Édition du 17 décembre 2024

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Environnement

Lac-Mégantic : camouflage de la vérité derrière l'échec de la réglementation

OTTAWA, le 29 mai, 2014 - À la mi-mai, 10 mois après la catastrophe qui a frappé la ville de Lac‑Mégantic, les procureurs du gouvernement du Québec ont déposé des accusations criminelles contre trois employés de première ligne de la société Montréal Maine and Atlantic Railway (MMA), alors que les dirigeants, les administrateurs et les propriétaires de l’entreprise échappaient à toute poursuite.

Chaque suspect, qui a dû défiler en public, menottes aux poings, dans le plus pur style américain de la « marche du condamné », a été accusé de 47 chefs d’accusation de négligence criminelle ayant causé la mort.

Les fabricants qui ont chargé leur pétrole de Bakken explosif dans des citernes non sécuritaires ne font face à aucune accusation. Les expéditeurs qui l’ont classifié comme peu volatile alors que la vérité était tout autre ne font face à aucune accusation. Il en va de même pour les importateurs canadiens qui avaient l’obligation de s’assurer que le produit était classifié correctement.

Que voilà un récit édifiant pour ceux et celles qui espèrent obtenir justice grâce aux tribunaux. Les actions civiles en cours peuvent atteindre plus de personnes responsables, mais jusqu’à quel niveau pourront-elles grimper dans la pyramide de la responsabilité ?

Par exemple, les dirigeants canadiens et américains des transports de même que les cadres des industries pétrolière et ferroviaire se sont traîné les pieds pendant des années dans le remplacement des vieux wagons-citernes DOT‑111. Leurs propres bureaux de la sécurité des transports les ont avertis à de nombreuses reprises que ces wagons étaient sujets aux perforations et ne devaient pas être utilisées pour le transport de matières dangereuses.

Malgré cela, au moment de l’accident de Lac-Mégantic, plus de 80 pour cent des wagons-citernes transportant du pétrole brut en Amérique du Nord, dont les 72 wagons du train de la MMA, étaient des vieux DOT‑111. Il a fallu attendre jusqu’à la fin d’avril pour que Transports Canada ordonne l’élimination de tous ces vieux wagons-citernes défectueux… d’ici mai 2017.

Deuxièmement, à qui incombe la responsabilité du gouffre dans la réglementation qui a permis à la MMA de faire circuler ses trains de pétrole avec un seul membre d’équipage, facteur qui, comme l’a admis Transports Canada, « a contribué à l’accident et en a décuplé les conséquences », et au sujet duquel le Bureau de la sécurité des transports avait fait une mise en garde ?

L’émission Enquête de Radio-Canada a révélé que la MMA a demandé en 2009 à Transports Canada l’autorisation de faire circuler ses trains avec un seul membre d’équipage comme elle le faisait outre-frontière, dans le Maine. Les fonctionnaires du bureau de Montréal du ministère ont rejeté cette demande en raison de l’historique de l’entreprise en matière d’infractions à la sécurité et du danger potentiel pour les collectivités.

La MMA a soumis la même demande (un membre d’équipage) en 2011 et le bureau de Montréal l’a rejetée encore une fois. Le syndicat s’y est également opposé avec vigueur. La MMA s’est plainte auprès du lobby de l’industrie, l’Association des chemins de fer du Canada (ACFC). Un cadre supérieur de l’ACFC a promis de « faire quelques appels ».

La MMA a obtenu gain de cause en mai 2012…

Au sommet de la pyramide de la responsabilité se trouvent les dirigeants politiques qui mettent en place le régime de réglementation. Ils définissent le ton, les attentes et les lignes directrices à l’intention des autorités de réglementation. Ils choisissent les cadres dirigeants qui administrent le régime et, surtout, fixent les budgets des organismes de réglementation.

Le système a été handicapé par des règles vagues aux exemptions trop nombreuses, par une surveillance et une mise en application insuffisantes et par une relation trop commode avec l’industrie.

Le budget annuel de 14 millions de dollars de la Division du transport des matières dangereuses est gelé depuis 2010. Le budget de la Direction générale de la sécurité ferroviaire, qui est actuellement de 34 millions de dollars, a été réduit de 19 pour cent entre 2010 et 2014. Le nombre d’inspecteurs est demeuré le même au cours des 10 dernières années.

Pour mettre tout cela en contexte, soulignons que les budgets combinés de ces deux organismes de réglementation sont inférieurs aux 49 millions de dollars que le PDG du Canadien Pacifique, Hunter Harrison, a reçus en rémunération en 2012.

Avec seulement 35 inspecteurs de la Division du transport des matières dangereuses pour gérer la croissance exponentielle du volume de pétrole transporté par rail, le nombre de chargements de pétrole brut par inspecteur est passé de 14 en 2009 à 4 500 en 2013. La hausse du transport de pétrole par rail laisse prévoir que ce nombre pourrait doubler d’ici la fin de la présente année pour atteindre 9 000.

Enfin, nous devons tenir compte d’une culture réglementaire à Ottawa, qui considère que les règlements constituent un fardeau pour les entreprises plutôt qu’un mécanisme juridique visant à protéger l’intérêt public et qui exige que l’arrivée de chaque nouvelle règle soit contrebalancée par la suppression d’une règle existante.

L’enquête du Bureau de la sécurité des transports sur la catastrophe de Lac‑Mégantic, dont les résultats devraient être connus sous peu, fera vraisemblablement des révélations importantes sur les causes de l’accident. Il est toutefois difficile de s’imaginer que ses conclusions viseront les niveaux supérieurs de la pyramide de la responsabilité.

Alors, pendant qu’un ancien ministre des Transports est passé à un autre ministère, et que les hauts fonctionnaires responsables du dossier sont mutés ou ont pris leur retraite, que les dirigeants et les propriétaires de l’entreprise évitent les poursuites, et que tout continue comme d’habitude dans le transport du pétrole par chemin de fer, trois travailleurs du bas de la pyramide deviennent les boucs émissaires et risquent l’emprisonnement à vie.

La population de Lac-Mégantic a fait confiance au gouvernement pour prendre les mesures raisonnables afin d’assurer sa sécurité. Sa confiance a été trahie. Elle mérite de connaître la vérité sur la négligence de l’entreprise et l’échec de la réglementation pour lesquels elle a payé un prix tellement élevé.

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