Retour sur le conflit étudiant
Les nombreuses injonctions émises par la Cour supérieure du Québec au printemps dernier, en plus de détériorer encore davantage le climat social, en ont surpris plusieurs. Les juges sont entrés dans le conflit en privilégiant les revendications individuelles de certains étudiants souhaitant reprendre leurs cours contre les décisions collectives, majoritaires et légitimes de leurs propres associations désirant poursuivre la grève. Comme cela n’a pas suffi à faire taire la contestation, les députés ont adopté une loi spéciale remettant largement en cause les droits collectifs des étudiantes et des étudiants, mais également des organisations syndicales ou de tout regroupement citoyen.
Le vendredi 18 mai 2012, le lieutenant gouverneur du Québec, Pierre Duchesne, sanctionnait le projet de loi 78. La loi 12 entrait alors en vigueur. En plus de suspendre la session, le texte limitait le droit de manifester, imposait des obligations irréalistes, créait de nouvelles infractions et prévoyait des sanctions excessives (de 1 000 $ à 5 000 $ d’amendes pour les individus, de 7 000 $ à 35 000 $ pour les représentants étudiants ou syndicaux et de 25 000 $ à 125 000 $ pour les associations étudiantes ou de salariés). Cette prévision de la suspension des cotisations aux associations étudiantes pouvait également remettre en question leur existence.
À l’enseignement collégial, plusieurs de ces dispositions étaient d’autant plus préoccupantes qu’elles s’adressaient non seulement aux étudiants et à leurs associations, mais également aux salariés et à leurs syndicats. En plus de ne pas reconnaître la légitimité de la grève étudiante, la législation adoptée, comme le recours aux injonctions, s’inscrit dans une malheureuse tendance à la remise en question du droit à la négociation collective de la part des pouvoirs publics.
L’imposition de conventions par des lois spéciales de Québec à Ottawa, en passant par Madison
Le 15 décembre 2005, le gouvernement libéral de Jean Charest adopte la Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public (loi 43), qui impose notamment un gel salarial pour les deux premières années des conventions collectives. Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement ne joue pas le jeu de la négociation depuis la légalisation du droit de grève dans le secteur public québécois en 1964. Toutefois, plusieurs exemples récents indiquent que la tendance est plutôt inquiétante, et cela, malgré la condamnation de la Commission des relations du travail (CRT) et d’une instance internationale aussi crédible que le Bureau international du travail (BIT) concernant l’imposition de nos conditions de travail en 2005.
Au Wisconsin, le cas assez médiatisé des décisions antisyndicales du gouverneur républicain Scott Walker est sans aucun doute l’illustration la plus radicale de cette tendance conservatrice.
Plus proche de nous, entre juin 2011 et mai 2012, le gouvernement de Stephen Harper s’en est également pris au droit à la négociation collective dans le cas de Postes Canada, d’Air Canada et du Canadien Pacifique. Imposition du retour au travail et de l’arbitrage ainsi que suspension du droit de grève et amendes en cas de non-respect des conditions faisaient partie du mélange mis de l’avant.
Les injonctions contre les moyens de pression en période de négociation
Les injonctions font également partie de l’arsenal patronal dans le cadre de négociations de conventions collectives.
En septembre 2011, le Syndicat des employés non académiques de l’Université McGill (MUNACA) a dû faire face à une décision de la Cour supérieure lui interdisant d’effectuer du piquetage à moins de 4 mètres d’un édifice de l’Université, d’être plus de 15 personnes près des entrées et des sorties, d’utiliser des objets amplifiant le son à moins de 25 mètres ou encore, tout simplement, de manifester sur les terrains de leur lieu de travail. En janvier 2012, c’est le Syndicat des Métallos à Alma qui a fait face à une telle décision.
Mettre dans l’illégalité les actions collectives et pacifiques d’une association légalement constituée et dont les revendications ont été adoptées démocratiquement est tout à fait illégitime. Soutenir les étudiants, leurs représentants et leurs associations, c’était donc également défendre le droit de s’associer, de s’exprimer et d’agir librement.