Édition du 17 décembre 2024

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Élections législatives en France

Parlement : ce que la gauche peut espérer

Et si la Nupes devenait la première force d’opposition au Palais-Bourbon en juin prochain ? Un scénario plausible qui pourrait, dans une certaine mesure, transformer le paysage politique, explique Olivier Rozenberg, spécialiste de la vie parlementaire.

26 mai 2022 | mediapart.fr

Hypothèse 1 : le 19 juin prochain, la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) emporte les élections législatives et Jean-Luc Mélenchon déménage à Matignon. Hypothèse 2 : malgré ses bons scores, la gauche rassemblée échoue à imposer une cohabitation à Emmanuel Macron, mais elle devient la première force d’opposition à l’Assemblée nationale.

Si Manuel Bompard, le directeur de la campagne présidentielle de La France insoumise (LFI), prétend ne pas envisager « d’autre hypothèse que celle de la victoire », la seconde option, pour l’heure plus plausible, amorcerait déjà une petite révolution dans la vie politique française – ce que n’a pas manqué de relever la droite qui pousse des cris d’orfraie face au « risque de la chienlit ».

Non seulement la gauche deviendrait officiellement la première force d’opposition constituée au pouvoir macroniste – une place occupée par le groupe Les Républicains (LR) sous la précédente législature –, bouleversant, de fait, le paysage politique actuel. Mais une arrivée en nombre au Palais-Bourbon ouvrirait aussi de nouveaux droits aux Insoumis dans la conduite des débats parlementaires. À commencer par l’accès au poste capital de la présidence de la commission des finances.

Même si, rappelle Olivier Rozenberg, professeur de science politique à Science Po et auteur de nombreux travaux sur la vie parlementaire en France et en Europe, il ne faut pas s’attendre à des changements profonds dans l’écriture des lois car « en démocratie, c’est la majorité qui gouverne ».

Mediapart : Vous semble-t-il possible que les élections législatives débouchent sur une cohabitation avec la Nupes et l’arrivée de Jean-Luc Mélenchon à Matignon ?

Olivier Rozenberg  : Institutionnellement, c’est tout à fait possible. Si la coalition de gauche obtient le plus d’élus le 19 juin prochain, elle sera en mesure d’imposer son premier ministre à Emmanuel Macron, tout simplement parce que si Emmanuel Macron nomme quelqu’un d’autre, il sera censuré. Électoralement parlant en revanche, le plus honnête est de dire que le plus probable est une victoire du centre.

Néanmoins, si les sondages donnent, pour l’heure, une majorité au président, il est difficile d’anticiper le comportement des électeurs. D’abord parce que l’offre électorale est inédite : outre l’accord d’union de la gauche, les deux forces politiques [le Parti socialiste et Les Républicains – ndlr] qui ont structuré le paysage pendant des décennies sont très affaiblies, ce qui redistribue les cartes.

Ensuite, parce que faire de sondages sur 577 élections simultanées est très complexe et que cela peut se jouer à peu de chose dans chaque circonscription. Enfin, le mode de scrutin majoritaire favorise la force arrivée en tête, mais comme les sondages indiquent que, pour l’instant, aucune force ne se dégage franchement, les effets sont difficiles à prévoir.

Considérons l’hypothèse, plus probable donc, selon laquelle l’Union populaire de Jean-Luc Mélenchon fait élire suffisamment de députés pour devenir le premier groupe d’opposition au Palais-Bourbon. Est-ce que cela lui ouvrirait de nouveaux droits dans l’hémicycle ?

À l’Assemblée nationale, il y a quatre types de postes réservés à l’opposition : 1) la présidence de la commission des finances ; 2) l’un des trois postes de questeurs qui gèrent les affaires internes de l’Assemblée et la comptabilité ; 3) la présidence de la commission spéciale chargée de vérifier et d’apurer les comptes de l’Assemblée qui contrôle l’exercice budgétaire ; 4) des vice-présidences, dont la première vice-présidence qui est, dans l’ordre protocolaire, la plus importante après la présidence. Tous ces postes seront pour l’opposition.

Comment l’opposition se répartit-elle ces nouvelles fonctions ?

Selon un système assez complexe de points. Plus les groupes sont importants en nombre, plus ils ont de points. Plus les postes sont importants, plus ils « coûtent » de points. Par exemple, pour avoir un questeur, il faut débourser 2, 5 points. Pour avoir une vice-présidence, c’est 2 points. Chaque groupe doit décider où il met ses points. Si les postes sont disputés par plusieurs groupes, un vote est organisé pour trancher.

Néanmoins, si un groupe d’opposition domine largement, comme ce fut le cas du groupe Les Républicains lors de la précédente législature, et comme cela pourrait être le cas pour le groupe des Insoumis, il a davantage de latitude pour choisir. S’il y a par exemple cinq députés d’écart entre Les Républicains et La France insoumise, la répartition se fera en fonction des alliances entre les groupes.

Pourquoi la présidence de la commission des finances est-elle si disputée ?

Parce qu’elle est dotée de pouvoirs importants en termes d’investigation et de convocation de témoins. Le président de la commission des finances peut aller consulter tous les documents administratifs et financiers qu’il veut, et se voir ouvrir toutes les portes des lieux de l’État dans le cadre du contrôle budgétaire.

C’est un rôle qui a une gamme très large d’utilisation. On peut à la fois faire de la politique spectaculaire en se rendant à Bercy avec les caméras, et à la fois mener un travail de fond en demandant les pièces comptables relatives au nucléaire par exemple et en rendant un rapport très circonstancié six mois plus trad. C’est un poste capital auquel pourra sans doute prétendre La France insoumise.

