Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Méfiez-vous des beaux discours des Conservateurs dans le dossier de l’équité salariale

Dans l’énoncé économique de novembre comme dans le dernier budget, les Conservateurs ont annoncé leur intention « d’introduire un nouveau régime témoignant de l’engagement du gouvernement dans le dossier de l’équité salariale. » Cette intention est pour le moins difficile à interpréter lorsqu’on sait qu’elle appartient à un gouvernement dont le chef n’hésite pas à déclarer que l’équité salariale est une « arnaque ».

Il en a même rajouté en disant que cela n’a rien à voir avec le sexe, que les contribuables, hommes et femmes, vont devoir verser encore plus d’argent aux hommes et femmes de la fonction publique et que c’est pour cela que le gouvernement fédéral devrait éliminer cette ridicule législation sur l’équité salariale (Overview, Coalition nationale des citoyens, 1998).

Si le plan d’ensemble n’est pas clair, plusieurs indices laissent entrevoir que le droit des femmes à l’équité salariale est gravement menacé.

En ce qui concerne les employés du gouvernement fédéral, le plan conservateur prévoit de faire négocier l’équité salariale par le syndicat et l’employeur. Il affirme que cette façon de faire permettra d’éviter des batailles juridiques coûteuses tout en procurant des salaires justes et équitables à tous les employés.

Les Conservateurs prétendent suivre l’exemple du Manitoba et de l’Ontario, deux provinces qui ont des lois proactives en matière d’équité salariale.

Qu’est-ce qui ne va pas avec cette approche ?

Plusieurs choses - même si les mots utilisés jusqu’à présent sont vagues.

1. Ce n’est pas parce qu’on utilise l’adjectif « proactive » que ça l’est.

Pour qu’une législation sur l’équité salariale soit proactive, elle doit obliger l’employeur à examiner son système de rémunération pour s’assurer de verser un salaire égal pour un travail d’égale valeur. Quand les employés sont syndiqués, les syndicats participent à la préparation et à l’application des études d’équité salariale.

Tous les employeurs font face aux mêmes exigences légales, tous les employés jouissent des mêmes droits au travail et les plaintes individuelles ne créent pas d’ouverture pour contester l’équité salariale. L’approche est systémique.

Une législation proactive sur l’équité salariale doit indiquer clairement aux employeurs et aux syndicats comment préparer et appliquer l’équité salariale. Le plan conservateur ne contient aucune mesure de ce type.

2. Les Conservateurs soutiennent qu’avec leur plan, les syndicats et les employeurs seront conjointement responsables de négocier des salaires justes et équitables.

En gros, ils disent que l’équité salariale s’inscrira dans le cadre de la négociation de la convention collective des employés du gouvernement fédéral. (Remarque : Ce même gouvernement vient juste de geler les salaires de ses employés pour trois ans. Donc, même si ce système fonctionnait - ce qui est loin d’être sûr - les femmes qui sont à l’emploi du gouvernement fédéral vont encore devoir subir les injustices salariales pendant au moins trois ans !!)

Toutefois, il y a un problème plus grand encore. En fait, le contrôle d’un lieu de travail exercé conjointement par le syndicat et l’employeur est un concept qui n’existe pas.

L’équité salariale concerne la valeur accordée au travail et la rémunération qui est versée en fonction de cette valeur. Ce ne sont pas les syndicats qui créent les classifications de postes, mais c’est à ce niveau que se détermine la valeur du travail. Ce ne sont pas les syndicats qui embauchent des femmes dans des emplois de bureau et des hommes dans des emplois de gardiens : l’embauche est un droit de la direction. Les syndicats peuvent négocier des hausses salariales, mais ils ne sont jamais invités à partager les mêmes droits et responsabilités que les employeurs.

Et que se passera-t-il avec les travailleuses et travailleurs qui ne sont pas syndiqués ? Même avec l’actuel système, qui fonctionne sans problème, les non-syndiqués ont droit à l’équité salariale.

