tiré du journal Le Monde ouvrier N° 147 • printemps-été 2024
Le numérique change-t-il la donne ?
Depuis quelques années, le visage du monde du travail change avec la transition numérique. Que l’on pense au recours croissant au télétravail, à l’intensification de l’automatisation, à l’accélération de la robotique ou encore à l’intégration croissante des outils d’intelligence artificielle (IA), ces changements affectent l’organisation du travail, les compétences requises ou encore les modes de gestion et de surveillance.
La pandémie a entraîné une adoption rapide et massive du télétravail dans de nombreux secteurs d’activité. Bien que cette nouvelle façon de travailler offre des avantages, elle soulève aussi des défis pour les travailleurs et travailleuses, ainsi que pour les syndicats, notamment sur les plans de la représentation et de la mobilisation.
L’arrivée en force de l’IA suscite aussi de nombreuses interrogations et beaucoup de zones grises. Elle recèle certes des opportunités d’amélioration des conditions de travail, par exemple en automatisant des tâches fastidieuses et répétitives ou en renforçant la sécurité des travail- leurs et travailleuses grâce à une meilleure détection des risques. Cependant, elle ouvre aussi la porte à une surveillance accrue par les employeurs, brouille les frontières entre vie privée et professionnelle, peut intensifier le rythme de travail, et risque de fragmenter, voire de déshumaniser, les relations au travail. Par ailleurs, son intégration progressive dans nos environnements de travail se fait parfois sans que les travailleurs et travailleuses en aient pleine- ment conscience, et souvent sans règlementation claire pour encadrer la gestion des données générées par leur activité.
La FTQ proactive
La numérisation du travail mérite donc notre pleine attention. En 2019, la FTQ en a d’a i l leurs fait la thématique de son 32 e Congrès. Si les technologies ont beaucoup évolué dans les dernières décennies, la position de la FTQ est demeurée claire face à ces enjeux : une transition numérique juste doit privilégier avant tout l’amélioration des conditions de travail et profiter équitable- ment à tous et toutes, sans laissés-pour-compte.
Devant ces nombreuses zones d’ombre, la collabo- ration avec le monde académique est précieuse pour démêler les implications de ces changements sur le travail. Comme en témoignent plusieurs articles de ce cahier spécial, des études menées par des chercheurs et chercheuses de l’UQAM dans des milieux de travail affiliés à la FTQ ont permis d’explorer les effets du télé- travail ainsi que les modalités de surveillance dans différents milieux. Plusieurs rapports importants ont aussi vu le jour dans les derniers mois, témoignant de l’intérêt général pour ces enjeux. En mars, l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique (Obvia) lançait un guide pour négocier la gestion algorithmique au travail 1 . Et à l’automne dernier, Luc Sirois, innovateur en chef du Québec, présentant son rapport sur l’encadrement de l’IA 2 , plaidait pour une réflexion collective. De son côté, la FTQ continue d’en faire une de ses préoccupations centrales, en défendant une transition numérique équitable et respectueuse des droits des travailleurs et travailleuses.
1. OBVIA, Négocier la gestion algorithmique : un guide pour les acteurs du monde du travail, [En ligne] [https://www. obvia.ca/ressources/ guide-gouvernance- algorithmique]
2. CONSEIL DE L’INNOVATION DU QUÉBEC, PRÊT POUR L’IA, Rapport de recommandations sur l’encadrement de l’intelligence artificielle, [En ligne] [https:// conseilinnovation.quebec/ pret-pour-lia-est- maintenant-deposer
Négocier la gestion algorithmique
Dans le monde du travail, l’avènement de la gestion algorithmique s’annonce comme une révolution silencieuse aux conséquences potentiellement immenses.
À l’heure où l’intelligence artificielle (IA) commence à s’immiscer dans l’organisation du travail et que des sanctions disciplinaires peuvent être imposées à partir d’un algorithme, les changements sont majeurs dans les façons de gérer les griefs et de négocier l’organisation du travail. Comment garantir la transparence et l’équité des décisions prises automatiquement ? Et quelles seront les conséquences sur le travail et les relations entre employeurs et personnes employées ?
La question n’est plus « si », mais « quand » ces technologies impacteront le quotidien d’une majorité de travailleurs et travailleuses. La nécessité d’agir et de prévenir n’a jamais été aussi pressante. Les syndicats, souvent en première ligne dans la négociation de l’organisation du travail, se trouvent face à un défi inédit : négocier la place et le rôle de ces technologies dans les milieux de travail, alors même que leurs formes et leurs effets sont encore assez mal connus.
