Tiré de Quatrième internationale
5 novembre 2022
Par Daniel Albarracín
Le problème de notre économie à forte intensité énergétique n’est pas seulement sa dépendance énergétique vis-à-vis des sources étrangères. C’est aussi sa non-durabilité, du point de vue climatique et la crise énergétique qui nous touche.
Le réchauffement climatique, une dynamique multifactorielle, avec l’effet de serre aujourd’hui au premier plan
Les rapports d’experts de la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV) de l’ONU sont habituellement très modérés dans leurs prévisions, puisqu’ils ne tiennent pas compte de tous les phénomènes à dynamiques exponentielles1 , tels que les émissions de méthane - un gaz à effet de serre quatre-vingt fois plus important que le CO2 - retenues jusqu’à présent par le permafrost et d’autres zones actuellement glacées de la planète lors de leur fonte. Néanmoins, en dépit de cette modération, les donnée de ces rapports mettent en lumière le vertigineux problème du réchauffement de la planète et son accélération.
L’effet de serre créé par l’ère industrielle conduit à un phénomène extraordinairement rapide, en termes de temps géologique. En seulement deux siècles, en utilisant le charbon, le pétrole et le gaz, la société industrielle a été la cause d’une concentration de gaz dans l’atmosphère qui n’a pas été vue depuis le Pliocène. La différence cruciale est que le changement climatique dû à des modèles industriels non soutenables se produit beaucoup trop rapidement pour laisser à la vie le temps de s’adapter. Ses impacts sur la température, sur la disponibilité de l’eau douce et les phénomènes météorologiques extrêmes conduisent à une réduction drastique de la biodiversité, au point que la dynamique actuelle d’extinction des espèces, la 6e grande extinction, est la plus dévastatrice et la plus rapide que la Terre ait connue depuis l’impact d’une météorite il y a 65 millions d’années.
La température de la terre, lorsqu’elle évolue entre certains seuils, est un élément clé pour la disponibilité d’eau douce, pour la fertilité des sols et, en fin de compte, pour l’habitabilité de la biosphère. En bref, elle affecte les écosystèmes et notre existence même (notons que la Fondation pour la biodiversité rappelle que 40 % de l’économie dépend des services fournis par les écosystèmes). Inversement, cette température est elle-même le résultat de dynamiques multifactorielles.
La première d’entre elles est la distance au Soleil et l’évolution de notre étoile. Le Soleil, une étoile de taille moyenne, consomme son combustible, l’hydrogène, qu’il transforme en hélium pendant des milliards d’années. La tendance est à l’augmentation des émissions de chaleur. Aux premiers âges de la Terre, la chaleur atteignant la Terre, depuis longtemps stabilisée sur son orbite, était beaucoup plus faible. Au Pliocène, lorsque la concentration de particules de CO2 était comparable à celle d’aujourd’hui, le Soleil émettait 25 % de chaleur en moins. Or, l’effet de serre de l’atmosphère de l’époque, entre 5,3 et 2,5 millions d’années, permettait non seulement de maintenir les températures dans certains seuils, ou de filtrer certains rayonnements ultraviolets, mais aussi de compenser cette baisse de chaleur en la retenant, rendant le climat de la Terre plus tempéré. À l’époque, cet effet de serre contribuait positivement au maintien d’une température propice à la vie. Mais aujourd’hui, avec 25 % de chaleur solaire en plus, nous avons le même effet de serre qu’à l’époque, ce qui signifie que notre climat devient excessivement et dangereusement chaud.
Le deuxième facteur concerne l’axe gravitationnel de la planète, qui impacte l’angle selon lequel nous parvient la lumière du Soleil et, donc, l’intensité de la chaleur qui en découle. Au cours de la dernière période longue de la Terre, l’axe gravitationnel, moins stable qu’à l’époque des dinosaures, se déplace périodiquement, entraînant de longues périodes glaciaires d’environ 100 000 ans et des périodes tempérées d’environ 10 000 ans. Avant la révolution industrielle, nous étions dans une période chaude et géologiquement bénigne, l’Holocène.
Cette période s’est achevée avec l’avancée de la société industrielle et le développement du Capitalocène – plutôt qu’Anthropocène, qui attribue génériquement à l’espèce humaine la cause, et non à ses rapports de production et à son modèle énergétique. Basé sur l’accumulation et les énergies fossiles, il amène une espèce, l’espèce humaine, en raison de son mode de production, à modifier l’atmosphère et le climat. En ce sens, nous assistons à une époque géologique singulière, dont le caractère est déterminé par un certain modèle de production et de consommation, dont moins de 10 % de la population humaine la plus riche, une partie des secteurs -industriel, agricole, de l’élevage, extractif, de la mobilité, etc.- et des entreprises (2) , et un petit groupe de pays et de territoires (USA, UE, Chine, Russie et Inde), sont responsables et bénéficiaires de ce modèle.
