucher jusqu’à 92 milliards de dollars, et ce, sans s’être mouillé dans l’exploitation de l’or noir.

Isabelle Proulx, vice-présidente au développement des affaires de Pétrolia, affirme : « Je comprends les inquiétudes des Québécois, mais si nous arrivons à exploiter ce pétrole, je peux vous dire qu’en cas de succès les Québécois auront leur part. Ce n’est pas la petite souris que nous sommes qui va voler l’État. »

Quant à la fameuse entente secrète dont personne ne connaît le montant, Mme Proulx nous assure que les termes de l’entente seront révélés « au moment opportun, bien avant la phase d’exploitation ».

Pour Denis Duteau, le maire de Port Meunier sur l’île d’Anticosti, cette histoire est une « tempête dans un verre d’eau », ajoutant que « Pétrolia est plus transparente que ne l’était Hydro-Québec, qui ne divulguait pas ou très peu d’information ».

Et l’écologie ?

« On ne peut pas enfermer l’île dans une bulle », poursuit le maire Duteau. « Depuis les années 60 qu’il y a de l’exploration pétrolière, les gens se sont habitué à voir les compagnies fouler le sol de l’île, explique-t-il. La recherche pétrolière fait partie de la vie ici. »

Pour l’ex premier-ministre Landry, on peut aussi concilier économie et écologie. « J’ai le plus grand respect pour ce bel animal qu’est le chevreuil, mais il ne faut pas penser qu’au tourisme sur l’île d’Anticosti, mais aussi au bien-être économique des 8 millions de Québécois. »

« À 110 $ le baril et plus, si les précautions environnementales sont prises, et je crois qu’elles peuvent l’être, c’est pas parce qu’on produit du pétrole qu’on est un pays voyou » ajoute-t-il, citant l’exemple de la Norvège et de l’Angleterre. L’Alaska, souligne-t-il est une destination touristique importante, mais cela ne l’a pas empêché de produire du pétrole depuis une décennie.

Nicolas Laffont

Huffington Post Québec

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