Qu’en est-il des autres postes ?

Vice-président, ce n’est pas rien non plus, même s’il est attendu que le vice-président de l’Assemblée joue le jeu et soit assez objectif. Il arrive certes, de temps en temps, dans le cours d’une procédure législative au cœur de la nuit, que le vice-président puisse tirer un peu la conduite des débats à son avantage, mais c’est très rare.

Si les Insoumis obtiennent un poste de vice-président (ou deux au maximum), on attendra d’eux qu’ils jouent le jeu de la délibération et non de l’obstruction – auquel cas, cela conduirait à de graves problèmes de fonctionnement. Ce sera un test déterminant pour voir si les Insoumis ont véritablement une culture parlementaire, ce qu’ils revendiquent dans leur programme.

Siéger dans le groupe majoritaire de l’opposition peut-il permettre d’influencer l’écriture des lois ?

Pour l’essentiel, on n’écrit pas la loi quand on est dans l’opposition, quelle que soit sa taille, et c’est normal puisqu’en démocratie, c’est la majorité qui gouverne. En général, très peu d’amendements de la minorité sont acceptés. L’opposition peut néanmoins tenter des choses : grâce au travail en commission d’abord, où l’on peut, une fois de temps en temps, faire passer un amendement qui fait sens, ou encore lors des niches parlementaires qui ont lieu environ une fois par an.

La France insoumise a utilisé ses « niches » comme un outil de communication assez percutant ces cinq dernières années…

Elle a en effet été très habile politiquement durant la précédente législature en mettant à l’ordre du jour des sujets populaires qui mettaient en difficulté la majorité, par exemple quand elle a proposé sa loi sur les conditions de travail des femmes de ménage. En janvier dernier, les députés marcheurs ont été contraints de voter le texte sur l’endométriose de Clémentine Autain car le thème était très mobilisateur. On voit donc que l’opposition a la possibilité de piéger un peu la majorité avec quelques « coups » politiques, mais cela reste rare.

Il n’y a donc pas à espérer grand-chose de la prochaine législature quand on est un électeur de gauche ?

Avoir un groupe d’opposition important à l’Assemblée est quand même très utile à la vie politique ! Il a une fonction de vigie, de contrôle, de contre-pouvoir. On sait ainsi que la prochaine opposition de gauche va pointer du doigt l’injustice sociale de la réforme des retraites à venir.

Or plus cette opposition sera nombreuse, plus elle aura de temps de parole dans les questions parlementaires, plus elle aura accès à des rapports, plus elle sera présente médiatiquement, etc. Et cela aura des effets d’anticipation : si Macron sait qu’il va se prendre une volée de bois vert à l’Assemblée, il redoublera de vigilance dans la préparation de sa réforme.

Donc l’Assemblée est une tribune qui sert à mener la bataille culturelle…

Tout à fait. Et ces cinq dernières années, les Insoumis ont fait un travail énorme de communication, ne manquant jamais une occasion de ruer dans les brancards, surtout au début. S’ils sont nombreux ces cinq prochaines années, ils ne pourront plus être les francs-tireurs qui sont le grain de sable dans la machine, ils vont devoir réinventer leur rôle. Plus généralement, observer de près ce qui se passe à l’Assemblée est une opportunité unique de voir comment les partis politiques se positionnent sur des projets précis, au-delà de leurs grandes lignes idéologiques.

La Nupes s’est accordée sur un programme commun qui reste flou à bien des égards. Est-ce que cet accord pourrait voler en éclat après les élections ?

Oui, mais s’ils sont dans l’opposition, ce n’est pas un souci parce que l’accord est avant tout un accord électoral. De toute façon, chacun aura son groupe, ce qui veut dire que les cultures politiques des uns et des autres seront respectées – culture de l’amendement chez les socialistes, de l’obstruction chez les Insoumis –, et il n’y aura pas d’impératif de vote homogène. Dans l’opposition, les députés ne sont pas tenus à la cohérence puisqu’ils ne gèrent pas le pays.

À quoi servira l’intergroupe ?

À rien juridiquement, car ce cadre n’apparaît ni dans le règlement de l’Assemblée ni dans la Constitution. En pratique, il permettra une forme de coordination light entre les présidents de groupe. En début de législature les présidents se rencontreront pour se répartir les postes de l’opposition et ainsi établir une stratégie de coopération face à la droite pour accéder aux « ressources » [présidence de la commission des finances, questure, vice-présidence, etc. – ndlr] dont ils peuvent disposer.

Ensuite, on peut penser qu’ils se verront peut-être une fois par semaine, avant les réunions de la conférence des présidents ou du bureau de l’Assemblée nationale, pour essayer d’avoir des positions convergentes sur des questions d’organisation interne. Mais a priori, il ne s’agira pas de discuter de sujets politiques majeurs.

L’Union populaire pourrait passer de dix-sept à une centaine de députés… Comment un mouvement politique si jeune va-t-il pouvoir disposer des « ressources humaines » nécessaires en matière de collaborateurs parlementaires par exemple ?

Quand ils sont arrivés en 2017, les députés LREM ont repris beaucoup d’anciens collaborateurs socialistes, et cela ne se passera pas comme ça pour l’Union populaire. Après, les IEP regorgent de jeunes dont certains ont une culture de gauche radicale. Si l’Union populaire arrive en nombre à l’Assemblée, il est possible que cela crée un appel d’air en matière d’emplois.

Pauline Graulle

Pauline Graulle

Collaboratrice à la revue Politis (France).

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