De notre envoyée spéciale à Athènes. Syriza, dont le nom signifie en grec « Coalition de la gauche radicale », était donné vainqueur des élections législatives dimanche soir d’après les sondages de sortie des urnes. Quels sont maintenant les chantiers qui se présentent ?
Les alliances politiques : l’épreuve du feu pour Syriza
Pour décrocher la majorité absolue à l’assemblée, soit 151 sièges de députés sur 300, il’faudrait que Syriza obtienne entre 35 et 39 % des voix. Ce score est variable car il résulte d un calcul complexe : la Constitution grecque octroie en effet une prime de 50 députés au premier parti entrant, et les partis élus se répartissent ensuite le pourcentage cumulé de tous les partis n ayant pas passé le seuil d éligibilité des 3 %. Dans l’hypothèse où Syriza ne parviendrait pas à réunir cette majorité absolue, il lui faudra composer des alliances pour pouvoir gouverner. Soit le parti parvient à former un gouvernement minoritaire qui obtiendrait la confiance de l’assemblée grâce à un vote « de tolérance » de la part de députés non étiquetés Syriza. Ce serait une première en Grèce. Soit il forme un gouvernement de coalition avec un ou deux petits partis « d ajustement ».
Pendant la campagne, un seul parti a officiellement déclaré qu’il était prêt à soutenir Syriza : il s agit des Grecs indépendants, petit parti de droite nationaliste, issu en 2012 d une scission avec la droite de Nouvelle Démocratie. Syriza s’était montré également prêt à collaborer avec ce parti, avec lequel il partage la même volonté de mettre fin à l’austérité. En revanche, les deux partis sont aux antipodes en matière d immigration, de sécurité et de défense. Syriza a toujours défendu une politique d intégration des immigrés, souhaite mettre fin à la politique de répression à l’égard des sans-papiers et veut améliorer l’accueil des demandeurs d asile, tandis que les Grecs indépendants font jouer la corde nationaliste et prônent le renforcement du contrôle des frontières.
Autre parti susceptible de s’allier avec Syriza : La Rivière, une formation créée l’an dernier autour d une vedette de la télévision grecque, Stavros Théodorakis. Officiellement, jusqu’à présent, Syriza excluait cette possibilité. Mais La Rivière s’est positionnée pendant la campagne comme un parti d ajustement prêt à gouverner avec le parti d’Alexis Tsipras, afin de faire un contrepoids centriste à un exécutif de gauche. Il a toutefois laissé entendre qu’il ne serait pas prêt à participer à une coalition gouvernementale aux côtés de représentants de l’aile gauche de Syriza, un courant partisan de la sortie de la zone euro (même si cette option n’a jamais été adoptée par la ligne majoritaire du parti).
La Rivière affiche un programme « pro-européen », veut poursuivre les discussions avec la Troïka jusqu’à la fin des derniers versements des prêts à la Grèce attendus pour les prochains mois, et favoriser la relance tout en réduisant le rôle de l’État dans l’économie. D inspiration libérale, il ne partage pas du tout le programme social de Syriza, qui implique de fortes dépenses budgétaires. Il a le soutien d une partie des milieux économiques grecs.
La capacité de Syriza à former un exécutif avec le soutien de l’un ou l’autre de ces partis attestera des compromis qu’il sera prêt à faire sur son programme ou au contraire de la fermeté de ses positions. Mais au vu des sondages de sortie des urnes dimanche soir, il est possible que le parti de Tsipras décroche la majorité absolue. Nulle coalition ne serait alors nécessaire pour pouvoir former un gouvernement.
Du côté des autres formations de l’échiquier politique, aucune autre alliance n est envisageable : pour la direction de Syriza, il est exclu de collaborer avec les partis responsables de la politique d austérité à l’Suvre depuis quatre ans à savoir la droite de Nouvelle Démocratie, les socialistes du PASOK et la nouvelle formation de Georges Papandréou, le Mouvement des socialistes démocrates. Restent enfin l’orthodoxe et anti-européen KKE (parti communiste) qui, de lui-même, refuse tout dialogue avec Syriza, et l’extrême droite néonazie d Aube dorée avec qui, pour des raisons évidentes, Syriza n a aucun contact.
