Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Bloc Québécois en remontée sur une pente glissante

Yves-François Blanchet nie les fondements de la lutte pour la démocratie et le pluralisme politique dont fait partie le combat pour la représentation proportionnelle et participe à dresser des murs entre les différentes communautés qui composent la société québécoise pour des fins électoralistes comme l’ont fait la CAQ et le PQ dont il était ministre sous le gouvernement Marois.

Photo : Presse canadienne

Mercédez Roberge explique dans son livre Des élections à réinventer [1] que l’écart entre la représentation demandée et celle obtenue n’est rien d’autre qu’une surreprésentation et une sous-représentation injuste des idées politiques et une falsification des résultats. L’absence d’équité dans la prise en compte des votes équivaut à limiter le pluralisme politique, et donc la démocratie.

S’inscrivant en faux devant cette réalité, Yves-François Blanchet se présente comme le représentant du Québec, défenseur des décisions de l’assemblée nationale du gouvernement Legault majoritaire. Il enfourche ainsi le cheval de bataille de la CAQ qu’a été la loi 21 sur la fausse laïcité, affirmant que c’est la volonté de 70% de la population du Québec. Dans les faits le gouvernement de la CAQ s’est retrouvé avec 74 des 125 sièges à l’Assemblée avec l’appui de seulement 37,4% des voix. Un tiers des 6,2 millions d’électeurs et électrices sont restés à la maison le 1er octobre, faisant en sorte que François Legault et la CAQ n’ont eu besoin que de 1,5 million de votes — ce qui représente moins d’un quart (24,5%) de l’électorat inscrit — pour s’assurer d’une majorité parlementaire. [2]

De plus, le taux des sondages varie à la baisse selon les types de signes religieux identifiés et lorsqu’on indique la possibilité de pertes d’emploi. (Ce qui n’a pas été le cas dans les sondages cités par Blanchet) De surcroît il est indécent de gouverner par sondage lorsque cela est basé sur des préjugés envers des minorités et ne peut par conséquent que leur causer des préjudices.

Il a affirmé au débat TVA que les électeurs du Québec avaient le choix d’opter "pour des femmes et des hommes qui [leur] ressemblent". Yves-François Blanchet peut bien prétendre le contraire mais considérant l’impact de la loi 21 envers les minorités, cette expression vient accentuer le clivage entre les personnes blanches francophones et les personnes provenant des communautés culturelles. Tout le monde comprend qu’il tente de s’accaparer de l’électorat de la CAQ en suivant la stratégie identitaire de Legault.

Yves-François Blanchet nie les fondements de la lutte pour la démocratie et le pluralisme politique dont fait partie le combat pour la représentation proportionnelle et participe à dresser des murs entre les différentes communautés qui composent la société québécoise pour des fins électoralistes comme l’ont fait la CAQ et le PQ dont il était ministre sous le gouvernement Marois.

Il se range derrière Trudeau en ce qui concerne l’appui aux grandes entreprises, même s’il dénonce sa façon de faire dans le cas de SNC Lavalin. Dans les faits il était d’accord pour que le gouvernement conclue un accord de réparation avec SNC-Lavalin et évite ainsi à la compagnie de subir un procès. « Le moins pire des scénarios, c’est d’attacher l’entreprise, de lui faire faire un maudit gros chèque, au lieu de dépenser une fortune dans le système de justice, et de sauver des jobs » affirmait-il. [3] La réaction des médias anglophones canadiens assaisonnée du Québec- Bashing habituel a certes engendré une réaction épidermique au Québec, comme s’il n’y avait pas de corruption dans le « Canada ». Mais cela n’empêche que le BLOC entérine le fait qu’il y a deux systèmes de justice, un pour les riches qui sont généralement des compagnies corrompues et un autre pour la population.

