Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Burkini

Le burkini de la colère

Il est difficile en tant que femme et féministe de ne pas me sentir interpelée par le débat assez surréaliste auquel nous assistons au sujet du burkini. Je suis consciente que le débat est cristallisé à un tel point qu’il n’y a plus vraiment qui que ce soit à convaincre et que les personnes qui sont profondément hostiles à ce morceau de linge seront au mieux irritées par les lignes qui vont suivre et, au pire, carrément insultées.

L’auteure est professeure à l’UQAM et directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes.

Malgré tout, je pense que je dois, dans un geste de solidarité et par conviction, ajouter ma voix à celles des personnes qui ont pris le parti de défendre le droit des femmes au libre choix. Les cas de verbalisation de femmes sur les plages de Nice et Cannes donnent aussi des motifs à s’impliquer dans ce débat. Dans les deux cas, ces femmes ne portaient pas de burkini. Elles ont malgré tout été ciblées par des policiers et ont dû subir les invectives d’un public trop heureux de profiter de l’intervention policière afin de manifester toute sa hargne contre ces méchantes musulmanes...

Je pense que l’injonction contre le burkini est un faux débat qui ouvre toute grande la porte à un racisme qui s’attaque ici essentiellement à des femmes. Il ne résout pas le problème de fond, soit le fait que toutes les religions sont sexistes et que dans leurs formes les plus fondamentalistes, elles nuisent carrément aux femmes. Je pense qu’on s’en prend aux femmes, car c’est beaucoup plus facile de s’attaquer à elles qu’aux princes saoudiens qui financent les imans radicaux à coup de millions de dollars. Je crois que des initiatives comme le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (https://info-radical.org/fr/) sont beaucoup plus efficaces et constructives afin de prévenir les dérives radicales que l’interdiction du burkini. Et bien que je sois opposée à tout vêtement imposé à des femmes pour motifs religieux, je crois qu’il faut s’en prendre aux hommes qui créent ces obligations et non à celles qui les subissent. Ceci étant dit, certains arguments anti-burkini me hérissent tout particulièrement.

Le burkini : arme du djihad ? Non, pas vraiment...

On nous dit que les « radicaux » forcent les femmes à mettre le burkini dans une stratégie politique de propagation de l’intégrisme et qu’il faut donc les dévêtir afin de combattre cet intégrisme. Vraiment ? Est-ce donc à cela que se résume le corps des femmes ? Un objet que les islamistes veulent cacher afin de propager leurs idéaux et qu’il nous faut donc exposer dans une grande et belle lutte pour la liberté ? La fin des intégrismes passerait par une obligation pour les femmes d’exposer leur corps, et, tant pis, pas de plage pour celles qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se faire bronzer vêtues de trois petits triangles de tissus ?

Cet argument relève du sophisme de la « pente fatale » : aujourd’hui le burkini, demain l’État intégriste. Il n’est basé sur aucun fait, tient pour acquis que les femmes se résument à des corps que des forces politiques choisissent ou non de couvrir et ne prend pas en compte la réalité de l’objet lui-même. En s’informant sur le burkini, on découvre en fait que, loin d’avoir été inventé par des imans fondamentalistes, il est dénoncé par ces derniers qui le trouvent trop révélateur. En fait, le burkini permet une libération des femmes qui le portent et constitue une brèche dans les règles vestimentaires strictes auxquelles ces femmes s’astreignent normalement. Le burkini : arme du djihad ? Non, pas vraiment...

On nous dit que les femmes qui affirment vouloir porter le burkini sont incapables de faire un choix librement consenti, car elles seraient « inconsciemment » asservies. On peut donc décider pour elles sans problème. Cet argument suppose que le libre arbitre chez les femmes se démontre par le fait qu’elles prennent les « bonnes décisions ». On laisse tranquilles les femmes qui ont choisi le bikini, ou tout maillot raisonnablement révélateur, car elles auraient prouvé qu’elles utilisent leur jugement de la bonne façon. Celles qui portent le burkini, au contraire, n’auraient pas de libre arbitre, car elles auraient fait le « mauvais choix ». N’avons-nous aucune confiance en le jugement féminin ? Les femmes n’auraient donc qu’un droit de libre choix à géométrie variable ? Je pense qu’on est un peu loin ici du droit à l’égalité que l’on prétend revendiquer pour ces femmes.

On nous dit que le burkini doit être interdit, car il participe de la réduction de la femme à sa seule dimension sexuelle. Ah oui ? Alors, j’imagine qu’on se prépare aussi à demander l’interdiction de la diffusion de la pornographie ; des bars de danseuses nues ; des restaurants avec serveuses sexy et des annonces de bière, car, vraiment, toutes ces choses participent aussi, et amplement, à réduire les femmes à leur seule dimension sexuelle. On pourrait aussi, tant qu’à faire, s’attaquer aux talons aiguilles, aux filles en bikini qui annoncent les rounds dans les championnats de boxe professionnelle, à celles que l’on voit faire des annonces en tenue moulantes dans les grands prix, aux « Casting party » [un producteur québécois offre de mettre des actrices XXX à la disposition d’hommes voulant « vivre l’expérience » d’une audition dans un film porno], aux concours de wet t-shirt, etc, etc, etc. Un proverbe très chrétien appelle cet argument : comment voir la paille dans l’œil de son voisin et pas la poutre dans le sien.

Ce n’est pas en stigmatisant des femmes, en les dénudant de force sur les plages ou en les agressant verbalement que nous ferons triompher nos valeurs.

Finalement, on nous dit, et ce n’est pas anodin, que le burkini est un symbole de « haine » à l’égard de la civilisation occidentale. Vraiment ? Une musulmane qui veut rester couverte à la plage le fait par « haine » des Occidentaux ? Pas par pudeur, par conviction religieuse ou plus prosaïquement parce qu’elle n’est pas suffisamment à l’aise avec son corps pour l’exposer ? Cet argument repose sur la prémisse que nous avons une connaissance infaillible de l’intention de la personne qui porte le vêtement en question ou encore qu’il nous est possible de connaitre cette intention indépendamment de la volonté déclarée de la première intéressée. Il s’agit d’une présomption non démontrée qui omet de prendre en compte l’origine du burkini ainsi que sa fonction première : permettre à des femmes de mieux profiter de la plage.

Nous vivons dans une période difficile où nous avons le sentiment que certaines personnes profitent des libertés offertes dans les démocraties libérales alors qu’elles s’opposent à elles. Il est tout à fait légitime de défendre ces libertés. Nous pouvons le faire en dénonçant les discours radicaux, en cessant d’appuyer les pays qui soutiennent ce type de discours et en luttant contre les inégalités. Mais qu’on se le dise, ce n’est pas en stigmatisant des femmes, en les dénudant de force sur les plages ou en les agressant verbalement que nous ferons triompher nos valeurs. Si nous ne pouvons pas mettre nous-mêmes en œuvre cet idéal de liberté, qui le fera ?

Rachel Chagnon

Professeure à l’UQAM et directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes.

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