tiré de bulletin d’ATTAC, Lecons d’une pandémie.
https://www.quebec.attac.org/spip.php?page=bulletin-html&id_rubrique=112
La mondialisation n’est pas un phénomène né avec le XXIe siècle. Différentes vagues ont existé par le passé sous forme de conquêtes coloniales ou de dominations impérialistes. S’il est un point commun à tous ces phénomènes, c’est cette tendance à la prédation des ressources, en particulier pour la période coloniale, et de la domination des territoires et des marchés, comme ce fut le cas avec les guerres impérialistes. La tendance à la mondialisation prise par le capitalisme de la fin du vingtième siècle est marquée non pas par la seule conquête des marchés, mais par une intégration à l’échelle mondiale de la production sur plusieurs sites. Elle amène l’unification de la production sans frontière à un stade jamais égalé auparavant et la soumission des appareils productifs des pays du Sud dans un système dominé par un capital mondialisé. Cette mondialisation a une exigence : l’implantation de politiques néolibérales sur la planète.
La mondialisation néolibérale
L’actuelle mondialisation est fondamentalement néolibérale, mais elle n’est toutefois pas la seule dimension du néolibéralisme. Ce modèle d’accumulation, associé par ailleurs à la financiarisation et à l’endettement, exige une déréglementation universelle des législations contraignantes au commerce. Elle exige la mise en place de mécanismes permettant l’appropriation sans contrainte de richesses, comme la réduction des impôts sur le capital et la légalisation de l’évasion fiscale ! Pour les mêmes raisons, la délocalisation des sites de production et leur intégration mondiale furent des fers de lance de cette mondialisation du capital.
Par ailleurs, elle implique des encadrements supranationaux et prévoit des ajustements structurels auprès des pays les plus en difficulté. Les accords de libre-échange ne sont pas seulement un exercice de réduction des barrières douanières, ils offrent aux grandes entreprises un pouvoir accru devant les États nationaux. La mondialisation néolibérale promettait l’amélioration des conditions de vie des populations locales. Elle a eu comme impact un enrichissement des grandes corporations et des investisseurs transnationaux, en accentuant les inégalités entre les pays du Nord et du Sud et au sein des pays du Sud comme du Nord.
La prétention d’un État-nation obsolescent
Les relations de pouvoir se sont modifiées au bénéfice des transnationales face aux États-nations, considérés comme des barrières du passé et qui subissent le chantage de l’endettement et de la cote de crédit. Il se trouve que les personnels politiques au pouvoir ont souhaité et repris ces politiques néolibérales contre l’intérêt de leur propre population. En signant les accords de libre-échange, en se désengageant des dépenses sociales, en permettant la délocalisation de la production, en réduisant les protections sociales, notamment les droits du travail, en privatisant et en mettant en concurrence les secteurs publics et privés, les États-nations n’ont pas été des victimes de la mondialisation, « ils en sont les auteurs », comme le dit Panitch (2001). L’État n’a pas d’existence indépendante des rapports sociaux et est au service des classes dominantes, pour reprendre une expression consacrée.
La démondialisation de Donald Trump
Pour plusieurs, l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche était la confirmation d’une remise en question de la mondialisation. Puis, malgré les effets de toge, il a souhaité conclure un nouvel ALÉNA, qui confirme toujours une volonté de déréglementer, notamment pour permettre aux GAFAs de se déployer partout sur la planète. Il leur a accordé une réduction énorme d’impôts, qui rendait inutile de maintenir leurs activités en dehors des États-Unis. Aussi, comme en 2008, on ne doit pas confondre l’intervention massive des banques centrales des pays industrialisés avec la mise à mort de l’entreprise privée et de la mondialisation néolibérale. Il s’agit plutôt d’une opération de sauvetage du capitalisme comme en 2008, mais élargie à différents secteurs de l’activité productive frappés par la fermeture des sites de production, au lieu d’être centrée sur le secteur plus financier.
Ce retour à la maison n’annonce rien de bon pour la population américaine, mais dit tout sur la protection des leurs intérêts transnationaux. Il ne s’agit pas, comme le remarque Roger Martelli (2020), d’un « retour à la nation américaine, mais un chantage de la puissance étatsunienne sur le monde, ses nations et ses institutions ».
Les limites des circuits courts et la réalité du développement au Sud
Évidemment, il y a une différence entre la démondialisation néolibérale et celle promue dans le Manifeste sur la démondialisation comme l’a rappelé Éric Martin (2020) ou par celui qui était le premier à en parler en 2002, Walden Bello (2020). Il est devenu évident que les chaînes de production mondialisées desservent l’intérêt des populations locales, en particulier dans l’agriculture. Mais ce l’est pas seulement pour des raisons « nationales ». Étant donné les impacts des transports internationaux sur l’environnement, il y va de l’intérêt collectif international. Ce qui rend l’affaire plus complexe encore est que les économies des pays du Sud et des pays dits « émergents » sont subordonnées et intégrées dans la hiérarchie des rapports planétaires de domination. Autrement dit, l’existence et le maintien de la misère au Sud sont une composante de la chaîne de la mondialisation néolibérale. Toute démondialisation au Nord n’inspire rien de bon pour le Sud. Un nouvel internationalisme des pays industrialisés doit gouverner la démondialisation. Or c’est là que le bât blesse dans le nationalisme conservateur.
La psychologie du confinement est en train d’obscurcir la vision que nous devons adopter pour un projet émancipateur de « retour à la base ». Une telle option ne peut être définie seulement par la relocalisation de certaines activités économiques, même améliorée par la souveraineté populaire locale. Comme le sous-développement demeure enchâssé dans la mondialisation néolibérale, une autre mondialisation est vraiment nécessaire. Pour établir des relations égalitaires entre les différentes régions de la planète, ça exige une valorisation de leurs avantages relatifs et la disponibilité des moyens de développement pour les pays du Sud.
L’accessibilité des pays du Sud aux outils de développement, et pas seulement sous forme de charité, demeure un élément important de progrès social pour l’immense population de damnés de la terre. Sans mettre en place des mécanismes d’organisation mondiale de la production, la relocalisation au Nord des activités économiques risque d’alourdir la crise au Sud,
Altermondialisme et démondialisation
Pour répondre aux besoins sociaux de la population d’ici, comme de celle des pays du Sud, des dispositifs doivent permettre une alter-intégration mondiale. Il n’y aura pas de démondialisation tranquille, car la sortie de crise ramène les enjeux d’une autre mondialisation, au premier plan, celui des changements climatiques et de l’environnement. L’altermondialisme n’est pas autre chose que la mondialisation de la solidarité, non pas celle fondée sur un « gouvernement mondial », mais sur la reconnaissance des peuples et des mouvements sociaux pour un autre monde !
Références
Walden Bello (2020), Les gauches doivent s’armer pour mieux penser la démondialisation, Médiapart, 21 avril 2020.
Roger Martelli (2020), COVID-19 : non, la frontière n’est pas un absolu, Regards, 15 avril 2020
Éric Martin (2020), Comment réussir la démondialisation, nstitut de recherche et d’informations socioéconomiques - IRIS, 7 avril 2020é Voir aussi Éric Martin, Jonathan Durand-folco et Simon-Pierre Savard-Tremblay (2018), Manifeste québécois pour la démondialisation, Le Devoir, le 3 mai 2018.
Leo Panitch (2001), Renewing Socialism : Democracy, Strategy and Imagination,Routledge – Taylor and Francis (2019).
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