Édition du 29 octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Féminisme

Le patriarcat

Nous publions la deuxième partie d’un texte qui en compte trois intitulé L’origine et la nature du patriarcat - Une vison féministe.

1e PARTIE : L’origine de la subordination des femmes
2e PARTIE : Le patriarcat
3° PARTIE : Le concept du genre

Il a été produit pour un exposé présenté en décembre 2012 à l’école écosocialiste de l’IIRE-Amsterdam.

Pour lire l’intégralité du texte voir :

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article26039

2e PARTIE : Le patriarcat

Depuis au moins 7 - 8.000 ans, les femmes ont une place subordonnée dans la société.

Dans toutes les sociétés : à partir de celle d’Europe avec la civilisation gréco-romaine, passant par le Moyen-âge et les Temps Modernes, mais aussi dans les sociétés asiatiques, africaines et latino-américaines mieux connues. Même les sociétés de l’Europe de l’Est qui avaient rompu avec le capitalisme dans le siècle passé n’y faisaient pas exception.

C’était la domination d’un sexe sur l’autre. Naturellement la position des femmes dans les différentes sociétés et systèmes de production a varié et il faut étudier spécifiquement les différentes époques historiques.

L’œuvre de Silvia Federici [5] renverse l’idée d’une évolution progressive des droits et des libertés des êtres humains dans l’histoire et elle explique notamment la perte de pouvoir des femmes et la détérioration de leur situation en Europe lors du passage du haut Moyen-âge au capitalisme marchand. Elle démontre comment la chasse aux sorcières qui a concerné des centaines de milliers de femmes au cours du 16e siècle en Europe (et plus tard en Amérique du Nord) a été cruciale dans la modification des rapports de force entre les sexes et entre les classes en faveur du capitalisme naissant et du patriarcat.

Quand on utilise le mot patriarcat, il s’agit d’un système de domination qui renvoie à l’origine au rôle dominant du mâle adulte hétérosexuel dans la famille traditionnelle qui exerce le contrôle sur corps/vie de toutEs les autres membres de la famille , en dispose (« il padre padrone » ou le père patron) et en même temps la garantit. Le père protecteur, qui pourvoit aux besoins de la famille en réduisant les autres membres de la famille (femme et enfants) à un état de mineurs. Cela présuppose une division des rôles selon le sexe et l’âge et des identités fixes et figées.

Mais, quand on parle de société patriarcale, du système patriarcal ou du patriarcat tout court, cela va bien au-delà du domaine de la famille – qui elle-même a d’ailleurs changé.

J’utiliserai dans mon exposé indifféremment les termes patriarcat, subordination des femmes, oppression des femmes, domination ou suprématie masculine même si on pourrait donner des significations légèrement différentes à chacune de ces expressions, en mettant plus l’accent sur l’un ou l’autre aspect, économique, symbolique, politique, psychologique,… de l’inégalité entre les sexes.

Le patriarcat est un système de domination qui structure toutes les sphères de l’existence.

Dans son essence, aujourd’hui comme dans la préhistoire, d’un point de vue matérialiste dialectique, il s’agit de deux enjeux de l’appropriation, l’usufruit, le contrôle des mâles sur : le travail des femmes, la force de travail des femmes et sur la reproduction et la sexualité des femmes, le corps des femmes.

Comment l’obtenir ? Par l’insertion partielle et inégale – selon les époques et les régions du monde – des femmes dans le mode de production dominant. Ensuite, à travers une institution « merveilleuse » , très ambiguë qui est la cellule de base de la société, la famille.

On n’a pas le temps de parcourir l’insertion des femmes dans les différents modes de production, l’esclavage, le féodalisme, le mode de production asiatique, le capitalisme commercial et colonial etc.

Limitons-nous ici à l’époque actuelle ou le capitalisme global domine le monde entier.

