À deux voix près, le représentant de la centrale ouvertement pro-Poutine et soutien affiché à « l’Opération spéciale » en Ukraine, n’aurait donc pas été élu. Cela aurait été une première au sein de l’OIT, une « humiliation », selon Frédéric Koller un journaliste Suisse qui a suivi ces élections. De fait, les candidat·es, préalablement identifiés et sélectionnés par les syndicats, « sont habituellement élus avec une centaine de voix ou sans opposition lors d’un scrutin à bulletins secrets ».
Dans le même sens, le journaliste relève que le représentant Chinois de la Fédération nationale des syndicats de Chine (FNSC-ACFTU), une autre gigantesque centrale syndicale (plus de 130 millions de membres) complètement inféodée au pouvoir, a été élu plus difficilement qu’à l’accoutumé : « [a]vec 88 voix, le candidat chinois, autre surprise, est lui aussi l’un des plus mal élus » des représentants des travailleurs et des travailleuses.
Un syndicaliste ukrainien a quant à lui été élu sans contestation, par consensus, comme membre suppléant au Conseil d’administration du BIT ; c’est également une première. Un représentant des syndicats du « territoire palestinien occupé », selon la formule de l’OIT a également été élu.
Trois éléments ressortent en particulier de ce résultat.
En premier lieu ce vote rappelle une nouvelle fois que, comme ailleurs, les positions politiques des travailleurs et des travailleuses du « Sud » ne sauraient être mécaniquement associées à celles de leur dirigeant·es. De fait, nombre de dirigeant·es du « Sud global » soutiennent ouvertement Poutine ou Xi Jinping, au nom d’une prétendue solidarité anticoloniale, d’une lutte contre l’impérialisme occidental ou, plus surement encore, de la promotion d’un « monde multipolaire », c’est-à-dire d’un monde aux multiples régimes autoritaires. A contrario, le vote des délégué·es syndicaux à l’OIT - à bulletin secret - révèle que nombre d’entre eux et elles ne sont pas dupes et que la classe ouvrière n’a rien à gagner à les soutenir. Il est donc faux de marteler, comme le font certain-es à gauche, que la « moitié de l’humanité » appuie Poutine et la colonisation de l’Ukraine par exemple [1].
Le nouveau représentant syndical ukrainien à l’OIT, Vasyl Andreyev, souligne en ce sens :
« On nous disait qu’il y aurait un vote du Sud global contre le Nord global. La réalité est différente. Le faible résultat du candidat russe montre qu’il y a de moins en moins de soutien aux va-t-en-guerre. »
Dans le même sens, Luca Cirigliano, un syndicaliste suisse également élu au CA, relève :
« Le score russe surtout, mais aussi le chinois sont une immense gifle. Cela démontre que la diplomatie du chéquier, pratiquée par Moscou et Pékin, n’a pas fonctionné. C’est un très bon signe pour l’OIT et le syndicalisme international. »
Le deuxième élément à retenir est beaucoup moins réjouissant pour le syndicalisme international. Ce vote a en effet été l’occasion d’apprendre que la Confédération syndicale internationale (CSI-ITUC) a ouvertement déconseillé au candidat Ukrainien de déposer sa candidature face à celle du candidat Russe de la FNPR ; celui-là même qui a finalement été élu de justesse au poste d’adjoint au Conseil d’administration. La CSI craignait une vague d’opposition du « Sud global » et la remise en cause de la solidarité internationale. C’est du moins ce qu’affirme Vasyl Andreyev, après le vote, regrettant alors de ne pas avoir déposé sa candidature malgré tout :
« C’est notre faute, explique-t-il, nous n’avons pas osé le faire. » Pourquoi ? Parce que les dirigeants de la Confédération syndicale internationale ont fait comprendre aux Ukrainiens qu’ils n’auraient aucune chance en raison du soutien du « Sud global » à la Russie et qu’il valait mieux « ne pas rompre la solidarité internationale ». « C’était prendre le risque de perdre dans un vote de blocs ».
Ainsi, au nom d’une présumée « solidarité internationale » des syndicalistes du « Sud global » avec la Russie coloniale, la direction de la CSI aurait demandé au représentant de travailleurs et travailleuses ukrainien·nes, qui vivent quotidiennement sous les bombes de Poutine, de retirer sa candidature au profit d’une centrale syndicale qui milite ouvertement pour coloniser l’Ukraine. Il est difficile de penser que la solidarité syndicale internationale sorte grandie d’une telle prise de position qui n’est ni plus ni moins qu’un renoncement à l’internationalisme et à la solidarité de la classe ouvrière au profit de calculs stratégiques pusillanimes.
Enfin, dernièrement, ce vote révèle à quel point au Québec et au Canada, comme ailleurs, la démocratie syndicale a des progrès à faire. À notre connaissance, aucune centrale canadienne n’a communiqué sur le sujet. Nous ne savons donc toujours pas quelles positions ont été défendues par nos représentant.es lors du vote à l’OIT, comme auparavant lors des discussions à la Confédération syndicale internationale (CSA-ITUC) et encore avant à la Confédération syndicale des Amériques (CSA-TUCA). Tout au plus, grâce à l’OIT cependant, on sait que Mme Lily Chang, ancienne trésorière du Congrès du travail canadien (CTC), a été élue membre permanente du Conseil d’administration de l’OIT comme représentante des travailleurs et travailleuses.
Reste maintenant à savoir quelles positions politiques elle défendra en notre nom et ce que revendiqueront nos directions syndicales à l’OIT au nom de l’internationalisme.
Martin Gallié
Le 14 juin 2024
Ce texte fait suite à un premier texte paru dans l’édition précédente de presse toi à gauche.
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