Un guide pratique
L’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique (Obvia) a récemment proposé une nouvelle ressource : le guide Négocier la gestion algorithmique.
Élaboré avec la participation de la FTQ et de ses syndicats affiliés, ce guide arrive à point nommé pour aider les syndicats à négocier autour de l’utilisation des algorithmes au travail. Il permet de mieux comprendre ce qu’est l’IA et la gestion algorithmique et fournit une liste de questions à se poser pour identifier quelles formes ces technologies peuvent prendre et quoi négocier avec les employeurs lors de leur intégration dans les milieux de travail.
Une gestion algorithmique ?
De manière générale, il s’agit de l’automatisation de tâches de gestion traditionnellement effectuées par des humains. Par exemple, l’évaluation de la productivité de télétravailleurs et télétravailleuses, la sélection de candidatures parmi un grand nombre, la surveillance des déplacements ou encore le contrôle de la qualité de diction d’un téléopérateur ou d’une téléopératrice…
Autrement dit, ces systèmes automatisés peuvent assister, voire remplacer, les gestionnaires dans leur fonction et cela devient particulièrement préoccupant lorsque c’est un algorithme qui peut décider d’imposer une sanction disciplinaire. C’est pourquoi il est essentiel de comprendre sur quelles bases ces décisions sont prises et qui en est responsable.
Le rôle essentiel des syndicats
Le guide met en avant le rôle essentiel des syndicats dans la négociation de l’utilisation et des impacts des technologies de gestion algorithmique. Il encourage les travailleurs et travailleuses, via leurs représentants syndicaux et représentantes syndicales, à prendre part activement à l’élaboration des politiques d’utilisation de l’IA, pour garantir une mise en œuvre éthique et respectueuse des droits des employés et employées.
Pour le moment, la question de la gestion algorithmique peine à émerger dans les discussions de négociation collective et aucune convention collective n’intègre encore explicitement ce terme. Pour cause, le sujet est encore très récent, sans compter que ses effets sont souvent difficiles à observer, la technologie étant souvent elle-même invisible. Mais l’Obvia souligne l’importance de la vague anticipée et les effets concrets à venir sur le monde du travail, d’où la nécessité pour les syndicats de s’emparer de cette question comme un enjeu de négociation. n
Comment les travailleuses et travailleurs s’adaptent-ils au télétravail ?
Par Yanick Provost Savard, professeur au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal et directeur du Laboratoire de recherche sur les sphères de vie et le travail, et Dana Bonnardel, étudiante au doctorat en psychologie à l’Université du Québec à Montréal et membre du Laboratoire de recherche sur les sphères de vie et le travail.
Au cours des dernières années, la réalité du télétravail a évolué rapidement. Afin de mieux comprendre comment les travailleurs et travailleuses s’adaptent à cette modalité de travail, le Laboratoire de recherche sur les sphères de vie et le travail, dirigé par le professeur Yanick Provost Savard, a sondé 155 membres de la FTQ de janvier à juin 2023. Dans l’ensemble, plus de 62 % des membres sondés rapportent un très bon ajustement au télétravail. Plus précisément, ces membres perçoivent le télétravail comme une bonne option, en plus de se percevoir comme performants et de ressentir des émotions positives lorsqu’ils et elles télétravaillent. Grâce aux réponses récoltées, deux principaux facteurs facilitant l’ajustement au télétravail ont aussi été identifiés.
Meilleure conciliation
Premièrement, les personnes qui subissent moins d’interruptions par des communications électroniques (courriels, messagerie instantanée, etc.) rapportent un meilleur équilibre entre leur travail et leur vie personnelle. Ainsi, il est préférable, même en télétravail, de limiter les communications électroniques à certaines plages horaires pour ne pas nuire aux tâches nécessitant davantage de concentration, par exemple en désactivant certaines notifications. Les milieux de travail pourraient également mettre en place des politiques de déconnexion adaptées à leur réalité et établissant les attentes en termes d’envois des communications électroniques (par exemple, aucun envoi de courriel la fin de semaine) et de délai de réponse (par exemple, 24 heures ouvrables).
