Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Flotille de Gaza

Palestine - L’Américain oublié

Mais un certain froid vous enveloppe quand vous vous trouvez avec cette combinaison : des commandos israéliens ouvrent le feu, un Américain avec un nom à consonance étrangère musulmane, et des arguments préventifs délirants d’Israël et de ceux de ses partisans aux USA qui ne tolèrent pas qu’on critique l’Etat juif.

Les Dogan étaient une famille tranquille, peu remarquée par leurs voisins, dans l’Etat de New York. Ahmet Dogan venait d’une région de la Turquie pour étudier la comptabilité à l’Institut polytechnique de Rensselaer.

C’était un étudiant sérieux ; les Dogan faisaient peu dans le divertissement. Mais quand leur plus jeune fils, Furkan, naquit en 1991, la famille organisa une fête et un voisin porta alors un toast « au premier citoyen états-unien de la famille ».
Furkan Dogan a vécu seulement deux ans à Troy, retournant en Turquie avec sa famille en 1993. Mais il était fier de son passeport américain et rêvait de revenir après avoir fini ses études de médecine. Cinq balles israéliennes - dont au moins deux dans la tête - ont mis fin à son rêve, le 31 mai de cette année. Dogan avait 19 ans.

Le jeune Etats-unien, qui venait juste de terminer son lycée avec des notes excellentes à Kayserei, une ville du centre de la Turquie, avait vu une annonce en ligne demandant des volontaires pour apporter de l’aide à Gaza. L’annonce qui venait d’une organisation de bienfaisance turque, la Fondation de secours humanitaires, ou IHH, précisait que l’objectif du voyage était de montrer que le « blocus/embargo d’Israël pouvait être rompu de façon légale. »

Peu intéressé par la politique, mais avec une préoccupation de futur médecin pour la souffrance palestinienne, Dogan tira le bon numéro pour partir.
La façon dont il a été tué est contestée - comme à peu près tout ce qui concerne la prise d’assaut navale par Israël de la flottille de six navires en route pour Gaza - mais son père soupçonne qu’une caméra vidéo que portait son fils pourrait avoir provoqué les commandos israéliens.

Bon ça va, j’en ai assez dit, c’est le début de l’histoire que vous n’avez pas pu lire sur la courte vie de Furkan Dogan, Etats-unien tué par les forces israéliennes dans les eaux internationales sur le navire battant pavillon turc, Mavi Marmara.

A dire vrai, je ne suis pas allé à Troy, mais je trouve que le silence sur Dogan depuis sa mort il y a presque deux mois, est à la fois insultant et instructif.
Je n’ai guère de doute que si l’Etats-unien tué sur ce navire avait été Hedy Epstein, survivant du génocide juif qui est de St-Louis, ou Edward Peck, ancien ambassadeur US en Mauritanie, nous en aurions entendu beaucoup plus. Nous aurions lu cette sorte de reconstructions automatiques que les morts d’Etats-uniens à l’étranger, dans la violence et dans des circonstances controversées, tendent à provoquer. (Epstein avait prévu d’être à bord de la flottille, et Peck y était).

Je ne doute pas davantage que si l’incident avait été autre - disons si un jeune Etats-unien de 19 ans s’appelant Michael Sandler avait été tué par un tireur palestinien en Cisjordanie, pris dans un échange de tirs entre Palestiniens et Israéliens -, nous aurions été inondés d’histoires sur lui.

Mais un certain froid vous enveloppe quand vous vous trouvez avec cette combinaison : des commandos israéliens ouvrent le feu, un Américain avec un nom à consonance étrangère musulmane, et des arguments préventifs délirants d’Israël et de ceux de ses partisans aux USA qui ne tolèrent pas qu’on critique l’Etat juif.

Ce froid est une mauvaise chose. Faisons le nécessaire pour découvrir comment Dogan est mort, et les huit autres victimes. Le Moyen-Orient requiert une discussion plus ouverte et la fin des tabous. Il faut que les institutions dirigeantes de la communauté juive des Etats-Unis poussent à un large débat au lieu de, comme Peter Beinard l’écrit dans un récent essai important paru dans The New York Review of Books, au lieu de bloquer « leur libéralisme à la porte du sionisme ».

Faisons front, sans le tollé qui a entouré la flottille et qui a permis à l’administration Obama de s’interroger sur l’étouffement autodestructeur de Gaza par Israël, Israël en serait toujours à imposer un blocus laissant sous le contrôle du Hamas tout ce qui reste de l’économie de Gaza. Aujourd’hui, le blocus a été assoupli.

Comme cela le laisse penser, Israël, telle l’autruche, va pousser sa politique née du mantra sécuritaire au-delà de sa logique, ne changeant de cap que lorsque ses amis critiques font entendre leurs voix. Il est temps pour l’establishment juif états-unien de reprendre la réflexion - et je pense, publiquement - ou il risque de perdre de nombreux jeunes juifs qui sont perturbés par les orientations d’Israël.

J’espère que tous les membres du Congrès liront le livre de Beinart. J’ai contacté le bureau du député du Congrès, Paul Tonko, qui représente la circonscription de Troy, pour qu’il pose des questions à propos de Dogan. Son porte-parole, Beau Duffy, a répondu, « Ce n’est pas très en rapport avec le local », et que Tonko n’avait fait aucun commentaire. Pas vraiment une surprise : personne au Congrès n’a eu quelque chose à dire sur la mort de cet Américain.
J’ai appelé le Département d’Etat où un fonctionnaire m’a dit que l’ambassadeur US en Turquie avait proposé une assistance à la famille Dogan. (Il a nié aussi l’information selon laquelle les Etats-Unis auraient l’intention de désigner IHH comme organisation terroriste).

Toute éventuelle action, notamment une enquête possible du FBI sur la mort de Dogan, dépend des résultats de celle conduite par un juge en retraite de la Cour suprême israélienne, avec deux observateurs étrangers. La famille Dogan pourrait également demander une action du FBI.

Mais il semble qu’elle n’ait guère d’illusions. Le professeur Dogan, qui enseigne à l’université de Kayseri, a dit à Marc Champion, du Wall Street Journal (qui a écrit le meilleur article sur Dogan) qu’il se demandait quelle aurait été la réponse des USA si son fils avait été un ressortissant chrétien d’origine américaine. Ayant vécu en Amérique, il dit, « Je sais ce que les gens font là-bas quand un chat reste coincé dans un arbre ».

C’est différent, cependant, quand c’est un homme, états-unien musulman, qui reste coincé sous une grêle de balles israéliennes.

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