Malgré sa jeune histoire, Québec solidaire est devenu l’expression la plus achevée de la véritable gauche politique québécoise. Pour la première fois de l’histoire du Québec, une alternative de gauche, féministe, écologique et indépendantiste arrive non seulement à se constituer en alternative politique, mais aussi à occuper une place stratégique dans l’échiquier politique.
Le projet politique porté par Québec solidaire réussit à conjuguer les aspirations à se doter d’un pays indépendant avec un projet politique et économique émancipateur qui cherche à se dégager des structures de domination politique et économique imposées par le fédéralisme canadien. Ce projet trouve écho dans une fraction importante de la population et nous sommes loin d’avoir épuisé le capital de sympathie et d’adhésion à nos idées.
Dans l’actuelle conjoncture politique, de par notre force électorale, même si elle est minoritaire, nous occupons une place stratégique qui nous permet d’interagir avec les autres forces politiques. Le rapport de forces politiques obtenu par Québec solidaire n’a jamais été si grand et nous devons agir dans le sens de la conservation et, surtout, de l’amélioration de ce rapport de forces favorable sans jamais perdre de vue nos valeurs et orientations fondamentales.
C’est dans ce contexte que doit se déployer notre vision des alliances. D’une part, nous devons consolider nos alliances avec les mouvements sociaux, assise fondamentale de notre action politique. Cela implique le maintien de notre critique radicale du système actuel et d’une vision de l’indépendance exigeant une transformation des institutions qui empêchent l’expression de la souveraineté populaire. D’autre part, nous devons faire en sorte que notre force politique réussisse, même dans une position de minorité électorale, à nous faire jouer un rôle stratégique obligeant le PQ à faire des concessions majeures s’il souhaite une quelconque forme de convergence avec nous. Et nous ne devons jamais perdre de vue que Québec solidaire doit sortir renforcé de l’élection de 2018 en obtenant beaucoup plus de votes et en faisant élire un plus grand nombre de députés.
Conjoncure
À part l’intermède péquiste entre 2012 et 2014, le Québec est gouverné sans interruption par le PLQ depuis 2003. Malgré le fait que notre système politique est construit sur la base de l’alternance du pouvoir entre deux partis qui partagent sensiblement la même vision sociale et économique, nous assistons à un fractionnement de l’électorat. Une partie substantielle de celui-ci, ne se retrouvant plus dans les deux partis dominants, cherche des alternatives. Cela a conduit à la naissance de l’ADQ et plus tard de la CAQ, parti sensiblement campé à droite, et de QS, expression politique d’un projet émancipateur de gauche. Or, l’évolution de l’adhésion électorale aux deux vieux partis est sensiblement différente. Si l’électorat péquiste s’érode à chaque élection, ce qui met en lumière l’épuisement de leur projet historique sur la souveraineté, le coeur de l’électorat libéral demeure stable et immuable, ce qui assure la réélection continuelle de ce parti malgré les signes évidents du pourrissement éthique qui le ronge.
Les stratèges politiques du PQ ne se trompent pas : le fractionnement de l’électorat et l’érosion de leur électorat assurent la pérennité de la gouvernance du PLQ. Logiquement, c’est dans ce contexte que se développe une forte pression afin que les partis, principalement QS et le PQ, laissent leurs divergences de côté pour sceller une alliance électorale en mesure d’obtenir une majorité parlementaire. Logiquement aussi, cette pression provient surtout du PQ et de ses alliés, parti qui a le plus à gagner de cette alliance : ils formeraient alors un gouvernement en subordonnant QS à des postes subalternes et sans influence réelle dans la gestion de l’État. QS deviendrait ainsi un « faire-valoir » des politiques néolibérales de ce parti soi-disant social-démocrate. De ce point de vue, le projet solidaire a peu à gagner de cette alliance.