Plus d’autonomie
Deuxièmement, cette étude souligne l’importance pour maximiser l’ajustement au télétravail d’offrir aux travailleurs et travailleuses la possibilité de choisir le lieu et le moment le plus approprié pour réaliser certaines de leurs tâches, ce que la littérature scientifique appelle le remodèlement spatio-temporel. Afin de mettre à profit la flexibilité inhérente à plusieurs arrangements de télétravail, une personne pourrait décider de réaliser en télétravail une tâche qui nécessite une attention soutenue ou de réaliser les tâches les plus difficiles le matin, lorsqu’elle a plus d’énergie. Accorder une flexibilité quant à l’horaire de travail, le nombre et le moment des journées de télétravail permettrait aux travailleurs et travailleuses qui le souhaitent de remodeler leur façon de travailler de manière à retirer les plus grands bénéfices de leur situation de télétravail. Parmi les autres facteurs explorés dans le cadre de ce projet, il faut mentionner également le soutien reçu à la conciliation travail-famille de la part des collègues, des employeurs, des membres de la famille et du syndicat, qui était dans l’ensemble rapporté comme modérément élevé à élevé.
La pandémie a tout changé
Jusqu’en mars 2020, le télétravail était encore rare dans la plupart des métiers de bureau. Pratique aujourd’hui plus normalisée, Le Monde ouvrier a voulu en discuter avec trois adeptes.
Une implantation en catastrophe
Crise sanitaire oblige, du jour au lendemain, des milliers de travailleurs et travailleuses étaient renvoyés chez eux et obligés d’y aménager un espace de travail pour maintenir l’activité économique. À Rimouski, c’est dans ce contexte que Joël Lefebvre Lapointe est entré au centre de soutien d’Hydro- Québec comme analyste informatique (SCFP- 4250). « C’était très dur pour tout le monde. Il fallait se procurer et gérer l’installation d’un paquet d’équipements à distance, et en même temps installer les logiciels, développer les nouvelles méthodes d’identification auprès de tous les employés et les aider à se connecter », raconte-t-il.
Malgré une adaptation forcée, la viabilité du télétravail a été vite démontrée. « On a senti une méfiance durant environ six mois. L’employeur surveillait nos connexions informatiques, notre disponibilité à répondre aux appels téléphoniques de service à la clientèle, etc. Puis, la surveillance s’est apaisée », se rappelle Stéphane Morin, agent d’assurance chez TD assurance à Montréal (Teamsters 931).
À la Société de transport de Montréal, « la direction s’est rendu compte qu’elle peut nous faire confiance, que le travail se fait. De notre côté, on a la volonté de maintenir notre productivité pour conserver cet acquis », explique Rachel Thibault, analyste principale en soutien technique à l’ingénierie (SEPB-610).
Des bienfaits appréciés
Constat unanime : le télétravail améliore la qualité de vie. « Les gens sauvent du temps de transport, peuvent garder un enfant malade à la maison sans avoir à prendre congé. Ça donne une certaine flexibilité », observe Stéphane Morin. Le télétravail est devenu une condition d’emploi essentielle pour Rachel Thibault : « J’habite à Saint-Jérôme et ne plus faire le trajet aller-retour au bureau a enlevé un stress énorme dans mon quotidien, au bénéfice de ma vie personnelle. Je ne retournerais jamais en arrière. »
Des relations sociales différentes
L’alternance entre travail au bureau et télétravail pose des défis de socialisation. « Je n’ai pas de problème avec la solitude. Avec les collègues, on essaie de se parler le plus possible, caméras ouvertes, ou d’aller au bureau le même jour. Mais certains ont davantage besoin de socialiser et c’est moins évident quand tu ne vois personne », explique Joël Lefebvre Lapointe.
La réduction des contacts humains crée d’autres défis. « La mobilisation syndicale et l’aide auprès de nos membres sont moins faciles. Les conversations de cafeteria, les liens directs avec les délégués syndicaux, nos antennes ne sont plus les mêmes pour les préoccupations des collègues », conclut Stéphane Morin, délégué en chef de sa section locale.
Un récent guide résume les résultats d’une étude menée au printemps
2023 auprès de quelques 800 membres de la FTQ, de la CSQ et de la CSN, exposant l’éventail des technologies de surveillance utilisées dans les milieux de travail. Les grands constats 82% des personnes participantes sont soumises à une forme de surveillance électronique et 30 % se sentent constamment surveillées ! Face à ces constats, le guide souligne l’importance d’une collaboration et d’un dialogue ouvert pour une utilisation éthique et transparente des technologies de surveillance. n Le guide est disponible en ligne à sac.uqam.ca/le-service-aux- collectivites/rapports/552-guide- pratique-sur-la-surveillance- electronique-au-travail.ht
Vers une surveillance électronique au travail 2.0 ?