Les femmes sont utilisées comme armée industrielle de réserve (Marx) dans l’économie capitaliste – insérées dans les périodes d’expansion économique mais expulsées en période de récession ou de crise .
Cette pratique est justifiée par l’idée/l’idéologie que c’est l’homme qui pourvoit fondamentalement aux besoins de la cellule familiale et que la place naturelle et principale de la femmes se situe dans la famille en tant que femme au foyer.

Les femmes sont utilisées en opposition à la force de travail masculine pour affaiblir la classe en la divisant. Ceci joue également dans d’autres sections « mineures », « périphériques » de la classe ouvrière comme les immigréEs.

Attention, il s’agit d’une insertion partielle, temporaire et inégale dans le monde du travail qui est caractérisée par une ségrégation horizontale et verticale. Les femmes se situent dans les couches et fonctions les moins payées, subordonnées (pas dirigeantes), dans les secteurs « féminins » des services, de la reproduction sociale (moins valorisés) qui sont dans le prolongement des fonctions « naturelles » de soins que les femmes exercent au sein de la famille : éducation, nettoyage, restauration, accueil, santé,…

C’est-à-dire que les femmes travaillent à des salaires plus bas, dans des conditions de travail plus précaires à cause de la combinaison du travail pour le marché avec les tâches de reproduction familiale. Ceci a comme conséquence, des carrières interrompues, du temps partiel (imposé),et … des retraites de misère.

En gros les femmes se retrouvent dans une indépendance économique partielle par rapport aux hommes.

On assiste actuellement à une véritable féminisation du monde du travail. Ceci ne renvoie pas seulement à une augmentation massive du nombre de femmes actives dans l’économie ces dernières décennies et partout dans le monde capitaliste globalisé, mais aussi à l’utilisation des soi-disant qualités féminines dans l’entreprise : capacité de relation et de communication, soin et attention à la tâche, dévouement, souplesse, caractère docile,… et à leur insertion précaire dans le monde du travail ; un lien plus « souple » avec l’entreprise ; des horaires de travail variables au service de l’entreprise et dilution des frontières entre temps de travail et loisir (on amène le travail chez soi). Cela devient le modèle pour tous les travailleurs, hommes et femmes.

Ceci nous mène à la fonction reproductrice des femmes et à la famille.

La force de travail doit être reproduite : nourrie, lavée, hébergée, reposée, psychologiquement équilibrée et préparée, saine, en forme, dans les générations successives. Cela ne se produit pas tout seul, automatiquement. C’est le travail gratuit des femmes à l’intérieur de la famille qui garantit cela. Dans ce sens on parle de l’exploitation du travail de reproduction des femmes par le système capitaliste. Si tous ces services devaient être payés par les travailleurs, les capitalistes devraient leur payer le double de leur salaire actuel ; ce qui est impossible pour le système. Mais cela comporte aussi des avantages pour les travailleurs mâles en tant que sexe car ils jouissent de marchandises et de services fournis amoureusement (? !) par les femmes. Ce qui crée donc une certaine complicité masculine.

On parle de double exploitation pour celles qui en plus exercent un travail salarié.


Parenthèse

Je veux signaler une approche intéressante d’un nouveau courant du féminisme qu’on appelle le féminisme du soin (care/cuidado) qui met au centre de son analyse et de sa proposition de modèle alternatif de société, la reproduction de la vie et non pas la production, comme nous, les marxistes, avons été habituéEs de faire. (Bien que nous avons vu qu’Engels …). Elles partent de la considération que l’individu n’est pas une machine inoxydable et éternelle, que l’être humain est au contraire vulnérable, dépendant et temporel. De sa naissance jusqu’à sa mort, il a constamment besoin de soins pour vivre, et besoin de la présence et de l’attention des autres. L’activité de la reproduction humaine est donc cruciale et doit être au centre de nos analyses – et non pas subordonnée à la sphère de la production – qui vient après – et de notre modèle de société.

Regardons de plus près la famille occidentale actuelle, mononucléaire et hétérosexuelle, qui est proposée comme modèle dans le monde entier et adoptée par les classes dominantes et les classes moyennes en général.