Le calendrier des prochaines semaines : un nouveau feuilleton à suspense
Ces élections législatives anticipées ont été provoquées parce que le parlement grec a échoué, fin décembre, à élire un nouveau
président de la République. La nouvelle assemblée devra donc procéder à cette élection une fois qu’elle aura prêté serment, le 5 février, et ce, indépendamment de ce qui se passe du côté de l’exécutif. Il est probable que Syriza propose une personnalité de consensus, dans la mesure où, en Grèce, cette fonction est principalement honorifique. Comme la fois précédente, l’assemblée a jusqu’à trois votes pour élire le président. Mais cette fois-ci, une simple majorité relative suffit au dernier tour.
Parallèlement, le nouvel exécutif devra être formé dans les dix jours qui viennent. Le président encore en exercice va commencer, ce lundi, par convoquer le chef du parti vainqueur des élections. Alexis Tsipras devrait donc se rendre dès lundi après-midi au palais présidentiel ; dans le cas où l’assemblée n’aurait pas dégagé de majorité absolue, il aura alors trois jours pour former une coalition. S’il échoue, le chef du parti arrivé en deuxième position est invité à son tour, et en cas de nouvel échec, c est le parti arrivé en troisième position qui est invité à former une coalition.
Si ce dernier n y parvient pas, de nouvelles élections législatives anticipées sont convoquées. Ce scénario n est pas à exclure : c est ce qui s’était passé au printemps 2012. Après le scrutin du 6 mai, aucune majorité claire ne s était dégagée, à la suite de quoi les tentatives de formation d une coalition avaient échoué, et un nouveau scrutin avait été organisé le 17 juin.
La feuille de route de Syriza : un programme ambitieux
Le programme de Syriza (dont on peut retrouver les grandes lignes, en grec, ici) comprend un ensemble de mesures sociales urgentes pour faire face à la « crise humanitaire » que connaît le pays, des mesures économiques pour favoriser la relance, et une position ferme sur la question de la dette laquelle fera toutefois l’objet d une négociation avec les partenaires européens.
Voici ce que prévoit le parti du côté des mesures sociales : possibilité pour les foyers surendettés auprès du fisc ou des caisses de sécurité sociale de rééchelonner leurs dettes suivant un nombre de versements illimités, sans que l’État puisse délivrer d amende ni procéder à des prélèvements obligatoires ; rétablissement du courant pour tous les foyers qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ; accès à un logement ou à un hébergement en foyer pour tous les sans-logis ; interdiction des saisies immobilières ; couverture santé gratuite pour les chômeurs, leurs ayants droit, et tous les anciens auto-entrepreneurs endettés qui ont perdu leurs droits sociaux ; restitution de la 13e mensualité pour les retraites inférieures à 700 euros par mois ; gratuité des transports en commun pour les chômeurs et les foyers sans ressources.
Du côté du marché du travail, le programme de Syriza prévoit le relèvement du salaire minimum à son niveau initial (751 euros brut par mois) et le rétablissement des conventions collectives.
Pour favoriser le retour de la croissance, Syriza propose en outre des aides aux PME qui constituent une grande partie du tissu économique du pays. Les PME surendettées auprès du fisc ou des caisses d’assurance sociale pourront toucher des indemnités pour relancer leur activité. Le parti envisage également la création d’une banque publique de développement à destination des PME et des agriculteurs. Par ailleurs, Syriza souhaite interdire la vente des crédits bancaires immobiliers et des crédits à la consommation à des fonds étrangers.