Par Ariane Ollier-Malaterre, professeur au Département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM, Xavier Parent-Rocheleau, professeur adjoint au Département de gestion des ressources humaines à HEC Montréal, Yanick Provost Savard, professeur au département de psychologie de l’UQAM, et Sabrina Pellerin, candidate au doctorat, Département d›organisation et ressources humaines de l’UQAM. / Recherche menée en partenariat avec la CSN, la CSQ et la FTQ, avec l’accompagnement du Service aux collectivités de l’UQAM, dans le cadre du Protocole UQAM/CSN/CSQ/FTQ.
Que les employeurs surveillent les personnes employées au travail, c e n’est pas nouveau. Toutefois, de nouvelles technologies, parfois appelées « patrongiciels », permettent désormais de collecter plus de données sur les activités des personnes employées et de les analyser à l’aide d’algo- rythmes pour en dresser des « portraits » détaillés. Les heures de travail, les comportements, la performance, les attitudes et parfois les émotions sont ainsi observés, que l’on travaille dans les locaux de l’organisation, sur la route ou en télétravail.
État des lieux
Est-ce que ces technologies sont très présentes au Québec ? Dans le cadre d’un projet de recherche mené dans le cadre du Protocole intersyndical du Service aux collectivités de l’UQAM, presque 800 membres de la FTQ, de la CSQ et de la CSN ont été consultés au printemps 2023 : 82 % des personnes répondantes signalent au moins une technologie de surveillance et 30 % se sentent constamment surveillées dans leur travail. Le manque d’information sur ces technologies est un vrai problème : 50% des personnes répondantes ignorent si leurs médias sociaux ou leurs activités sur ordinateur sont surveillés et 36 % ignorent si leurs appels sont écoutés.
Les technologies les plus signalées sont : les cartes à puces et badges (60 %), la surveillance des sites web visités (38 %), des courriels (30 %), des visioconférences et statuts d’activité sur les plateformes comme TEAMS (28 %), les caméras (28 %), la surveillance du téléchargement de fichiers (24 %) et des médias sociaux (22 %) et la géolocalisation (21 %). Viennent ensuite la surveillance de la messagerie instantanée (19 %), l’écoute d’appels et les microphones (15 %), les captures d’écran (14 %), la surveillance des mouvements de la souris (12 %), de l’écran en temps réel (11 %) et des frappes au clavier (8 %). Les cols bleus, la main-d’œuvre ouvrière et les personnes employées des grandes organisations signalent davantage de surveillance.
Plusieurs inquiétudes
La légitimité, la transparence et l’intrusivité de la surveillance sont les principales pré- occupations des personnes répondantes. La plupart considèrent qu’il n’est pas normal que les employeurs utilisent ces technologies et estiment que les employeurs n’informent pas les employés et employées de façon transparente.
Plus de 70 % des personnes répondantes voient ces technologies comme une atteinte à leur vie privée et beaucoup pensent qu’elles sont aussi intrusives pour les autres personnes pré- sentes, comme les collègues et les membres de la famille dans le cas du télétravail. Les autres préoccupations sont la persistance dans le temps des données collectées, sans droit à l’oubli, et la dénaturation des outils qui peuvent être utilisés pour d’autres raisons que celles annoncées (par exemple, un badge pour assurer la sécurité, qui devient un moyen de suivre le temps travaillé).
La SST à l’ère numérique
L’avènement de nouvelles technologies, du télétravail et du travail de plateforme pose de nouveaux défis en matière de santé et de sécurité. Bien que ces avancées permettent souvent plus de flexibilité dans l’organisation du travail, elles mettent à l’épreuve les lois en santé et sécurité du travail et, conséquemment, la protection des travailleurs et travailleuses.
