Tiré du blogue de l’auteur.
Emmanuel Macron se rendra donc au pont de Bezons, un des lieux du massacre du 17 octobre 1961 : la police de Maurice Papon y jeta des manifestants algériens désarmés dans la Seine, y compris des femmes et des adolescents. Il aurait pu aussi aller dans la cour de la Préfecture de police, où des flics en achevèrent des dizaines d’autres à coups de matraque, de poing et de pied. Ou au Palais des sports de la Porte de Versailles, transformé alors en gigantesque prison provisoire où des milliers d’Algériens remplacèrent, pour quelque temps « Holiday on ice »…
Je garde personnellement un souvenir terrifiant de cette nuit d’horreur. J’avais 11 ans et, seul à la maison, j’attendais, affolé, le retour de ma mère partie manifester avec ses amis du FLN, dont elle était un des « porteurs de valises ». Elle rentra effectivement, mais tard dans le nuit et la tête ensanglantée. N’en déplaise à Gérald Darmanin, bien mal inspiré pour porter plainte, surtout à la veille de cette commémoration, contre Philippe Poutou qui n’a fait qu’énoncer une vérité incontestable, moi, lorsque je vois aujourd’hui des Robocops déchaînés, je pense au 17 Octobre.
C’est dire que je ne peux que me féliciter de voir le président de la République rendre hommage aux victimes de cette page noire de notre histoire. La police parisienne n’en était pas alors à son premier crime de masse. Dix-neuf ans auparavant, les mêmes ou leurs prédécesseurs raflaient consciencieusement des milliers et des milliers de juifs qui, après le Vel d’Hiv, se retrouvèrent à Drancy, puis à Auschwitz.
Reste à savoir ce qu’Ermmanuel Macron dira au pont de Bezons. Car son rapport à tout ce qui touche à l’Algérie est singulièrement incohérent, pour ne pas dire schizophrénique. Candidat, il dénonce - à Alger ! - le « crime contre l’Humanité » que fut la. colonisation. Élu, il va chez Josette Audin reconnaître l’assassinat de son mari, Maurice, par les paras français et s’engage à rechercher la vérité sur les autres disparus.
Sauf que le même Macron vient d’insulter le peuple algérien et sa conscience nationale, sous couvert de s’en prendre à un régime que la France ménage depuis des décennies. La même France s’est très mal conduite envers ses « collabos » que furent les harkis, abandonnés pour la plupart et dont des enfants et des petits-enfants restent discriminés chez nous : il était bien d’évoquer leur sort, mais en mesurant bien la sensibilité des Algériens à cette évocation. Comment réagirions-nous si un chef d’État étranger rendait hommage aux « collabos » français de l’Occupant nazi sans contextualiser son propos. Comparaison n’est pas raison, mais un minimum de correction s’impose.
Et puis il y a le reste. La réduction unilatérale du nombre de visas français accordés aux Algériens et à leurs voisins du Maghreb. L’islamophobie hystérique de responsables politiques, y compris des ministres ouvertement maccarthystes. Le concours d’incitation à la haine anti-arabe auquel participent des candidats officiels ou officieux à la présidence de la République sans que ni le ministre de la Justice ni celui de l’Intérieur ne réagissent. Sans parler des agressions racistes commises en bande organisée à Lyon (ou ailleurs) et apparemment tolérés, pour ne pas dire plus, par les Préfets…
Il est temps, plus que temps, de reconnaître le crime d’État du 17 octobre et de nommer ses responsables. Il est temps, plus que temps, de dénoncer le laborieux déni, plusieurs décennies durant, de cette page honteuse de l’histoire de la République. Il est temps, plus que temps, de faire toute la vérité en levant tout obstacle à l’accès aux archives. Il est temps, plus que temps, les coupables condamnés, d’offrir aux victimes et à leurs descendants une réparation symbolique et matérielle.
Sinon, je le redis sincèrement : ce slalom est indigne et ne peut que provoquer la nausée…
Dominique Vidal
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