Outre qu’elle constitue le lieu de la soustraction du travail reproductif des femmes, elle est également le lieu de la procréation et du contrôle de la sexualité des femmes, pour assurer la paternité et l’héritage (un facteur plus important dans les familles bourgeoises, mais pas seulement). La monogamie des femmes doit être garantie. On voit clairement la double morale : fidélité conjugale proclamée pour tous – exigée particulièrement de la part des femmes.

Pour obtenir cela, il faut conditionner les femmes (et les hommes) pour qu’elles (ils) remplissent leur rôle. Genrer les personnes : leur apprendre à assumer une identité de genre – masculine ou féminine – sans confusion, fonctionnelle pour leur rôle respectif et spécifique dans la société et dans l’économie.

Ce dressage commence très tôt par l’éducation différenciée entre filles et garçons à partir des jouets et des attentes des parents, les activités sportives, culturelles, les libertés concédées,…

Le garçon est éduqué pour l’autonomie, pour se suffire, pour dominer ou au moins ne pas se laisser faire. La fille doit être au service des autres, complaisante, elle doit plaire à l’autre sexe. Il s’agit de tout un appareil psychologique et idéologique mis en œuvre pour obtenir ces résultats. Intimidation, répression, chantage émotif, menace, isolement, amour possessif,… à travers lequel les hommes sont poussés à conquérir le monde, en bousculant les autres, (en concurrence) et les femmes sont poussées à conquérir un homme, fonder une famille, devenir mère.

Dans tout cela il n’y a pas de place pour une orientation sexuelle différente, homosexuelle. Cette division du monde en deux genres exclusifs, opposés et complémentaires imprègne toute notre manière de penser. Elle fait partie de l’idéologie dominante qui est l’idéologie de la classe et du sexe dominant : la culture, l’art, la science (voir l’historiographie), les religions, le langage, notre imaginaire, notre inconscient, …

Les femmes elles-mêmes ont intériorisé leur infériorité et la « naturalité » de la suprématie masculine. C’est souvent un obstacle à leur libération et à la solidarité entre femmes.


Dans la société l’homme, le mâle constitue la norme, la femme le produit dérivé.

L’homme est neutre, la femme est trop ou trop peu affirmative, agressive, « féminine », sexy… dans le domaine public, le travail, la politique, la science,… Le corps de la femme distrait les hommes, perturbe l’ordre. Le corps de l’homme est la norme. Le corps de la femme est l’exception, le malaise, « la maladie » , le cycle menstruel, la grossesse, la ménopause.

Les espaces publics matériels et symboliques (et le rythme du temps) sont créés en fonction de ce modèle. Les caractères physiques de la femme sont toujours vus et vécus « par défaut ».

L’oppression économique, sociale, politique, culturelle, idéologique des femmes, passe avant tout par son corps. Beaucoup de luttes féministes concernent le corps des femmes :

• Droits reproductifs, contraception, contrôle de la naissance/ stérilité, avortement

• Bataille pour obtenir les libertés relationnelles et sexuelles, choix du mariage, divorce, …..

• Lutte contre les violences physiques, sexuelles, pour l’intégrité physique, psychologique des femmes

• Pour le droit à la libre circulation et la libre expression (vestimentaire par exemple).

Ce sont des luttes transversales, qui concernent les femmes de différentes couches sociales, classes ou races – mais pas de la même manière.

Quand on parle de différence sexuelle on ne parle pas de différences innées, immuables, a-historiques. Au contraire le contexte, l’éducation, l’expérience sont déterminants dans la formation des personnes. Il s’agit d’expériences de vie, de dressage/conditionnement, d’aspirations autorisées ou non qui ont une base biologique mais qui la dépassent. En cela nous ne sommes pas d’accord avec les théories féministes différentialistes qui éternisent les différences, leur prêtant un caractère essentiel, biologique, et qui veulent renverser l’ordre symbolique en valorisant toutes les caractéristiques prétendument féminines sous-évaluées et marginalisées par la société patriarcale.