Statut à clarifier
Le travail de plateforme en est un bon exemple. Celui-ci implique souvent des emplois précaires et mal rémunérés dans l’économie à la tâche et soulève des défis réels en matière d’accès aux droits de santé et de sécurité. Les personnes qui travaillent à partir des plateformes sont exposées à des risques physiques et psychologiques, comme le transport de charges lourdes, les agressions verbales, la non-reconnaissance et la précarité, sans pour autant avoir le statut de personnes salariées. Obtenir ce statut légal obligerait les plateformes, à titre d’employeurs, à s’assurer que le travail effectué ne porte pas atteinte à l’intégrité physique et psychologique de ces personnes. Or, malgré qu’elles distribuent des tâches rémunérées, les plateformes ne sont pas encore reconnues comme des employeurs. Cette lacune empêche les personnes qui travaillent pour les plateformes de faire reconnaître une lésion professionnelle, puisqu’elles sont plutôt reconnues comme travailleurs et travailleuses autonomes. Or, à ce titre, elles doivent elles-mêmes cotiser au régime de santé et sécurité du Québec, une obligation généralement méconnue.
Surconsommation
Pour l’ensemble des personnes qui travaillent pour des plateformes numériques ou qui expérimentent le télétravail, la pression pour rester constamment connectées, les interruptions incessantes et le sentiment de devoir être toujours disponibles peuvent brouiller la séparation entre les vies professionnelle et personnelle. D’un autre côté, le manque de contact humain et d’échanges crée un isolement tout aussi néfaste. Ces réalités peuvent entraîner un stress accru et des problèmes de santé mentale tels que l’anxiété et la dépression. De plus, les personnes qui travaillent à distance peuvent être confrontées à des problèmes liés à leur environnement de travail inapproprié, comme des chaises non ergonomiques, alors que les employeurs se déresponsabilisent des conditions de travail lorsqu’elles sont en dehors du lieu de travail conventionnel. Pourtant, la Loi sur la santé et la sécurité du travail s’applique en contexte de télétravail, et ce, tant pour les risques psychosociaux que physiques.
Revendiquer
Pour atténuer ces risques et garantir la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses dans un environnement en évolution, il est essentiel que les syndicats soient vigilants et obtiennent des mesures proactives, comme le droit à la déconnexion, et les ajustements législatifs nécessaires pour que tous et toutes soient protégés de manière égale.
Plateformes de travail Faux jeu ou vrai travail ?
Les plateformes numériques comme Uber, DoorDash ou SkipTheDishes ont pro- fondément transformé les conditions de travail et d’emploi, posant de sérieux défis juridiques pour les droits des travailleurs et travailleuses. Au Québec, environ 32 000 chauffeurs et chauffeuses d’Uber ont été recensés en 2023. Bien qu’il n’en représente qu’une petite fraction, le nombre de travailleurs et travailleuses « à la demande » est passé de 5,5 à 8,6 % de la population active entre 2005 et 2016.
La stratégie du jeu vidéo
Ces compagnies se pré- sentent comme de simples intermédiaires, ce qui leur permet d’esquiver les responsabilités légales des employeurs. Le statut prétendument indépendant de ses travailleurs et travailleuses permet à Uber de réduire ses coûts, mais elle ne peut exiger qu’ils opèrent à des moments ou lieux précis, une condition cruciale pour un service qui vise à répondre à une demande en temps réel.
Pour contourner le problème, l’entreprise recourt à des incitatifs psychologiques similaires à un jeu, comme des badges ou des systèmes de points permettant de débloquer des niveaux associés à des privilèges. Les tarifs peuvent aussi être augmentés dans certaines zones pour encourager les travailleurs et travailleuses à se diriger vers les lieux à forte demande. Surveillant étroitement leur activité, Uber peut également les pousser à continuer de travailler par l’envoi de notifications indiquant qu’ils sont proches d’obtenir une récompense. Le fonctionnement même de l’application vise à garder les travailleurs et travailleurs connectés en leur proposant des courses avant même que la précédente ne soit achevée. Ces derniers dis- posent alors de 8 secondes pour accepter ou refuser la course, sachant qu’ils doivent maintenir un taux d’acceptation des courses suffisamment élevé pour ne pas se faire désactiver de la plateforme.