L’ensemble de ce programme coûterait quelque 12 milliards d euros. Le parti assure que tout cela peut être financé grâce à une utilisation plus performante des fonds européens et une meilleure collecte fiscale, en luttant davantage contre la fraude et l’évasion et en taxant plus lourdement les richesses : il entend supprimer l’impôt foncier mis en place par le gouvernement Samaras, qui touche tous les foyers propriétaires, pour mieux cibler la grande propriété. Mais les modalités de ce nouvel’impôt restent encore floues. Côté fiscal, le parti entend également relever le seuil d’imposition, actuellement à 5 000 euros, à 12 000 euros par an, et supprimer l’impôt sur le fioul domestique et l’essence.
Du côté de la dette, qui s élève actuellement à quelque 320 milliards d’euros, soit environ 175 % du PIB, Syriza prône un effacement partiel. Dans un entretien à Mediapart en avril, Tsipras parlait d’une diminution des deux tiers pour arriver à un niveau équivalent à 60 % du PIB. Problème, cette dette est aujourd’hui, contrairement à 2012, essentiellement dans les mains des États européens, et non plus des détenteurs privés. La question d’un effacement devient donc très politique, et les dirigeants européens Angela Merkel en première ligne y sont fermement opposés, dans la mesure où cela serait très mal perçu par leurs contribuables.
Syriza a assuré pendant la campagne qu’il mènerait
une « négociation ferme ». Mais le futur gouvernement risque d’être coincé par une des échéances importantes : au printemps, 3,5 milliards d’euros d’obligations grecques doivent être remboursés, puis 10 milliards en juillet, tandis que le pays ne peut toujours pas emprunter sur les marchés, tant les taux sont prohibitifs. C est pourquoi le versement de la dernière tranche des prêts européens (1,8 milliard’d’euros), initialement prévu pour décembre et repoussé de deux mois, est crucial. La dernière tranche des prêts du FMI, d’un montant de 7 milliards d’euros, est elle aussi attendue pour cette année. Ces deux éléments ne sont pas à négliger : la Troïka peut s en servir pour exercer une pression importante sur le nouvel exécutif.
Le futur exécutif Syriza : nouvelle génération ou victoire des anciens ?
Les postes clés qui donneront la tonalité du futur exécutif grec sont les finances, l’économie et le développement, les affaires étrangères, et le poste de ministre d’État (une sorte de n°2 du gouvernement). L’aile gauche de Syriza, qui prône la sortie de la zone euro, ne figurerait pas dans cet échantillon : le porte-parole de cette tendance, le député Panayotis Lafazanis, est pressenti, d’après le journal Ta Nea, pour un ministère moins stratégique comme l’environnement, l’énergie, ou les transports et infrastructures.
Pour les finances, le nom de Yannis Dragassakis est celui qui revient le plus souvent : économiste de formation, en charge depuis deux ans du programme économique de Syriza, il fut jusqu’en 1991 membre du parti communiste grec, avant d’être membre fondateur de Synaspimos, qui deviendra plus tard la principale composante de Syriza. Ce n est pas un nouveau venu sur la scène politique : il a déjà trois mandats de député derrière lui (pour comprendre l’histoire et les origines de Syriza, voir notamment notre récit au lendemain des élections de 2012 ainsi que notre reportage au sein du congrès fondateur du parti unifié en 2013).
Un autre nom circule pour le ministère des finances ou celui du développement : celui de Yorgos Stathakis, lui aussi issu de la branche europhile du parti communiste, mais entré pour la première fois à la Vouli en 2012 après avoir exercé un bref mandat local en Crète où il enseigne l’économie à l’université. Très actif au sein de l’équipe des conseillers économiques du parti, c’est un modéré et il a multiplié ces derniers mois les contacts à l’étranger, auprès de banques et de fonds d’investissement notamment.
Yannis Varoufakis, économiste ancien conseiller de Papandréou qui s est fait connaître bien au-delà des frontières de la Grèce pour sa critique acerbe de la politique d’austérité et s est rapproché de Syriza ces deux dernières années, devrait avoir un rôle au sein de cet exécutif, même si la direction de Syriza, se méfiant d’une personnalité dont on ne sait si elle court davantage pour elle-même ou pour le parti, ne semble pas prête à lui donner un siège de ministre.
