Effectivement, il y a eu une crise sur le plan des perceptions. Mais qu’est donc au juste cette crise perceptuelle ? Couvait-elle depuis longtemps ? Que manifestait-elle en fait si nous rejetons l’explication des commissaires par la crise identitaire de la petite nation québécoise minoritaire, écorchée et craintive pour son avenir ?
La société québécoise : une société désorientée et bloquée
Nous croyons pour notre part que la société québécoise se trouve dans une situation critique. Et cela s’explique. Le Québec a subi une série d’offensives auxquelles il n’a pu résister. Ces défaites ont engendré un fort sentiment d’impuissance collective et un affaiblissement de sa capacité d’intégration politique des communautés ethnoculturelles et des nouveaux arrivants.
A. La défaite de la lutte pour la souveraineté nationale
Après deux référendums perdus, la crise stratégique du Parti québécois est maintenant évidente. Son abandon de la perspective référendaire n’en est qu’une illustration. Plusieurs déjà ont fait leur deuil de ce combat essentiel pour l’indépendance du Québec. Pour nous, il faut tracer les chemins d’une stratégie alternative à celle du Parti québécois et identifier les forces qui pourront la porter. Québec solidaire s’est attelé à ce travail.
Mais pendant ce temps, profitant de ses victoires et de la situation de désorientation qu’elles ont créée, l’État fédéral continue d’éroder les pouvoirs du Québec et a le champ de plus en plus libre pour réaliser son objectif de construction de la nation canadienne. Le fédéral consacre des moyens énormes à la dénégation quotidienne de la réalité nationale du Québec. Curieusement ( ?!), le mandat des commissaires faisait de ce point central pour comprendre la situation un point échappant à leur investigation.
B. Les défaites du mouvement syndical s’empilent
L’offensive contre les acquis sociaux des dernières années développe également ce sentiment d’impuissance. Le gouvernement Charest a d’abord attaqué frontalement les libertés syndicales. Il a décrété les conditions de travail des employé-e-s du secteur public niant par le fait même leur droit élémentaire de négocier. Malgré une résistance militante, Charest a imposé ses volontés. Il continue maintenant sa réingénierie néolibérale de l’État en favorisant la privatisation du secteur de santé et la fragmentation élitiste de notre système d’éducation. Dans le secteur manufacturier, la mise en concurrence directe des travailleuses et des travailleurs du monde entier par la mondialisation capitaliste a conduit à des licenciements massifs auxquels il fut très difficile de résister.
C. Le poids du néolibéralisme sur la situation des femmes
Malgré des mobilisations importantes, le mouvement des femmes voit nombre de leurs acquis remis en questions. Beaucoup de femmes continuent à vivre dans une situation de grande pauvreté, d’iniquité salariale et de violence. Au niveau des rapports sociaux de sexe, on assiste au développement de la pornographie, du système prostitutionnel, à l’extension de l’hypersexualisation des jeunes filles et à des attaques contre le droit à l’avortement… Face à ces préoccupantes réalités, les commissaires n’ont pas daigné dépasser la recommandation du principe- d’égalité sans fournir aucune balise claire pour permettre de concrétiser l’instauration et la défense concrète de cette égalité.
La panne d’intégration en cette période néolibérale ?
En bref, la majorité de la population du Québec peine de plus en plus à trouver en son sein l’énergie et les moyens de faire face à ces attaques. Elle se sent menacée, car elle l’est effectivement par ces attaques. Pas étonnant que cet affaiblissement de la force de l’action collective tende à nourrir un sentiment de forteresse assiégée.
Mais ces attaques sont aussi vécues par les groupes ethnoculturels et les populations immigrées. Les difficultés de l’intégration économique, sociale et politique sont directement liées à cette situation. Les populations immigrées vivent quotidiennement le chômage, la précarité du travail, la discrimination dans l’accès à l’emploi…imposées par les politiques néolibérales. Les femmes immigrantes ou membres des groupes ethnoculturels ou racisés sont les principales victimes de la discrimination imposée par la logique de ce système économique.
Le projet politique indépendantiste en crise a perdu son pouvoir d’attraction et particulièrement parce que le parti politique qui en était le mentor a été un des artisans de l’offensive néolibérale contre la majorité de la population.