La famille mononucléaire – ou l’idéal da la famille qu’on nous inculque – est en même temps l’endroit des affections, des relations fondantes, le refuge qui devrait nous permettre à mieux résister (ou prester) dans une société ultra compétitive, violente, insécurisante. Ceci surtout en l’absence d’autres formes de socialisation et de vie communautaire qui pourraient fournir d’autres relations affectives permanentes, structurantes, formant la personnalité.

Mais les faits témoignent de la fausseté ou du caractère illusoire de cet idéal. En ce qui concerne les femmes âgées de 15 à 50 ans, la violence masculine est la première cause de mort au niveau mondial. Pour les femmes, le foyer est l’endroit le plus dangereux. La violence domestique s’exprime de plusieurs façons : mépris, menaces, haine, jalousie, isolement, contrainte aux relations sexuelles non voulues ou à la prostitution avant qu’on arrive aux coups qui laissent des signes tangibles.

Malgré cette réalité, l’idéal de l’amour romantique est inculqué (surtout aux fillettes) du matin au soir par tous les moyens de communication. Ses caractéristiques sont : l’exclusivité, l’unicité, la fidélité, la jalousie, la subordination des aspirations de l’individu et surtout de la femme, au couple, ….. et aussi inégalité implicite, attentes différenciées d’intimité et de complicité.

La pression matérielle, sociale et psychologique contre tous ceux et toutes celles qui veulent sortir de ce modèle et de la camisole de force constituée par le genre est énorme, surtout dans les milieux ruraux, appauvris et peu alphabétisés où le poids des religions est le plus fort.

Par contre, dans les milieux urbains, le nombre de mariages diminue et les familles composées autrement ou d’autres formes de vie plus communautaires apparaissent.

L’oppression des femmes dans le domaine public

L’idéologie patriarcale – nécessaire pour faire accepter l’état actuel des choses – pénètre toutes les sphères. Elle est d’ailleurs acceptée par les femmes elles-mêmes, comme par les hommes. En plus les femmes des élites (de classe, de groupe ethnique ou autre) sont privilégiées par rapport aux autres et agissent souvent d’abord en tant que classe ou groupe dominant plus qu’en tant que sexe, en complicité avec les hommes de leur propre classe.

Dans plusieurs pays ou sous-régions, l’espace public n’est toujours pas facile à fréquenter pour les femmes : soit parce qu’il leur est carrément interdit (clubs d’hommes), soit parce qu’il est dangereux (les rues des métropoles le soir), soit parce qu’il est considéré peu « convenable » pour une femme respectable. Dans certains régions – comme l’Afrique du Nord ou le Moyen Orient – ces règles sont aussi rigides que l’apartheid, mais en même temps elles sont bouleversées dans les processus révolutionnaires.

Parmi les lieux communs, il y a le fait que le genre féminin est sensé s’intéresser à la sphère privée et apte de s’en occuper, mais pas à la sphère publique et notamment à la politique, chasse gardée des hommes jusqu’il n’y a pas longtemps.

Grâce à la lutte des suffragettes (1e vague féministe au début du 20e S), le droit de vote des femmes a été obtenu dans plusieurs pays d’Europe après Seconde Guerre mondiale. Dans certains pays le vote des femmes n’est pas encore acquis : Arabie Saoudite.

Partout les femmes sont une minorité dans les institutions politiques (gouvernements, parlements, conseils régionaux) qui comptent. Exceptions : la Scandinavie, mais aussi le Rwanda.

Les partis politiques fonctionnent sur le modèle masculin de l’individu affirmé, équipé pour l’affrontement, sans relations de reproduction, sans émotions ni problèmes physiques, pur intellect.

Le sexisme frappe les femmes dans les espaces publics et rend leur activisme plus difficile.

Nous ne voulons pas seulement créer la place pour les femmes dans la politique existante mais transformer la politique elle-même pour qu’elle convienne aux exigences des femmes.

Nadia De Mond

Marche mondiale des femmes

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