Comme la majorité des lecteurs et lectrices de PTAG, je ne suis pas un grand fan de Mathieu Bock-Côté. C’est certainement un gars plein de talent, mais sa pensée nous ramène au nationalisme conservateur qui avait si longtemps dominé avant d’être marginalisé dans l’élan de la révolution-pas-si-tranquille. Je ne crois vraiment pas qu’un retour à Lionel-Groulx soit une porte de sortie honorable au déclin actuel du nationalisme québécois. Mais Bock-Côté n’est pas un danger public. Il ne menace pas les libertés civiles et il ne préconise pas de mettre en prison les immigrants et immigrantes qu’ils voient cependant comme une « menace » contre notre identité.
Lionel-Groulx, je ne le sortirais pas non plus de notre répertoire. Certes, il fait partie de notre histoire qui est, comme toutes les histoires, tourmentées, polarisées. Les idées de droite, qui dominaient outrageusement, et cette attirance vers un conception « pure » de la nation, doivent être combattues. Nos « ancêtres » l’ont combattu, de Madeleine Parent en passant par Guy Rocher et tant d’autres. Ils l’ont fait, mais pas par la censure. Et nous on doit faire pareil.
La censure n’est jamais de bon conseil à gauche, n’en déplaise à une certaine tradition venue au départ d’Union Soviétique et qui a par la suite « contaminé » d’autres expériences, chez nos amis cubains notamment. La production littéraire devait passer au crible d’obscures fonctionnaires chargés d’assurer la « sécurité » de l’État qui menaçaient surtout des dissidents cubains, surtout s’ils étaient homosexuels.
Un mouvement d’émancipation doit avoir le courage de ses opinions, ce qui veut dire une certaine confiance dans un débat d’idées ouvert, qui exclut, évidemment, des appels directs au meurtre et à la violence, qu’on observe maintenant de plus en plus dans les médias sociaux. En principe, il y a des lois pour empêcher la propagande haineuse et il serait plus sage de s’en tenir à cela plutôt que de censurer les uns et les autres, sans compter cette propension à prétendre au langage défini comme « politically correct ».
Je comprends la colère des jeunes face à la persistance du racisme systémique ou du machisme encore en vogue, mais est-ce qu’on peut penser sérieusement que cette cause avancera en censurant Pierre Vallières ? Seuls les ignorants ne connaissent pas le fait que l’auteur des Nègres blancs d’Amérique était un grand partisan des Black Panthers. Des organisations révolutionnaires comme la Troisième Internationale fondée pour appuyer les luttes de libération parlaient de la « question nègre » pour inciter tous et toutes à participer aux luttes contre l’oppression raciale.
De toute évidence, on dérape. Cela relève un peu d’un même aveuglement, lorsqu’on condamne l’Association des libraires d’avoir « permis » à François Legault de rendre publique son admiration pour Block-Côté. Combattre les idées de droite de Bock-Côté, ce n’est pas cela.
Ces faux débats soulignent l’essor des politiques dites de l’identité, qui sont plutôt une invention de la droite d’ailleurs. Trop souvent, les débats importants (les enjeux écologiques, les inégalités sociales, l’envahissement des GAFA, la guerre « sans fin » ouverte par les États-Unis depuis 20 ans) sont mis de côté. Avec cela, on cache l’essentiel. On occulte le fait que la discrimination et l’oppression subie par des minorités, tels le racisme, le machisme, l’islamophobie, l’antisémitisme, l’homophobie, sont réellement, selon l’expression consacrée, « systémiques ». Ils découlent d’un dispositif de pouvoir capitaliste et impérialiste qui s’assure de se protéger en propageant l’idée du tout-le-monde-contre-tout-le-monde. Il faut les combattre, et le meilleur moyen d’arriver à des progrès sensibles, c’est de recréer un nouveau et grand « nous », qui dans un esprit utopique (au sens noble du terme) espère reconstruire une société où on se retrouve ensemble. Je suis confiant qu’on avance dans cette voie, un peu chaotiquement, un peu à tâtons. On n’est pas (et jamais) sûrs de gagner. Mais à force de détermination, d’énergie intellectuelle et politique et de capacité d’argumenter, on continue. Comme nous le rappelait Bertolt Brecht, on peut perdre quand on lutte, mais on perd toujours quand on ne lutte pas.
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