« Boris », comme tout le monde l’appelle ici, s’est fait une spécialité des déclarations tonitruantes, qui font souvent sourire ses soutiens comme ses détracteurs. Mais sa dernière sortie a été très peu appréciée à Downing Street, la résidence du Premier ministre, désormais occupée par son ami de vingt ans, David Cameron, qu’il a rencontré sur les bancs d’Oxford.
Depuis huit jours, le gouvernement se démène pour convaincre que son plan de rigueur, d’une ampleur sans précédent, est « juste et équilibré ».
Et d’ailleurs, la pilule, quoique très amère (91 milliards d’euros d’économies, 500 000 emplois publics supprimés), semble plutôt bien passer : pas de fronde sociale en vue et sondages en hausse pour la coalition conservateurs/libéraux-démocrates, au pouvoir depuis bientôt six mois.
La mixité sociale en péril dans le centre de Londres
Et voilà que ce bel exercice de communication est mis à mal, qui plus est par un fidèle allié ! Boris Johnson, en dénonçant le risque d » « épuration sociale » que pourrait provoquer, à Londres, la baisse des allocations logement, a lancé l’attaque la plus dévastatrice, à ce jour, contre les projets gouvernementaux.
Invité, jeudi matin, de la radio BBC London, le maire de Londres est allé jusqu’à comparer la nouvelle politique du logement social à l’épuration ethnique pratiquée par les Serbes pendant la guerre au Kosovo.
« Nous voulons des mesures transitoires à Londres pour atténuer l’impact (de la baisse des allocations).
Nous n’accepterons jamais une sorte d’épuration sociale du style Kosovo.
Tant que je serai maire de Londres, vous ne verrez pas des milliers de personnes expulsées de là où elles ont vécu et où elles ont leurs racines.
Nous ne voulons pas de cela à Londres. »
Le gouvernement a aussitôt mis en place un pare-feu pour tenter de limiter les dégâts, en dénonçant les « propos incendiaires » et « irresponsables » du maire de Londres. L’intéressé a fait amende honorable en tentant de faire croire qu’on l’avait mal compris.
L’obsession des déficits
Mais les propos de Boris Johnson vont bien au-delà de la simple boutade. Ils mettent en lumière les conséquences potentiellement dévastatrices d’une politique guidée par la seule obsession de réduire les déficits.
Au Royaume-Uni, 23 milliards d’euros sont versés chaque année en aides au logement. C’est plus que les budgets de la police et des universités réunis, fait remarquer insidieusement le secrétaire d’Etat au logement.
Le ministre des Finances, George Osborne, s’est donc empressé de tailler dans ce pactole, avec pour objectif de le purger de 10% par an à partir de 2014. Les mesures annoncées prévoient :
0. un plafonnement des allocations logement à 290 euros par semaine pour un deux- pièces, 460 euros pour un cinq-pièces ou plus
0. une baisse de 10% pour les chômeurs de longue durée (plus d’un an)
0. une obligation pour les célibataires de moins de 35 ans de vivre en colocation
0. une révision des loyers pour les bailleurs privés les autorisant à se rapprocher des cours du marché de l’immobilier.
En tout, 21 000 foyers pourraient être affectés par ces mesures, dont 17 000 à Londres, selon les calculs du gouvernement. Le zélé secrétaire d’Etat au logement, Grant Shapps, a concédé qu’avec, en moyenne, 85 euros en moins par semaine, « certaines personnes » seraient sans doute obligées de déménager.
82 000 foyers pauvres menacés d’expulsion
Les estimations du London Councils, un organe qui chapeaute toutes les mairies d’arrondissement de la capitale, sont beaucoup plus alarmistes. Il chiffre à 82 000 le nombre de foyers qui risquent d’être expulsés de leur logement.
Plusieurs collectivités locales londoniennes ont déjà contacté des bailleurs privés en province, aussi loin que sur la côté sud de l’Angleterre, pour faire face à un afflux prévisible de sans-abri.
Avant Boris Johnson, son prédécesseur travailliste à la mairie de Londres, Ken Livingstone, avait lui aussi dénoncé une « épuration sociale ».
«
Ça va être une tragédie humaine d’une ampleur extraordinaire. »
Si Boris Johnson a décidé de croiser le fer avec le gouvernement, c’est qu’il sait que le dossier explosif du logement social peut lui coûter sa réélection, en 2012, où il affrontera, justement, Ken Livingstone, fraîchement investi candidat du Labour pour les municipales.
Mixité sociale : le contre-exemple parisien
Il tente désormais de négocier une exemption pour sa ville, en invoquant le cours exceptionnellement élevé de l’immobilier dans le centre de la capitale britannique.
Boris Johnson a fait dans la provocation en citant le Kosovo, pour donner plus d’ampleur à son coup de gueule. Mais pour lui, le véritable contre-exemple, en matière de mixité sociale, n’est pas dans les Balkans, mais à deux heures de train de Londres.
« Quel est le génie de notre grande ville ? Pourquoi est-ce si fantastique de vivre à Londres ? Parce que c’est une ville d’une grande diversité, où des gens de différents milieux sociaux vivent côte à côte.
La dernière chose que nous voulons, c’est une situation comme à Paris, où les plus démunis sont relégués dans les “banlieues” [en français dans le texte, ndlr]
Ça n’arrivera pas à Londres. Je résisterai avec force à toute tentative de recréer une ville où riches et pauvres ne peuvent pas vivre ensemble. »
Cet article est tiré du site web de rue89.org