Un décalage existe donc entre l’autonomie promise et la réalité d’un conditionnement qui retient les travailleurs et travailleuses captifs. Cette ludification qui transforme le travail en jeu pose de sérieux risques pour la santé. En incitant à se connecter le plus sou- vent et le plus longtemps possible pour obtenir des récompenses, l’application peut pousser à l’épuisement physique et mental, augmentant aussi les risques d’accident. Ces travailleurs et travailleuses sont également aux prises avec le brouillage des frontières du temps de travail, une gestion déshumanisée par les algorithmes, de faibles rémunérations, une absence de pouvoir de négociation et des inégalités croissantes…
La FTQ à l’affût
La FTQ suit depuis plusieurs années les conditions de travail sur ces plateformes. Sans s’opposer aux changements technologiques, la centrale milite pour un progrès sans victime, et appelle à des réformes législatives qui garantiraient une reconnaissance et une protection sociale à ces travailleurs et travailleuses. La FTQ revendique également un droit d’association, que ce soit par l’élargissement de la définition légale de salarié ou l’instauration de la présomption de salariat. D’ailleurs, une directive adoptée par le Parlement européen en avril dernier pourrait inspirer les autorités canadiennes et québécoises en ce sens. Celle-ci reconnait le statut de salarié aux travailleurs et travailleuses de plateforme, et régule pour la première fois l’utilisation des algorithmes, permettant de contester les décisions automatisées comme les désactivations de la plateforme. La FTQ reste vigilante et poursuit son engagement pour stimuler un dialogue social constructif autour de ces questions.
Une mutation tranquille
Les changements technologiques sont courants dans les entreprises manufacturières, mais pas nécessairement aussi radicaux et profonds qu’on peut le penser. Souvent coûteuses, les nouvelles technologies accompagnent les stratégies de développement et de repositionnement des entreprises, lentement mais sûrement. Le Monde ouvrier en a discuté avec deux représentants syndicaux du secteur manufacturier.
Des évolutions lentes, mais réelles
Martin Boulanger est opérateur à l’usine de Tafisa Canada de Lac- Mégantic depuis 1996 et président syndical de Tafisa section locale 299 d’Unifor, qui compte 265 membres aux opérations et à la maintenance. « Nous produisons des panneaux destinés à la fabrication de meubles d’armoires de cuisine avec différents types de mélamine ou de finis », explique-t-il. Un processus qui exige une grande précision, car les clients ont des attentes élevées en matière de finition.
Ces dernières années, l’entreprise a développé trois nouvelles lignes de production automatisées à gros volume. Elle y a implanté des systèmes d’inspection de la qualité informatisés, intégrant caméras et technologie de reconnaissance visuelle, pour repérer les défauts (trous, papier pressé abîmé ou mal collé, etc.) sur les panneaux en cours de production, tant à l’étape du sablage qu’à la presse. Convoyé à bonne vitesse sur la ligne de production, chaque panneau doit être inspecté.
« Avant l’arrivée de la machine, c’était des gens qui étaient responsables de l’inspection. Elle classe les panneaux selon la qualité de la finition, en examine la surface en détail pour repérer les imperfections et les écarte s’ils ne répondent pas aux exigences de qualité », explique Martin Boulanger. « On n’a pas perdu d’emplois, et il reste des opérateurs sur les anciennes lignes. Il y a encore certaines choses que la machine ne voit pas, comme des plis dans le papier, qu’un opérateur peut voir. La machine n’est pas nécessairement plus efficace, mais elle nous soutient beaucoup, sans ajouter de pression sur les travailleurs et travailleuses », conclut-il.
L’humain comme soutien à la machinerie
L’automatisation est également forte chez Raufoss Technology à Boisbriand. L’entreprise compte sur une soixantaine de robots industriels (par exemple : bras articulés) pour soutenir la production de bras de suspension destinés aux fabricants d’automobiles. Mais selon Dominic Beaulieu, électromécanicien et président de la section locale 698 d’Unifor, « il n’y a actuellement pas beaucoup d’intelligence artificielle réelle. Tous ces robots n’apprennent pas et ne décident de rien d’autre que les différentes tâches pour lesquelles les humains les ont programmés ».
L’entreprise ayant triplé son volume de production au cours des 10 dernières années, l’équipe sur le plancher est passée d’une soixantaine à près de 160 personnes. Cela dit, ce système de production change le rôle des humains. « Ils interviennent à certains moments : ils approvisionnent la ligne avec des pièces brutes, ils s’assurent que la machinerie roule en cadence, puis à la sortie, ils font l’inspection visuelle des pièces fabriquées et assurent les opérations d’empaquetage et d’expédition. Mais il y a maintenant très peu d’intervention humaine dans les opérations d’assemblage », explique Dominic Beaulieu.
En conséquence, l’automatisation « modifie le travail des gens, ce qui les oblige à se spécialiser. Il faut continuer d’obliger les employeurs à former les gens pour qu’ils puissent développer leurs compétences en fonction de l’évolution de la technologie, se maintenir en emploi et continuer à évoluer dans l’entreprise », conclut le représentant d’Unifor.
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