Les organisations syndicales se retrouvent dans des conditions où la syndicalisation des nouveaux arrivants qui se retrouvent dans les secteurs précaires des services est très difficile. Le rôle d’intégration joué par les organisations du mouvement syndical reste important mais rencontre de nombreux obstacles liés à cette période néolibérale. La vraie question qui est devant le peuple du Québec, c’est de dépasser le blocage actuel. La vraie question pour les populations immigrées et les groupes ethnoculturels, c’est de s’intégrer dans une société bloquée, attaquée, précarisée et dont la réalité nationale est déniée par l’État canadien ? Le Québec est une société qui voit son projet collectif d’émancipation entrer en crise ; c’est une société qui voit remis en question nombre d’acquis sociaux conquis souvent de hautes luttes ; c’est une société qui voit s’affaiblir ses organisations de résistance collectives. Et pour les commissaires, il n’y aurait qu’un problème de perception. Cherchez l’erreur !
Les débats sur les accommodements raisonnables, une diversion déroutante
Aux problèmes réels, la Commission va tendre à substituer des problèmes qui peuvent être résolus par les seules ressources du discours et par le seul maniement des symboles.
En orientant la discussion sur des questions culturelles, les commissaires ont préparé la voie à cette diversion. Voilà pourquoi, les symboles religieux tout particulièrement ont occupé le centre des préoccupations des personnes participant à la tournée des commissaires. Les problèmes majeurs de la société québécoise ont été écartés de la discussion. L’attention a été déplacée dans la sphère éthérée des grands principes et des angoisses culturelles.
Les audiences ont détourné les yeux des fondements de la panne d’intégration et se sont concentrées sur les accommodements religieux, sur le port de signes religieux dans l’espace public. Beaucoup ont trouvé une solution symbolique et culturelle à cette panne d’intégration : une injonction aux minorités culturelles et religieuses à faire allégeance à nos valeurs communes. Certains ont pris le ton de la supplique d’autres celui de l’ultimatum. Mais, tout cela ressemblait malheureusement à une déroutante diversion que les médias tous à leur logique spectaculaire ont malheureusement nourrie pendant des mois.
Et comme le discours dominant des dirigeants occidentaux désignait déjà les musulmans comme porteur de tous les dangers, avec leur religion aux principes patriarcaux (comme si le christianisme avait beaucoup à lui envier à cet égard), on a construit au Québec un problème du voile des femmes musulmanes porteuses des reculs appréhendés.
Les nationalistes péquistes pour leur part au lieu de se questionner sur leurs propres responsabilités stratégiques dans l’accumulation des défaites et dans l’affaiblissement des capacités d’intégration, ont, eux reproché aux commissaires de ne pas avoir appelé les groupes ethnoculturels et les immigrant-e-s à s’assimiler à la majorité québécoise. L’incantation remplaçait ici encore l’analyse.
La pédagogie interculturelle, réponse instrumentale pour un problème de perception
Tout à leur humanisme libéral, nos commissaires ont présenté comme solution une pédagogie de l’intégration interculturelle. Ils ont appelé à l’ouverture et à la tolérance. Ils ont élaboré une série de propositions qui relèvent d’une éducation populaire dont on ne saurait dénier l’importance. Mais en fait, ils sont complètement passés à côtés des problèmes majeurs et stratégiques qui taraudent la société québécoise. Ils ont réfléchi sur une laïcité ouverte, mais sont restés silencieux sur les véritables questions de la laïcité dans le Québec d’aujourd’hui : soit celle du financement public des écoles privées et confessionnelles d’une part et d’autre part le retour de l’enseignement de la culture religieuse comme seule option pour la formation des générations futures… dans l’école publique !
L’intégration citoyenne passe une perspective de transformation sociale et d’indépendance nationale
Pouvait-on espérer plus de cette commission ? Sans doute pas. La solution aux problèmes véritables qui se posent à la population du Québec sera politique. Elle se fondera sur l’articulation démocratique d’un projet de transformation sociale véritable et d’indépendance nationale. C’est dans la mesure où les forces de gauche tant au niveau politique que des mouvements sociaux pourront trouver les voies de la remobilisation sociale et nationale qu’il sera possible de dépasser la situation actuelle. Les discours fumeux sur les valeurs communes apparaîtront sur ce qu’ils sont vraiment : une erreur de perception et… d’analyse.