Or, un refus net et immédiat de tout dialogue politique avec le PQ, même pour discuter d’accession à la souveraineté, comporte aussi des conséquences. QS sera dépeint comme le parti qui permet la réélection du PLQ et donc comme un élément de division du vote qui nous transforme, de facto, en alliés des libéraux. Cela peut avoir comme effet concret d’accentuer la pression du vote stratégique faisant en sorte qu’une bonne partie de l’électorat que nous courtisons alloue son vote au PQ.
Nous sommes aux prises avec le vote dit stratégique, d’une part, et, d’autre part, l’impérieuse nécessité d’augmenter notre pourcentage électoral, au détriment du Parti québécois certainement. En effet, la courte histoire de Québec solidaire est marquée par les conséquences négatives du vote stratégique et cela explique, mais pas uniquement, la lenteur de notre progression. Malgré cela, nous arrivons à obtenir des victoires, à marquer des points et à nous imposer comme un acteur politique dans la politique québécoise. Cependant, l’exaspération d’une grande partie de l’électorat devant la réélection automatique du PLQ peut aussi se tourner contre nous et effacer, le temps d’une soirée électorale, les avancées que nous avons durement gagnées. Par ailleurs, en politique il n’y a que deux options : augmenter notre pourcentage électoral ou reculer. La stagnation du vote pour un parti comme le nôtre appartient à cette dernière catégorie. QS a besoin d’un point de bascule. Nous devons faire élire davantage de député.e.s et sortir de Montréal. Nous ne pouvons compter sur une déconfiture du vote libéral fédéraliste. Notre seule option se trouve donc dans le fait d’arracher des segments électoraux au PQ. Dans cette optique, il nous est essentiel de maintenir un profil très critique du projet péquiste.
La convergence
Les Organisations unies pour l’indépendance (OUI Québec), coalition non partisane de groupes issus du mouvement souverainiste, invitent les partis souverainistes à discuter de l’adoption d’une feuille de route menant à l’indépendance. Inspirée de l’expérience catalane, cette feuille de route établit les grandes étapes d’une stratégie d’accession à l’indépendance. Québec solidaire doit donc répondre à cette invitation.
Bien évidemment, cette feuille de route vise l’élection d’une majorité souverainiste, ce qui implique, dans le cas du Québec, une entente électorale entre le PQ, QS et ON et, obligatoirement, un partage des circonscriptions entre les partis afin d’avoir des candidatures uniques qui évitent l’éparpillement du vote souverainiste. La forme exacte de ce partage de circonscriptions est loin d’être déterminée, mais peu importe sa forme, cela envoie le message que le PQ et QS deviennent des alliés afin de battre les libéraux.
Ce texte n’a pas pour objet de favoriser l’une ou une autre option quant à une éventuelle alliance électorale. Il est prématuré selon nous de s’avancer dans l’un ou l’autre sens. Nous pouvons par contre examiner les effets d’un refus immédiat de l’offre de OUI Québec et envisager les objectifs politiques d’une éventuelle acceptation de participer à un tel dialogue à court terme. L’option prise par ce texte est celle de permettre à QS de participer à ce dialogue au sein de OUI Québec et de bien cerner à quelles conditions.
Parmi les objections à un dialogue avec le PQ, nous retrouvons celle que nous appellerons l’hypothèse de « la main dans le tordeur ». Une fois que nous y serons, il sera très difficile de s’en dégager sans accepter un coût politique important. Disons d’emblée que le coût politique d’un refus de participer au dialogue de la feuille de route est immédiat. Nos adversaires tireront profit de ce refus initial en passant les deux ans qui restent d’ici les prochaines élections à nous qualifier de sectaires et de dogmatiques qui refusent toute possibilité de dialogue afin de battre les libéraux. Nous allons nous défendre, bien sûr, mais malgré notre rhétorique, cela peut avoir des effets négatifs sur notre base électorale et surtout sur le segment électoral que nous voulons attirer. On peut même envisager que certains alliés dans les mouvements sociaux, où le PQ a encore une influence, puissent se détourner publiquement de nous.