Il convient également de mentionner le rôle des océans dans le tamponnement, l’accumulation et la distribution de la chaleur et, au sein de ceux-ci, les courants océaniques profonds, que l’acidification de l’eau transforme. La fonte des glaces aux pôles ou au Groenland, en déversant de l’eau « douce » dans les océans, a un impact évident sur ces courants et peut modifier sensiblement le climat au niveau régional.
Quoi qu’il en soit, un autre problème pressant est l’augmentation du coût et la réduction de la disponibilité et de l’accessibilité bon marché des sources d’énergie à haute densité énergétique, comme les combustibles fossiles, qui sont aussi fondamentalement responsables de l’émission de gaz à effet de serre. C’est ce que l’on appelle la crise énergétique. Cette crise, qui se traduit par la baisse des taux de rendement énergétique, dure en fait depuis plusieurs décennies. Problèmes d’approvisionnement et hausses des prix sont ses conséquences, aggravées par d’autres facteurs comme que la concurrence économique et géopolitique internationale, qui se traduit par des conflits comme celui de l’Ukraine ou celui, récurrent, du Moyen-Orient.
Plus personne ne conteste la nécessité de diversifier les énergies, mais vers quel mix énergétique ? Comment le concevoir afin d’engager la transition énergétique et productive pour un modèle économique durable ?
La diversification énergétique face à la crise pétrolière et gazière
La crise pétrolière, une fois dépassé le pic pétrolier en 2006, a conduit à un recours au fracking. Technique visant à extraire des formes de pétrole de mauvaise qualité et dispersées en les obtenant par fracturation hydraulique aux coûts économiques et environnementaux considérables, elle a récemment cessé d’être rentable au sens étroit capitaliste du terme. Cela fait déjà quelques années que les compagnies pétrolières ont mis à leurs investissements dans de nouvelles infrastructures d’extraction, réduisant ainsi leur capacité d’obtenir du pétrole brut. Au cours de cette période, le gaz, notamment les centrales à cycle combiné, apparaissait comme la principale option. Cependant, la Russie et l’Algérie se sont récemment heurtées aux pics d’extraction de leurs gisements, qui s’ajoutent aux problèmes d’approvisionnement causés par les gazoducs qui traversent des territoires situés dans des orbites géopolitiques différentes et des concurrents économiques internationaux. La crise en Ukraine est une réponse à ce problème, parmi d’autres facteurs.
Dans la course, alors que l’Europe centrale n’est plus approvisionnée par la Russie, suite à la perturbation et au sabotage du gazoduc Nord Stream, tous les regards se tournent vers l’Algérie et la France. Le gaz et l’énergie nucléaire ont été déclarés, de manière incompréhensible et parfaitement cynique, « énergies vertes » par l’Union européenne. Le gaz naturel est responsable, bien que dans une moindre mesure que le pétrole, de l’effet de serre, et il lui reste encore quelques décennies dans de nombreux domaines de voies d’extraction accessibles, en l’absence de guerre. À l’heure actuelle, l’Europe reçoit davantage de gaz des États-Unis, d’Arabie saoudite et d’Australie, mais à un coût beaucoup plus élevé, car il doit être acheminé sous forme liquéfiée et sur des navires, et nécessite des opérations de regazéification coûteuses.
Tout ceci contribue à remettre au goût du jour l’idée selon laquelle l’énergie nucléaire pourrait être une alternative. Dans quelle mesure est-ce raisonnable ?
L’énergie nucléaire
L’énergie nucléaire émet très peu de gaz à effet de serre. Ses coûts d’exploitation sont faibles et sa production est stable et ininterrompue, ce qui en fait l’un des principaux bénéficiaires du système de tarification marginaliste. Il est certain que les centrales modernes ont résolu de nombreux problèmes de sécurité et de gestion des déchets depuis la catastrophe de Tchernobyl.
Cependant, elles présentent toujours un ensemble de problèmes, dont certains sont si graves qu’ils en font une source d’énergie absolument déconseillée sur le long terme :
Les coûts d’investissement initiaux sont extrêmement élevés. Cela explique que, pendant des années, les entreprises ont été réticentes à construire de nouvelles usines, tant en Espagne que dans la plupart des pays industriels occidentaux. Il y a actuellement cinq centrales en Espagne avec sept réacteurs.
Les centrales nucléaires espagnoles, et en particulier la centrale de Garoña à Burgos, ont un système de sécurité comparable à celui de la centrale de Fukushima, qui rejette encore de l’eau radioactive à grande échelle dans le Pacifique et aura des effets irréversibles à long terme sur le Pacifique et la pêche internationale. En France, avec 52 réacteurs, plus de 30 sont à l’arrêt en raison de problèmes de corrosion et d’une pénurie d’eau de refroidissement, ce qui pose un grave problème puisque la France est alimentée à 77 % par sa principale source d’énergie.
À l’échelle géologique, l’emplacement de toute centrale nucléaire n’est pas sans risque. Dans le cas de Fukushima, la catastrophe a été provoquée par un tsunami. Cependant, même si le sol peut paraître stable à l’échelle de la vie d’un d’une humaine, nous parlons de phénomènes qui, bien que peu probables et donc risqués à court terme, représentent un danger certain à long terme, comme les tremblements de terre, sans parler des autres phénomènes naturels.
