La démission de deux membres de la CENI (la Commission Electorale Nationale Indépendante) dont la vice-présidente, qui a dénoncé la situation politique et sécuritaire qui entoure ces élections et a dû s’exiler au Rwanda voisin pour éviter les représailles, représente un coup dur pour le régime.
Quant à la conférence de Dar El Salam en Tanzanie du 31 mai, on peut dire que le Kilimandjaro a accouché d’une mastomys.i En effet, à cette réunion des chefs d’Etat des pays d’Afrique de l’Est, étaient absents Paul Kagamé le dirigeant rwandais et Nkurunziza lui-même, qui préfère se consacrer à la campagne présidentielle en laissant le soin à son ministre des affaires étrangères de le représenter. La seule recommandation de cette conférence est le report d’un mois et demi des élections.
Par contre, rien n’est dit sur le troisième mandat de Nkurunziza qui est le problème central, rien sur la répression des manifestants, l’exil des principaux dirigeants de l’opposition, l’assassinat de Zedi Feruzi, leader de l’Union pour la Paix et la Démocratie (UPD), rien non plus sur les menaces de morts à l’encontre des journalistes indépendants, ou l’exode de près de 100 000 personnes qui fuient les violences orchestrées par la milice du pouvoir, les Imbonerakure, notamment à l’intérieur du pays. En Tanzanie, le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés burundais, les conditions de vie sont déplorables et le cholera a fait son apparition.
Une histoire tourmentée
Le passé récent du Burundi est une succession de coups d’Etat et de violences ethniques entre Hutu et Tutsi. Les dirigeants de ces deux communautés ont chacun leur part de responsabilité dans les violences ethnicistes qui ont débouché sur des massacres de centaines de milliers de personnes avec une volonté génocidaire manifeste.
Même si l’héritage colonial dans la cristallisation ethnique est plus marqué au Rwanda qu’au Burundi, les crises rwandaises ont eu des répercussions sur la vie politique intérieure du pays en alimentant les peurs et les rumeurs, terreau des violences inter communautaires.
La volonté de mettre fin à la guerre civile débutée en 1993 a été marquée par les accords d’Arusha qui, s’ils comportent d’importantes lacunes, ont cependant représenté un progrès considérable pour la gestion du pays.
Le Burundi n’est pas seulement divisé entre communautés. A l’intérieur de ces dernières, d’autres segments de divisions voient le jour au niveau régional, social et politique. L’enjeu était donc de construire une architecture juridique et constitutionnelle qui permette un partage du pouvoir en rassemblant une population fragmentée.
C’est précisément ce qu’est en train de détruire Nkurunziza avec sa volonté de s’imposer au pays par un troisième mandat. Cette crise n’est que l’aggravation d’une situation antérieure délétère.
Après l’accord d’Arusha
L’accord d’Arusha signé le 28 août 2000, avec une forte implication de Nelson Mandela comme médiateur, signé par une grande partie des forces politiques, n’a pas donné immédiatement la paix. En effet des groupes comme le CNDD-FDD et le FNL ont poursuivi les actions armées. Le CNDD-FDD a déposé les armes en 2003 et a intégré le gouvernement. Pour les FNL un premier accord de paix a été signé en 2006 ce qui ne les empêcheront pas de reprendre épisodiquement des actions de guérilla.
En août 2005, Nkurunziza est nommé président de la République par le Parlement suite à la victoire de son parti, le CNDD-FDD, aux élections législatives et en 2010, il remporte les élections présidentielles après que l’opposition se soit retirée de la course, arguant des fraudes lors des élections locales. L’ensemble des observateurs du processus électoral, y compris les militants de la société civile burundaise, n’ont pas accrédité ces accusations. Toujours est-il que ce dernier se satisfait largement de cette absence et n’a eu de cesse d’harceler les militants des partis politiques de l’opposition réunis dans l’Alliance des démocrates pour le changement au Burundi (ADC-Ikibiri) ainsi que les voix libres, qu’elles soient journalistiques ou associatives, dans une stratégie de tension répressive sans cesse accrue.
Une mobilisation profonde et démocratique.
Au-delà des spécificités burundaises, les mobilisations qui se déroulent contre le troisième mandat sont semblables aux autres luttes démocratiques qui s’expriment dans les pays africains tant du Maghreb que subsahariens. Pour ne prendre que ces derniers, les similitudes sont fortes avec les luttes victorieuses de la société civile au Sénégal contre Wade, au Burkina Faso qui a débouché sur le renversement de Blaise Compaoré, ou celles qui se mènent actuellement au Congo Brazzaville ou au Congo Kinshasa (RDC) où les jeunes militants du mouvement citoyen « Filimbi » ont été emprisonnés par le pouvoir.
En ce sens, la lutte au Burundi est une lutte politique indépendante des clivages ethniques, Hutu et Tutsi sont côte à côte dans la mobilisation contre le troisième mandat. Mais les violences de la milice Imbonerakure et les discours de plus en plus communautaires de la clique au pouvoir risquent de faire déraper la situation. En effet, la stratégie de Nkurunziza est d’affirmer qu’il est victime d’un complot international ourdi par le lobby tutsi et que les Hutu qui représentent 85% de la population doivent s’unir autour de lui pour leur survie.
Ce type de situation ressemble à celle qu’a connue le Rwanda où le génocide des Tutsi s’est d’abord accompagné de massacres de nombreux Hutu opposés aux thèses racistes du « Hutu Power ».
Le pouvoir ébranlé
La tentative avortée du coup d’Etat du général Godefroid Niyombare révèle les fractures au sein du pouvoir. En effet, ce dignitaire du régime, responsable du renseignement, restait attaché aux accords d’Arusha. Significative aussi la démission du vice-président de la Cour constitutionnelle burundaise qui a dénoncé les pressions et les menaces physiques du pouvoir contre les juges afin que la Haute Cour valide la candidature de Nkurunziza, tout comme les voix à l’intérieur du CNDD-FDD opposées à un troisième mandat.
Mais, l’échec du coup d’Etat a montré un attentisme de la majorité de l’armée qui reflète celui d’une partie de la population. Cela peut s’expliquer par les difficultés de l’opposition à s’unir et à présenter un programme alternatif et surtout répondre aux fortes attentes sociales d’une population qui vit pour sa plus grande majorité dans un grand dénuement.
Le ralliement du reste du pays à la fronde démocratique implique la mise en avant des revendications vitales notamment pour les paysans qui restent largement majoritaires dans le pays.
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