On doit malheureusement faire le constat du fait que, face à une entreprise qui visait clairement à la fois à diviser le mouvement indépendantiste et à démoniser les membres de ce mouvement qui défendent les droits de la nation palestinienne, le Parti québécois s’est comporté avec un regrettable manque de courage et de clairvoyance. Le PQ n’a pas été à la hauteur de ce que l’on attend d’un parti qui défendrait la cause nationale et la démocratie.
Au lieu de dénoncer d’une manière conséquente cette entreprise démagogique et malveillante, le PQ s’est malencontreusement laissé piéger dans une opération dont la stratégie est pourtant évidente pour toute personne qui a quelque expérience politique. Le procédé est d’une banalité affligeante et dénote par ailleurs un déficit éthique considérable : il s’agit de faire passer toute critique d’un groupe d’intérêt spécifique et d’un État en particulier pour
une dérive morale majeure, et le poids de l’Histoire aidant, pour de
l’"antisémitisme".
Le PQ a par ailleurs dépassé toutes les bornes de l’amateurisme politique en désignant les contributeurs de Vigile.net à la vindicte d’un système judiciaire qui a pourtant amplement démontré antérieurement sa capacité à criminaliser la dissidence politique, y compris celle du mouvement indépendantiste. Les emprisonnés de la Crise d’Octobre, Gérald, Pauline, Gaston et tous les autres
..., les a-t-on oubliés ?
Il n’est pas inopportun de parler de néomaccarthysme en ce qui concerne l’opération à laquelle le Parti libéral du Québec s’est prêtée, en concertation évidente avec des organismes et des groupes de pression dont les activités méritent d’être questionnées, et dont les intérêts ne sont pas toujours ceux des citoyennes et citoyens du Québec !
En effet, outre les interventions médiatisées du Comité Canada-Israël, on a vul’organisation B’nai Brith (cf l’article, « B’nai Brith wants police to probe ’antiSemitic’ pro-sovereignty website », Postmedia News, 24 mars 2011) demanderexplicitement une intervention policière contre le site Vigile.net, en invoquantle Code criminel canadien. On prendra aussi note du fait que dans la médiatisation du point de vue de B’nai Brith, c’est le site Vigile.net au complet qui est qualifié d’"antisémite". On voit ici clairement mis en évidence l’argumentation classique du néomaccarthysme : antisionisme = antisémitisme.
La criminalisation de la critique politique des actions de l’État d’Israël a
pourtant fait des ravages dans de nombreux pays, et les défenseurs de la démocratie devraient écarter toute tentation de cautionner ce genre d’atteinte à la liberté d’expression. Mentionnons à titre d’exemple les persécutions judiciaires qu’a subies le sociologue français Edgar Morin, pourtant d’origine juive, pour avoir simplement questionné les politiques israéliennes, dans un contexte où des lois liberticides votées sous influence ont mis à mal les acquis démocratiques de la société française. À cet égard, le cas de la France est des plus déplorable, puisque des milices pro-israéliennes (kahanistes) y perpétuent des agressions physiques avec une étonnante impunité ... tout en étant intégrées aux troupes de choc du Front national !
Au Canada, il est clair que le mouvement et les réseaux d’intérêts pro-
israéliens (y compris les tendances les plus radicales telles que celle deskahanistes), qui ont acquis une influence déterminante sur l’État fédéral sous la gouverne du Parti conservateur, visent à réaliser la même opération dans les institutions politiques québécoises. La "harperisation" des esprits se propage malheureusement dans la société québécoise, et il semble même que la douloureuse et pathétique affaire du sabordage de l’organisme Droits et Démocratie, ait déjà été oubliée par nos élus, trop peu enclins à faire preuve de la droiture morale et du courage politique que nous attendons d’eux.
En tant que citoyen, je ne suis certainement pas le seul à m’inquiéter de lacorruption économique, mais aussi de la corruption des esprits. Allons nousaccepter passivement des atteintes liberticides à la société et aux institutionsdémocratiques du Québec ?
L’intervention de Monsieur Joseph Facal
Parmi les acteurs de cette opération politique contre le site Vigile.net,
mentionnons un chroniqueur du Journal de Montréal, Monsieur Joseph Facal,auteur d’un article utilisé par ministre de la Justice M. Jean-Marc Fournier, à l’appui de la motion contre Vigile.net présentée à l’Assemblée nationale le 24 mars (cf assnat.qc.ca). Faisant partie des personnes visées par MonsieurJoseph Facal dans son article (repris amplement dans la blogosphère pro-israélienne…), il me semble utile de mettre en évidence ses procédés augmentatifs.
Parmi les citoyens qu’il accuse de véhiculer « les stéréotypes les plus odieux er, à travers une citation tronquée : « Il y aurait aussi une « percée du mouvement judéo-nazi kahaniste au Canada » ». Dans son blog(josephfacal.org), il reproduit ce texte le même jour, cette fois-ci en m’identifiant précisément : « Il y aurait aussi une « percée du mouvement judéonazi kahaniste au Canada » (Y. Claudé). »
Dans son empressement à condamner le site Vigile.net ..., le chroniqueur om et de mettre en contexte cette citation et d’en indiquer la référence. Il s’agissait en fait d’un texte d’abord publié sur le site du Devoir (ledevoir.com, 3 avril 2010), puis sur Vigile.net, qui référait au fascisme d’Adrien Arcand et qui évoquait les fascismes contemporains, texte se concluant avec cette phrase : « S’il est des antifascistes conséquents, ils devraient avant tout s’inquiéter de la percée du mouvement judéo-nazi kahaniste au Canada, dans les milieux communautaristes ainsi que dans les zones d’influence du Parti Conservateur du Canada. »
Occupé à faire flèche de tout bois, le chroniqueur ne mentionne aucunement le fait que le mouvement kahaniste prône le génocide des Palestiniens, et qu’il est entre autres responsable du massacre perpétré à la mosquée d’Hébron et d’un projet de massacre de musulmans dans une mosquée de Californie (cf
l’arrestation du leader kahaniste d’origine montréalaise Irv Rubin).
Le mouvement kahaniste a été placé sur la liste des organisations terroristes établies par l’État canadien, mais il est très étrangement toléré sous d’autres appellations que celles officiellement désignées ! Ce mouvement, très actif à Toronto, se vante d’avoir été à l’origine de la mobilisation qui a amené le gouvernement fédéral à interdire en 2009 l’entrée au Canada de l’ex-député britannique George Galloway, défenseur de la cause palestinienne.
Contre tous les racismes !
Alors que j’avais signalé dans le quotidien La Presse (3 mai 2003), la présence d’interventions kahanistes sur un des sites internet de l’organisation transnationale B’nai Brith (« Israël n’a pas affaire à des êtres humains mais à de la vermine... éliminer d’urgence... », « Crève charogne islamique ... », etc. ; voir le site Vigile.net), j’avais pu constater un étrange silence discriminer et assassiner, cela représente une réalité trop grave pour que l’on permette à
des néomaccarthystes sans morale de détourner et d’instrumentaliser à des fins politiques, les luttes héroïques menées contre tous les racismes !
Yves Claudé
Sociologue et militant antiraciste
Auteur principal du livre « Les skinheads et l’extrême droite »
Montréal, le 31 mars 2011
–