Édition du 19 novembre 2024

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Élections présidentielles en France

France : Les leçons du premier tour, les inconnues du second

Comme en 2017, le second tour de la présidentielle opposera Marine Le Pen à Emmanuel Macron. Malgré un score conséquent talonnant le RN, Mélenchon a échoué à déjouer les pronostics. La gauche est encore une fois balayée. L’extrême droite n’a jamais été aussi forte pour un scrutin marqué par une forte abstention.

10 avril 2022 | tiré de mediapart.fr
https://www.mediapart.fr/journal/france/100422/les-lecons-du-premier-tour-les-inconnues-du-second

Le désastre annoncé est survenu. À l’issue d’un vote marqué par une abstention très forte, l’extrême droite s’est à nouveau qualifiée pour le second tour de l’élection présidentielle française. Le duel est le même qu’il y a cinq ans : le 24 avril, Marine Le Pen sera opposée à Emmanuel Macron, nettement en tête du premier tour, alors que Jean-Luc Mélenchon, troisième, a échoué à créer la surprise.

Selon les chiffres officiels du ministère de l’intérieur portant sur 97% des inscrit·es, le président sortant a obtenu 27 % des suffrages exprimés, devant la candidate du Rassemblement national (RN), à 23 %. Le candidat de La France insoumise (LFI) s’affiche avec environ 22 % – l’écart s’est resserré tout au long de la soirée.

Loin derrière, arrive Éric Zemmour (Reconquête !) avec 7 % des voix. La présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse n’atteint pas, a priori, le seuil des 5 % – indispensable au remboursement des frais de campagne. Pour mémoire, François Fillon, malgré des casseroles judiciaires, était parvenu à la troisième place en 2017, avec 20 % des voix.

À gauche, l’écologiste Yannick Jadot se situe autour de 4,5 % et a déjà appelé aux dons pour financer la campagne des élections législatives de son mouvement.

Les partis qui se sont relayés au pouvoir pendant de longues décennies, le Parti socialiste et la droite républicaine, sont officiellement menacés de disparition. La socialiste Anne Hidalgo, au terme d’une campagne extrêmement poussive, obtient environ 2 % des voix. Elle talonne le communiste Fabien Roussel.

Une désertion des urnes

Comme attendu, le niveau d’abstention atteint un niveau très élevé, à environ 25 % : il faut remonter à 2002 – et la première accession de l’extrême droite au pouvoir – pour trouver un chiffre plus élevé (28 %). En 2017, l’abstention s’était établie à 22 %, à 21 % en 2012 et à 16 % en 2007.

Elle a pu se nourrir de l’inscription désormais automatique des citoyennes et citoyens de 18 ans. Mais on le sait : l’abstention est devenue une donnée structurelle de la vie politique française, et la crise démocratique est toujours plus profonde. Notamment dans les milieux populaires et parmi les plus précaires, où l’on ne croit plus guère que l’élection change la vie (lire notre série de reportages). À l’inverse, les électorats les plus mobilisés dans les urnes sont les plus âgés et les plus aisés.

Selon la chercheuse Anne Jadot, maîtresse de conférences en sciences politiques à l’université de Lorraine et spécialiste de l’abstention, plusieurs raisons « s’additionnent  » pour [1]https://www.mediapart.fr/journal/fr... ce résultat. Sur le plateau de Mediapart, elle évoque notamment l’absence de primaires cette année : en 2017, elles avaient suscité « beaucoup de débats, très suivis », et un «  maillage du territoire par les militants qui peut susciter un intérêt » auprès de la population. Anne Jadot cite aussi «  le Covid, la guerre en Ukraine, un président qui s’est déclaré très tard et qui a peu fait campagne  ».

