Pour plusieurs, les raisons d’être dehors après 20 h, malgré le couvre-feu, sont nombreuses : ne pas avoir de lieu pour s’abriter, ne pas vouloir contracter la COVID dans un refuge, avoir besoin des services d’un site d’injection supervisée (SIS), fuir la violence, etc. Quoi qu’on en dise, dans ces circonstances, c’est très rarement l’aide de la police dont ces personnes ont besoin.
Comme en témoigne notre 5e portrait de la situation dans l’espace public, les effets et l’intensité des contrôles policiers sont différents pour les personnes en situation d’itinérance. Les interactions entre les policiers et les personnes vulnérables sont fréquentes, à géométries variables et trop souvent ponctuées d’abus de pouvoir. Lorsque le couvre-feu a été annoncé et que nous avons compris que les personnes en situation de grande précarité n’allaient pas en être exemptées, il était évident pour notre regroupement, qui s’appuie sur des années de travail terrain et des constats de ses membres, que ces dynamiques allaient se reproduire.
En moins d’une semaine, on nous a rapporté 5 constats d’infractions pour non-respect du couvre-feu qui ont été remis à des personnes en situation d’itinérance et plusieurs cas de brutalité. Pour chaque constat, les médias ont cherché à savoir si la personne était VRAIMENT « itinérante ». Les politicien.nes de leur côté ont commenté les cas en précisant qu’un était « connu des policiers », que l’autre était en « possession de stupéfiants » pour justifier l’injustifiable, laissant percevoir hélas, une bien mauvaise compréhension du phénomène de l’itinérance.
Depuis le couvre-feu, des travailleur.euses de rue nous rapportent que dès 17 h, les rues commencent à se déserter, les personnes en situation d’itinérance qu’ils côtoient habituellement se cachent et s’isolent pour éviter la répression. Pour les femmes particulièrement, cet isolement est synonyme d’encore plus grands risques de violence physique et sexuelle, comme l’a démontré le confinement du printemps.
Alors qu’une crise des surdoses sévit à Montréal, il est essentiel que les personnes qui consomment puissent avoir accès à l’ensemble des services en réduction des méfaits offerts par les organismes, notamment au matériel de consommation et aux SIS. Bien que la Santé publique reconnaît les services communautaires comme essentiels et exempte les travailleur.euses du couvre-feu, des personnes qui se dirigent vers les ressources se font insulter, brutaliser et remettre des constats d’infractions. Cela est inacceptable et dangereux, en plus d’être incohérent.
Dans le dernier mois, le milieu de l’itinérance a été durement touché par la pandémie. En date du 13 janvier, 58 employé.es et 116 personnes en situation d’itinérance avaient testé positif à la COVID. Considérant la grande mobilité des personnes qui fréquentent les ressources et surtout le dépistage insuffisant, nous savons que ces chiffres ne reflètent pas l’ampleur de la situation. Depuis le début de la pandémie, les groupes communautaires du milieu de l’itinérance déploient toutes les ressources et les énergies possibles afin de réduire les risques de transmission et les impacts de la pandémie pour les personnes qu’ils desservent. D’ailleurs cette semaine, la mairesse Plante admettait elle aussi que les ressources d’hébergement actuelles débordent. Montréal nous paraît donc bien mal équipée pour appliquer le couvre-feu à l’ensemble de ses citoyen.nes. Les organismes ont besoin de l’appui de la santé publique et de fonds supplémentaires, pas d’un couvre-feu qui ajoute plus de pression, de stress et de travail à des équipes déjà surchargées et épuisées.
Pour toutes ces raisons, le RAPSIM s’oppose au couvre-feu comme mesure de santé publique et demande une exemption urgente du décret pour les communautés marginalisées, dont les personnes en situation d’itinérance.
En espérant plus d’humanité et de solidarité de la part des pouvoirs publics,
Joannie Veilleux,
Organisatrice communautaire au Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)
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