De plus, quand il n’y a pas moyen de s’entendre dans le cadre de la négociation collective, les travailleuses et travailleurs peuvent exercer leur droit de grève. Ils ne devraient pas avoir à le faire pour régler un différend d’équité salariale. Ils ne devraient pas être obligés d’exercer leur droit de grève pour obtenir un droit humain fondamental. Pour qu’une loi sur l’équité salariale soit proactive, les différends doivent être réglés par une agence indépendante experte en équité salariale.

3. Les Conservateurs disent qu’ils prennent exemple sur les programmes d’équité salariale du NPD au Manitoba ou des Libéraux en Ontario.

La seule similitude du plan conservateur avec la loi manitobaine sur l’équité salariale concerne les travailleuses et travailleurs du secteur public (par contre, au Manitoba, le secteur public est défini plus largement et comprend, par exemple, les hôpitaux, les collèges et les universités).

Quant à l’Ontario, on voit mal ce que la loi de cette province a de similaire avec le plan conservateur.

Peut-être fait-on référence au fait qu’au Manitoba comme en Ontario, les syndicats sont impliqués dans le développement et l’application de l’équité salariale, ou au fait que le mot « négocier » est utilisé dans la description de ces lois.

Par contre, ces régimes sont très différents que ce que proposent les Conservateurs au fédéral :

 dans les deux cas, les lois sur l’équité salariale sont proactives ;
 dans les deux cas, la responsabilité d’éliminer la discrimination salariale revient à l’employeur ;
 dans les deux cas, il y a obligation d’impliquer le syndicat et de « négocier » l’équité salariale - dans le cadre d’un processus distinct de la négociation collective régulière ;
 dans les deux cas, l’employeur est tenu de pourvoir un fonds distinct (à raison de 1 % de sa masse salariale annuelle) pour le règlement des différends d’équité salariale ;
 dans les deux cas, il y a eu création d’une commission ou d’un bureau de l’équité salariale, responsable d’aider les parties à régler leurs différends.

4. Le plan conservateur s’applique seulement aux employés du gouvernement fédéral.

Est-ce que cela signifie que les employés du secteur privé sous compétence fédérale vont continuer d’être régis par l’ancien régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne ?

Plusieurs des causes juridiques les plus longues - celles-là même que le budget conservateur qualifiait de longues, coûteuses et antagoniques - se sont déroulées dans le secteur privé.

Par exemple :

 Bell Canada et le Syndicat des communications, de l’énergie et du papier - 15 ans ;
 Air Canada et le Syndicat canadien de la fonction publique - 17 ans ;
 Postes Canada et l’Alliance de la fonction publique du Canada - 25 ans.

Qu’ils soient du secteur public ou du secteur privé, les travailleuses et travailleurs ont besoin d’un nouveau système proactif d’équité salariale qui fonctionne.

Si les travailleuses et travailleurs du secteur privé continuent de déposer leurs plaintes de discrimination salariale à la Commission canadienne des droits de la personne, ne créera-t-on pas ainsi un régime de droits de la personne distinct pour les travailleuse et travailleurs sous compétence fédérale ? On aura un moyen de défendre les droits de la personne dans le secteur privé, mais pas dans le secteur public.

Il est peu probable que les tribunaux canadiens soient d’accord avec le fait d’éliminer une protection des droits de la personne au détriment des femmes qui travaillent dans le secteur public fédéral.

5. L’équité salariale est un droit humain reconnu à travers le monde.

Soit les Conservateurs ne comprennent pas cette réalité, soit ils ne veulent pas l’accepter. De toute façon, ce n’est pas en obligeant les travailleuses et travailleurs à négocier un droit humain qui leur revient de droit que l’on protégera le droit des femmes à un salaire égal pour un travail d’égale valeur.


Source : http://congresdutravail.ca

Mots-clés : Communiqués

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