Résultat, prévient la chercheuse, le risque est grand d’avoir, à l’occasion de cette présidentielle, «  des écarts sociologiques qui se creusent  ». L’abstention est « totalement typée sur le plan sociologique, générationnel et politique », selon un sondage du jour du vote Odoxa-Backbone Consulting. Sans surprise, « elle touche surtout les jeunes (33 %), les Français les plus modestes (36 %) et les électeurs de gauche (26 % des sympathisants de gauche contre 17,5 % de ceux de droite) ».

Macron, en tête, creuse l’écart

Dans ce contexte, Emmanuel Macron a réussi son pari : il améliore nettement son score de premier tour par rapport à 2017 (24 %) et creuse l’écart par rapport à Marine Le Pen (quatre points cette année, contre 2,7 points il y a cinq ans).

Pendant cinq ans, le président a installé la candidate d’extrême droite comme sa première opposante (lire l’analyse d’Ellen Salvi). Il a systématiquement asséché la droite traditionnelle, et la gauche sociale-démocrate, toutes deux pulvérisées en ce dimanche 10 avril.

Même quand un mouvement social s’est levé pendant son quinquennat, celui des « gilets jaunes », il a tout fait pour que la question identitaire soit placée au cœur des débats. La composition de son dernier gouvernement, autour de l’ancien sarkozyste Jean Castex, est allée dans le même sens, avec un ministre de l’intérieur Gérald Darmanin qui a jugé Marine Le Pen «  trop molle » sur l’islam.

Sa stratégie de candidat, qui a parfois dérouté une partie de ses partisans – avec une annonce tardive et une campagne a minima – a également bénéficié du contexte angoissant de la guerre en Ukraine, et de ses conséquences pour l’ensemble du continent européen. Sans parler des deux ans de pandémie qui laisse un pays épuisé.

«  Le réflexe du vote utile a joué à plein » sur l’électorat de droite, a résumé Valérie Pécresse, la candidate LR. Elle a concédé avoir échoué à se « délivrer de cet étau  » constitué par la majorité présidentielle et l’extrême droite d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen.

Lors de sa première prise de parole, Emmanuel Macron a semblé savourer sa première place, dans un discours émaillé de « oui » lancé par ses partisans au rappel des grandes lignes du projet. Surtout, il n’a pas paru vouloir changer une ligne de son entreprise libérale. Quelques minutes plus tôt, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal avait d’ailleurs appelé à « poursuivre et amplifier [la] politique » menée.

Les macronistes espèrent définitivement reconfigurer le champ politique en créant un « parti unique de gouvernement » face à l’extrême droite et la gauche radicale, selon l’expression du politiste Florent Gougou. « Dans ce moment décisif pour l’avenir de la Nation, plus rien ne doit être comme avant, a déclaré le président sortant. C’est pourquoi je souhaite tendre la main à tous ceux qui veulent travailler pour la France. Je suis prêt à inventer quelque chose de nouveau afin de bâtir une action commune au service de notre Nation pour les années qui viennent. »

La stratégie sociale de Marine Le Pen

Cette stratégie pourrait s’avérer très dangereuse : jamais l’extrême droite n’a été aussi puissante dans le pays. Marine Le Pen peut ainsi compter sur les réserves de voix d’Éric Zemmour qui a appelé à voter pour elle. « Il n’y a pas d’hésitation à avoir  », a insisté Marion Maréchal sur TF1, soutien de l’ancien journaliste. Le Pen peut aussi s’appuyer sur le score, même modeste, de Nicolas Dupont-Aignan (2 %).

Par ailleurs, comme en 2017, la candidate du RN va essayer d’exploser son plafond de verre en convainquant des électeurs et électrices de Jean-Luc Mélenchon de se reporter sur elle. Sa première prise de parole, dimanche soir, a été très marquée par la thématique de sa fin de campagne : le social, le social et le social. Elle a parlé de « fracture sociale », «  d’égalité femmes-hommes », d’un « État protecteur, stratège » et «  d’unir les Français autour d’un projet national et populaire, qui fait la part belle aux jeunes ».