Pour l’heure, les noms qui circulent dans les médias grecs, autant pour les postes clés que pour les ministères plus secondaires, sont pratiquement tous masculins et impliquent plutôt la vieille garde de Syriza que la jeune génération, à l’exception de Tsipras lui-même et de son bras droit, Nikos Pappas, son directeur de cabinet depuis qu’il est président du parti : ce nom circule pour le poste de n°2 de l’exécutif.
La ligne qui se dégage pour l’instant penche donc plutôt du côté des anciens de Syriza. Mais rien n est joué, tant les discussions sont vives et dans la mesure où l’issue dépend’aussi de la tournure que prendront les alliances politiques. Une chose toutefois paraît acquise : dans l’entourage de Tsipras, on parle d’un gouvernement resserré, autour d’une dizaine de ministres (contre 21 aujourd’hui plus 24 ministres adjoints ou secrétaires d’État). Les postes incongrus de ministre de la marine et de la mer Egée tout comme celui de la Macédoine-Thrace devraient être supprimés.
Un gouvernement Syriza : un signal pour l’Europe, mais une Grèce encore isolée
Si Syriza parvient à former un gouvernement, il sera le seul’exécutif en Europe formé par un parti issu de la gauche radicale. La Grèce est en outre un petit pays de quelque 11 millions d’habitants, en marge du noyau dur européen : elle ne compte que 21 députés sur 751 au parlement européen et n a jamais pesé d’un grand’poids au niveau diplomatique. Pas sûr, donc, qu’Athènes puisse renverser la donne à Bruxelles.
Une victoire de Syriza en Grèce ouvre toutefois une dynamique et pourrait donner des ailes à d’autres gauches sur le continent : à la fin de l’année, le Portugal et l’Espagne, autres pays du sud européen touchés de plein fouet par la crise, vont également élire leurs députés. Le parti espagnol Podemos, né dans le sillon du mouvement des Indignés, a le vent en poupe et son leader, Pablo Iglesias,
qui affiche depuis quelques mois son soutien à Tsipras, était présent à son meeting à Athènes, jeudi soir.
D’autres soutiens se sont affichés cette semaine dans la capitale grecque : une délégation d’Europe Écologie-Les Verts ainsi que, côté Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent se sont également rendus en Grèce pour encourager Syriza.
Mais il y a d’autres soutiens qui étonnent : La Plateforme, un courant lié au PS, était aussi à Athènes ces derniers jours. Rappelons qu’en 2012, François Hollande appelait les Grecs à reconduire la coalition Nouvelle Démocratie-PASOK au pouvoir& De fait, les socialistes français sont gênés aux entournures : comment soutenir un parti qui veut tourner la page de l’austérité alors qu’eux-mêmes, à la tête de l’exécutif, n ont fait que poursuivre sur la voie de la rigueur ?
Enfin, les déclarations de Marine Le Pen ont ajouté à la confusion. Cette semaine, la présidente du Front national a déclaré au Monde qu’elle « espérait une victoire de Syriza ». Lequel a aussitôt réagi, refusant toute forme de « soutien » de la part d’un parti d’extrême droite. « La montée de Syriza et des forces progressistes en Europe non seulement constitue un barrage contre l’extrême droite qu’incarne Mme Le Pen, mais se veut encore un message de soutien pour la démocratie adressé à tous les ennemis de cette extrême droite », a écrit le parti grec dans un communiqué.
De fait, et depuis longtemps, le discours de Syriza est aux antipodes des thèses frontistes : engagé du côté des immigrés dans un pays régi par le droit du sang et où ceux-ci ont souffert, avec la crise, d’une montée en flèche du racisme, le parti de Tsipras est favorable au droit de vote des immigrés aux élections locales et à la naturalisation de la deuxième génération. Syriza s’est par ailleurs clairement affiché pour la poursuite en justice des membres du parti d’extrême droite néonazi Aube dorée.