Réalisé en avril 2013, Gaspé, Canada, avec la collaboration du Journal des Alternatives.
Réalisation : Resilience Images
Reportage par Camille Raillon
Son et image : Klaus Jack
Espace public et intérêts pétroliers, Gaspé sur le banc des accusés
Camille Raillon, 1er mai 2013
Le Forum sur les hydrocarbures de Gaspé du 26 mars dernier, organisé par le Conseil régional des élus Gaspésie Îles-de-la-Madeleine (CREGIM) a été l’occasion de retrouver Lise Chartrand, présidente du mouvement Ensemble pour un avenir durable du grand Gaspé. Ce Forum a réuni une centaine de citoyens, d’élus et de représentants associatifs, exception faite de Pétrolia, la société d’exploration pétrolière.
En janvier 2013 dans son communiqué de presse, le président de Pétrolia, M. André Proulx, refusait d’entamer une procédure judiciaire contre la ville de Gaspé pour avoir stoppé ses activités d’exploration jugées néfastes pour l’alimentation en eau potable de la ville. La donne a changé. Trois mois plus tard, Radio-Canada nous apprend que Pétrolia « dépose une requête à la Cour supérieur du Québec contre la ville de Gaspé, [en affirmant] que la décision de la Ville ne s’appuie sur aucune étude hydrologique ni sur aucun avis professionnel ».
Retour sur l’affaire « Haldimand numéro 4 »
Au Québec, 92% du territoire fait parti du domaine public selon le site du ministère des Ressources Naturelles. Cet espace public est un patrimoine foncier que le gouvernement entend mettre en valeur « en vue de contribuer au développement socio-économique [de la province] dans une perspective de développement durable » (cf. site officiel). Cette ambition pose le défi de la gouvernance de l’espace public notamment lorsqu’il s’agit de l’exploitation de ressources non renouvelables.
L’exploration par fracturation du pétrole qui se fait au puits d’Haldimand numéro 4 suscite des réactions très diverses à Gaspé. Selon le maire François Roussy, « 10% des citoyens seraient pour, 10% absolument contre et 80% seraient mitigés ». Pétrolia, légalement autorisée à forer justifie sa localisation en zone habitée, a 300 mètres de la première habitation, par la promesse d’emplois et la revitalisation économique de la région. Même si, comme nous le rappelle le M. Roussy, « la promesse du pétrole n’est encore qu’une fiction ». Cependant, des citoyens de Gaspé ont déjà misé sur cet eldorado. Selon Lise Chartrand, « des particuliers ont cédé leurs terres ou donner accès à Pétrolia a leur propriété privée et font ainsi désormais partis du conseil d’administration de la société ».
Lise Chartrand est contrariée par cet appât du gain et par le manque d’information de Pétrolia quant aux risques sanitaires et sociaux de cette exploration. « Nous demandons que soit analysé notre eau, et nous voulons savoir qui va payer les dommages en cas de contamination », explique-t-elle. C’est sur ce manque d’information qu’aujourd’hui Pétrolia engage ses poursuites. Et c’est aussi pour combler cette faille que depuis plusieurs mois le vice président du CREGIM, Joel Arseneau rencontré lors du Forum sur les hydrocarbures déclare « nous ne demandons pas l’arrêt des projets d’exploration ou d’exploitation, mais la révision de la Loi sur les mines et des études environnementales stratégiques avant que les forages commencent ».
Aujourd’hui, il semble que faute de données scientifiques reconnus par l’ensemble des acteurs, le compromis entre Pétrolia, les élus et les différents citoyens de la ville sur l’affaire Haldimand semble d’autant plus complexe à trouver.
Sortir de l’impasse, à qui appartient le pouvoir de faire quoi ?
L’exploitation par fracturation qui consiste à injecter des produits chimiques dans le sol pour extraire du pétrole ne fait pas l’unanimité même si les activités de Petrolia à Gaspe sont légales nous rappelle Mme Chartrand. En effet, cette légalité se base sur la Loi sur les Mines qui date de plus d’un siècle. « Nous avons peur de boire l’eau du robinet et comme aucun test hydraulique n’a été fait avant les travaux de Pétrolia, comment prouver la contamination ? » demande Pelope, citoyen de la maison qui se trouve justement à 300 mètres du puits d’Haldimand.
C’est via le principe de précaution et dans le flou juridique au niveau fédéral sur la protection des ressources hydrauliques que le maire a fait passer une résolution pour protéger l’eau des citoyens de Gaspé, stopper les activités de Pétrolia et indirectement remettre en question les autorisations données par le gouvernement du Québec. Depuis, d’autres municipalités ont suivi l’exemple. « Au moins sept municipalités de la Gaspésie, des Îles-de-la-Madeleine et du Bas-Saint-Laurent ont adopté des résolutions », relate le journaliste Gille Gagne, dans son article de février 2013 paru dans La Presse.
C’est dans cette forme d’ingérence des communes dans les affaires publiques nationales et dans celles des compagnies privées que le gouvernement provincial a décidé de faire passer une nouvelle réglementation. Lise Chartrand s’inquiète : « le gouvernement du Québec veut dans les mois à venir revisiter les règlementations sur la protection de l’eau potable et donc annuler celle de Gaspé. » Par anticipation, Québec solidaire a déposé un projet de loi pour promouvoir le pouvoir des municipalités quant a l’aménagement de l’espace public. http://www.quebecsolidaire.net/loi-...
La gouvernance des ressources naturelles en question…
Un territoire ce n’est pas seulement des ressources naturelles à exploiter ou à préserver. Ce sont aussi des communautés qui défendent leurs droits à la gouvernance de leur terroir. Pour Mario Lévesque, président de l’Association québécoise des fournisseurs de services pétroliers, « le Québec peut devenir un leader mondial de développement des technologies pétrolières. Gaspé est une belle opportunité pour mettre en avant les nouvelles technologies en matière de fracturation et créer des emplois. »
Si la fracturation ne fait pas l’unanimité, Lise Chartrand n’est pas non plus contre l’exploitation des ressources non renouvelables. Comme François Roussy, elle prône un avenir durable via l’exploitation dans un premier temps des ressources en pétrole mais de manière conventionnelle et loin des zones habitées. Puis en investissant dans des énergies alternatives (géothermie, éolienne, etc.) et dans des savoir faire nouveaux qui créeraient aussi des emplois locaux de qualité.
Si les objectifs de plein emploi et de développement des énergies est le même pour tous les acteurs autours d’Haldimand numéro 4 c’est la manière de les atteindre qui diverge. Il semble facile pour les Québécois de juger une situation lorsqu’un puits de pétrole n’est pas devant leur fenêtre. Il est facile aussi pour une compagnie de ne pas prendre en charge ses effets négatifs d’un point vue environnemental et donc économique et sanitaire de leurs activités. Par contre, il sera certainement plus complexe pour la Cours supérieur du Québec de trancher dans l’affaire Haldimand numéro 4 entre gestion de l’espace public avec les municipalités et intérêts pétroliers.
Le cas d’Haldimand nous révèle une mutation de l’espace public. En effet, il est remis en question dans son usage même et dans les dimensions collectives, sociales, économiques et environnementales qu’il dessert. L’espace public est ici tiraillé entre les intérêts des compagnies pétrolières et de certains particuliers devenus investisseurs et la préservation de l’espace privé que défendent les anti pétrole par fracturation. Bref, le dialogue de sourds est enclenché quant à la « bonne »