Pierre Beaudet nous instruit à cet effet : « C’était un secret de polichinelle que les juteux contrats négociés avec des États étrangers et des agences internationales dites de « développement » (comme la Banque mondiale) n’étaient pas obtenus autrement que par les « bons contacts. Les bonnes affaires en Libye étaient facilitées par le fait que, comme par hasard, l’époux (Edis Zagorac) de l’ambassadrice canadienne en Libye (Sandra McCardell), avait été embauché par SNC-Lavalin pour s’occuper de mousser les contrats. Mais c’est finalement l’enquête d’Élections-Canada a révélé que 18 cadres de la firme ont contribué illégalement à financer le Parti Libéral du Canada. » [4]

Au chapitre environnemental, Yves-François Blanchet refuse de s’opposer au 3e lien entre les deux rives du Saint-Laurent à Québec ni au projet de gazoduc GNL qui se rendra à une usine de liquéfaction à Saguenay. Il donne comme prétexte qu’on doit d’abord procéder à un rapport du BAPE. Ce n’est pas cependant ce qu’il avait fait lorsqu’il était ministre de l’environnement en 2013. Le gouvernement du Parti québécois avait commandé une étude mais juste avant l’exploitation, permettant ainsi l’exploration avant la tenue des audiences du BAPE. Il affirmait de façon cinglante : « Avant de faire un BAPE, il faut aller chercher l’information qui servira de base à cette consultation. Pour cela, j’ai besoin de données. Et mes données, ce ne sont pas des pancartes. On ne peut pas s’en remettre à des études qui pourraient contenir des éléments pas tout à fait exacts, et dont l’intention est possiblement plus de militer contre le pétrole que d’améliorer les connaissances scientifiques. » [5]

Le géologue Marc Durand demandait à l’époque au gouvernement une distance de sécurité plus grande que celle décrétée de 400 mètres, soit d’environ 1000 mètres, entre l’étendue maximale des fracturations et la plus proche source d’eau potable, « On voit que le règlement a été conçu comme une commande de Pétrolia » affirmait-il. Blanchet répondit qu’il ne visait pas à bloquer les forages (sic), mais voulait s’assurer qu’ils soient « sécuritaires ». Questionné sur son rôle de ministre de l’Environnement à ce moment il nous dit maintenant que l’île d’Anticosti n’était pas le paradis écologique que l’on décrit…à cause des chevreuils qui envahissent l’île. Cherchez l’erreur.

Yves-François Blanchet a compris qu’en se collant sur les politiques néolibérales de François Legault qui vient d’être élu dans la dernière année il pourrait en tirer les mêmes rentes, et sa montée dans les sondages le confirme. Mais le Bloc par définition n’est pas un parti qui vise à changer la société et ne vise ni ne peut, structurellement, prendre le pouvoir.

Son rôle de pression sur le gouvernement fédéral afin de représenter les intérêts du Québec est une négation de la réalité d’une société aux multiples facettes et aux composantes ethnoculturelles ainsi que du rapport de domination de la classe sociale dirigeante envers la majorité de la population.

En refusant toute perspective de travail pan canadien, il amplifie les écarts entre le mouvement social et le mouvement ouvrier du Reste du Canada et celui du Québec, ce qui n’aide en rien à tisser les liens nécessaires de solidarité contre la domination de l’État canadien.

Au final on se retrouve avec la même contradiction historique, en visant à démontrer qu’il peut influencer la politique fédérale, Blanchet comme Duceppe avant lui, joue le rôle de fou du roi et fait la preuve que le fédéralisme fonctionne bien.


[1Des élections à réinventer, Éditions Somme Toute, 2019, p 21

[2IRIS INTERDICTION DES SIGNES RELIGIEUX : QUEL CONSENSUS ?

[3Les travailleurs de SNC-Lavalin ne sont pas des bandits, Journal de Montréal, Jeudi, 28 février 2019

[4La saga de SNC-Lavalin ,Québec Inc. et l’État canadien, Pierre Beaudet, Presse-toi à gauche !

[5Anticosti : les forages sont souhaitables, dit le ministre Blanchet, La Presse, Paul Journet, 8 juin 2013.

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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