Sur les plateaux télé, ses partisans ont relayé le même message. Ainsi, malgré un programme en réalité très libéral (lire l’analyse de Romaric Godin), Jordan Bardella a d’emblée parlé de « cinq ans de plus de casse sociale » en cas de réélection d’Emmanuel Macron. Face à la députée insoumise Clémentine Autain, qui appelait à ne pas voter pour l’extrême droite, il lançait sur TF1 : «  Alors vous allez voter pour la retraite à 65 ans ? » Une allusion à la réforme des retraites promise par le président sortant.

Les appels au barrage

Il est trop tôt pour dire ce que la répétition du duel de 2017 va susciter comme désespoir, voire comme dégoût, dans l’électorat. Il y a cinq ans, la participation – fait rarissime – avait reculé entre le premier et le second tour. C’était une première depuis 1969.

Le bilan du président sortant et son arrogance tant décriée vont-ils encore renforcer cette tendance ? Ou bien la peur de voir l’extrême droite arriver au pouvoir va-t-elle déclencher un sursaut de mobilisation ? Impossible de le prédire.

Ce que l’on sait, en revanche, c’est que le paysage politique est sensiblement le même qu’au premier tour. Les principaux candidat·es ont appelé, d’une manière ou d’une autre, à la défaite du RN.

Ainsi, l’écologiste Yannick Jadot, la socialiste Anne Hidalgo, le communiste Fabien Roussel, ont-ils clairement appelé à mettre un bulletin Emmanuel Macron le 24 avril prochain. Très attendu, par son score et par les polémiques qui avaient suivi sa prise de parole de 2017, Jean-Luc Mélenchon a répété à quatre reprises devant les caméras : « Vous ne devez pas donner une voix à Madame Le Pen. »

Une prise de parole saluée par Emmanuel Macron peu après.

Comme en 2017, La France insoumise sondera ses partisans sur l’appel à voter Macron, ou l’absence de consigne plus explicite. Mais contrairement au scrutin précédent, Mélenchon n’a laissé aucune ambiguïté dans ses formulations, «  entre deux maux, terribles […] et qui ne sont pas de même nature  ». « Je connais votre colère, ne vous abandonnez à ce qu’elle vienne à vous faire commettre des erreurs définitivement irréparables », a-t-il lancé depuis le Cirque d’hiver à Paris.

La gauche disparaît encore au second tour

Le chef de La France insoumise, qui a livré un discours aux airs d’adieux (il a promis que cette troisième candidate serait la dernière), a aussi dit la « violence de la déception » pour son camp. De fait, la dynamique de sa campagne autour de l’Union populaire était impressionnante dans les derniers jours avant le vote, avec un effet «  vote utile  » (rebaptisé «  vote efficace ») très puissant. Cela s’est traduit par un score plus important qu’en 2017 (19 %) et qu’en 2012 (11 %).

Cette fois pourtant, il ne pouvait pas compter sur les forces militantes du PCF qui avaient choisi de présenter leur candidat – Fabien Roussel (2 %). Le quinquennat écoulé avait semblé le laisser affaibli, et plus isolé. C’est finalement l’inverse qui s’est produit. Le PS semble (définitivement ?) relégué loin derrière, et les écologistes se sont avérés incapables de prendre la relève.

« Nous avons constitué le pôle populaire. Les batailles arrivent devant vous », a lancé Mélenchon, appelant la jeune génération de son mouvement à «  faire mieux » que lui à l’avenir.

Mais cette domination, à gauche, surplombe un champ de ruines. « La gauche apparaît absente de ce deuxième tour, étant donné l’évolution d’Emmanuel Macron clairement vers la droite, a souligné la chercheuse Nonna Meyer, sur le plateau de Mediapart. [Au second tour], on a une opposition droite/extrême droite.  »

Comme en 2017, le total des voix de gauche avoisine dimanche 10 avril les 30 % – en 2012, c’était près de 44 % au premier tour. C’était il y a une décennie quand un postulant social-démocrate, François Hollande, s’était qualifié au second tour.

Lénaïg Bredoux


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