Par ailleurs, même s’il peut devenir plus difficile de refuser un pacte une fois que nous avons formellement engagé un dialogue, nous aurons davantage d’éléments pour expliquer à l’opinion publique notre refus, en démontrant, par exemple, le refus du PQ d’adopter certaines de nos positions fondamentales et en faisant en sorte de renverser le fardeau de la preuve. Pour cela, il faut impérativement avoir accepté de dialoguer, sinon l’utilisation de cet atout disparaît. Cependant, il est hors de question d’entreprendre ces échanges avec le PQ sans avoir déterminé une base de négociation en dessous de laquelle nous ne nous engagerons pas. Malgré la volonté de OUI Québec de cantonner la négociation à seulement une feuille de route portant sur l’accession à l’indépendance, il est hors de question, en ce qui nous concerne, de nous limiter à cela. Nous mettrons sur la table une base minimale de gouvernance, comme la réforme du mode de scrutin, le refus de l’austérité, la sortie du pétrole et le refus des politiques identitaires, pour ne nommer que celles-ci. De plus, dans le domaine de l’accession à l’indépendance, nous n’accepterons rien de moins que la stratégie de l’Assemblée constituante, aussi difficile que cela puisse paraître au PQ.
Étant donné l’historique de QS, nos origines, nos valeurs et notre projet, il est difficile d’imaginer une possibilité d’entente électorale avec le PQ. Pour l’instant, il ne s’agit pas de cela, mais d’entreprendre un dialogue politique avec le PQ sous l’égide de OUI Québec. S’il y a un résultat à ce dialogue, ce qui n’est pas certain, il sera soumis aux membres. Nous souhaitons donc que le Conseil national donne à la direction de QS le mandat d’entrer dans cette arène politique du OUI Québec, de nous permettre de dialoguer formellement avec les autres composantes du mouvement souverainiste, d’avoir confiance dans nos positions et dans notre capacité d’installer nos propositions au centre de la dynamique politique. Nous serons alors en meilleure posture pour tenter d’arrimer d’autres forces politiques à nos positions, et non pas l’inverse.
Encore une fois, si l’évolution de ces discussions ne favorise pas l’avancement de notre projet politique, nous porterons le fardeau politique d’un retrait, mais cette fois-ci, en ayant démontré notre capacité de dialoguer et surtout, en utilisant ce refus à notre avantage, ce qu’un refus immédiat ne nous permet pas de faire.
Québec solidaire est arrivé à un stade de développement dans lequel il se trouve en position de force par rapport au PQ. Utilisons ce rapport de forces favorable afin de mieux positionner QS auprès de l’électorat.
Option 2
Il est proposé :
. Que Québec solidaire participe à la première étape du dialogue proposé par OUI Québec portant sur une feuille de route visant l’indépendance du Québec et réunissant QS, le PQ et ON ;
. Que Québec solidaire défende le principe de l’Assemblée constituante comme stratégie d’accession à l’indépendance et travaille à le faire adopter par l’ensemble des partis souverainistes ;
. Que QS défende la nécessité d’inclure les principes suivants dans le projet d’une constitution d’un Québec indépendant :
o La pleine justice sociale et fiscale qui assure le maintien et le développement de services publics universels et accessibles dispensés par l’État ;
o Une transition écologique exigeant une diminution progressive et résolue de la production et de la consommation des énergies fossiles ;
o La mise en place d’un système électoral comportant des éléments de proportionnalité qui assurent l’égalité des votes et permettent de refléter la volonté populaire exprimée dans les urnes et la représentation équitable des femmes et des régions ;
o L’abandon de toute politique identitaire qui stigmatise des minorités ;
. Qu’un prochain congrès de QS prenne acte des résultats des travaux accomplis lors de cette première étape, approuve ou non ses conclusions et décide des suites en cette matière ;
. Qu’aucun pacte électoral sous aucune forme ne soit abordé dans les discussions portant sur la feuille de route de OUI Québec, le débat devant porter strictement sur un mode d’accession à la souveraineté.