Il en va de même pour la gestion des déchets radioactifs. Qui va prendre en charge ce coût à très long terme ? Personne ne le prévoit. Les sites d’élimination des déchets nucléaires, comme celui d’El Cabril, à Hornachuelos, dans la province de Cordoue, sont-ils exempts de problèmes géologiques résultant du mouvement constant des plaques tectoniques ? Absolument pas. Les silos en béton vont-ils suffire ? Non, pas à long terme. Existe-t-il un matériau pour les contenants qui ne se pliera pas, ne se déformera pas et ne s’érodera pas après des milliers d’années ? Aucun matériau de ce type n’existe, l’acier subit également ces conséquences au fil du temps.
En outre, les centrales nucléaires nécessitent avec des matières premières également en quantités limitées. L’uranium est rare, et ses localisations sont connues. Son extraction est conflictuelle du point de vue géostratégique. Les principales réserves se trouvent en Australie, au Kazakhstan et en Russie.
L’avenir réside dans la diversification, en mettant l’accent sur les énergies renouvelables, les systèmes distribués et une utilisation plus sobre de l’énergie
Les alternatives ne sont ni le gaz ni l’énergie nucléaire. Mais il est vrai que le taux de rendement énergétique des énergies renouvelables est nettement inférieur (20 %) à celui du pétrole, et qu’elles nécessitent des infrastructures dont la production dépend fortement des combustibles fossiles.
Nous devons nous orienter d’urgence vers la transition énergétique et productive. Cela nécessite de réviser notre modèle de rapports de production et de remettre en question les privilèges d’une minorité, dans le cadre d’une diversification et d’une transition graduelles et intenses, qui peuvent durer plusieurs décennies. Et cette question du temps nous place devant un difficile problème : la transition vers un nouveau modèle énergétique est urgente et nécessite non seulement un effort d’investissement important et la substitution des énergies sales par d’autres sources d’énergie, mais aussi du temps, qui se réduit chaque jour de plus en plus, pour mener à bien cette tâche colossale. Les mesures à prendre pourraient être les suivantes :
Il ne faut plus construire de centrales nucléaires. Celles qui restent devront être fermées au cours des prochaines années, et leur contribution devra être limitée, pendant leur fermeture, à compléter et stabiliser le mix énergétique. Il faut prévoir des fonds pour le démantèlement et la gestion des déchets radioactifs à très long terme.
Limiter l’utilisation des sources fossiles au déploiement de la première génération d’infrastructures de base pour les énergies renouvelables. Il faut tenir compte du fait que, dans 40 à 50 ans, la deuxième génération ne pourra plus utiliser les combustibles fossiles, sauf de manière marginale et très sélective.
Promouvoir l’autoconsommation solaire, en investissant les toits des bâtiments, en étendant les parcs solaires et les parcs éoliens dans des zones ayant un impact moindre sur la production alimentaire, la population locale et la biodiversité, avec un débat démocratique sur cette sélection et cet emplacement, combiné à l’éco-efficacité, à la proximité des centres de résidence et de production, et à des modèles distribués. Il faut développer les centrales solaires thermiques, y compris des accords avec les pays du Sahara africain, les infrastructures permettant la collecte et la préparation de la biomasse et d’autres sources renouvelable.
Développer l’électrification des villes et des systèmes de mobilité collective, en envisageant des alternatives au cuivre. Actuellement matériau de base des technologies électriques conventionnelles, il est rare, tandis que l’aluminium, qui est moins conducteur mais viable, est nettement plus abondant.
Mettre en œuvre une politique de limitation, de reconversion et de sobriété, de sélection des usages énergétiques à des fins productives et des types et pratiques de consommation et de mobilité, basée sur l’établissement de priorités sociales démocratiquement acceptées, sur les aspects liés à l’alimentation, à la mobilité et aux services publics essentiels.
Il est évident que le modèle énergétique ne peut être régi par des formes de marché et des systèmes de prix marginalistes. Un secteur public d’extraction, de production et d’approvisionnement, en raison de sa nature stratégique, est indispensable, notamment pour permettre cette diversification énergétique en l’adaptant aux spécificités locales en en adoptant un caractère coopératif et communautaire. Cela implique une planification démocratique dans tous les domaines et à tous les niveaux, avec une large participation populaire à la prise de décision.
Paru sur vientosur.info, 10/2022
Article de Daniel Albarracín Sánchez. Membre de la Chambre des comptes d’Andalousie. Sociologue et économiste. Membre d’Anticapitalistas et du Conseil consultatif de viento sur.
Traduit par Raphaël Porcherot
1. https://www.science.org/doi/10.1126/science.abn7950
2. https://www.climatica.lamarea.com/las-20-empresas-responsables-de-un-tercio-de-las-emisiones-globales-de-carbono/
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