Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

La suspension de la Présidentielle signe la mort du modèle démocratique sénégalais

C’est un véritable séisme politique au Sénégal. Pour la première fois depuis 1963, et l’élection de Léopold Sédar Senghor, le Sénégal reporte la Présidentielle. Le scrutin devait avoir lieu le 25 février, mais le président Macky Sall a pris la parole samedi 3 février à quelques heures de l’ouverture officielle de la campagne, pour annoncer l’abrogation du décret sur la convocation du corps électoral, une décision sur laquelle les députés doivent se pencher ce lundi matin dans un climat tendu.

Tiré de MondAfrique.

Plusieurs candidats importants comme Karim Wade, le fils de l’ancien président, ont été écartés de la compétition présidentielle par le Conseil Constitutionnel. Les députés ont voté l’ouverture d’une enquête parlementaire. Un choc pour les moins de 30 ans, qui représentent 75% de la population du Sénégal. Dès dimanche, ces jeunes qui ont affronté les forces de l’orre réclament massivement un changement radical de politique et le départ du gouvernement au pouvoir.

Le spectre d’une crise politique sans précédent plane sur le Sénégal. La volonté de Macky Sall d’imposer à tout prix son dauphin Amadou Ba comme successeur, les divisions entre les clans qui se partagent le pouvoir et l’instrumentalisation de la justice pour neutraliser les principaux opposants qui prétendaient se présenter a précipité le processus électoral sénégalais dans une impasse totale dont témoignent les heurts qui ont ei lieu, dèsce dimanche 4 février, à Dakar.

Rien n’est réglé par cette décision du président sénégalais de suspendre l’élection Présidentielle du 25 février. Tout peut encore arriver, et probablement le pire. Contraint et forcé par l’État profond sécuritaire de son propre pays de ne pas briguer un troisième mandat, le président sénégalais Macky Sall avait annoncé en juillet 2023 qu’il ne serait pas candidat. Ce retrait de la compétition présidentielle, dicté par le contexte de grandes violences et de vives tensions politiques, avait été accueilli par un ouf de soulagement tant au Sénégal qu’à l’étranger.

« La vitrine de la démocratie » d’Afrique francophone avait-elle sauvé son image ? Le spectre d’une crise socio-politique qui aurait faire entrer le pays dans le désordre était-il conjuré ? On voulait le croire. Mais hélas, tout porte désormais à penser que le Sénégal privé d’élections pourrait basculer dans une zone de profondes turbulences.

Un dauphin mal aimé

Dans l’euphorie de l’annonce de sa renonciation au troisième mandat, la coalition présidentielle Beno Bokk Yakar ( BBY en wolof, « l’Espoir en partage en français) s’en était remise à Macky Sall pour le charger de choisir le candidat le plus apte à lui succéder, entretenir son héritage et poursuivre son œuvre. Le piège s’est ainsi refermé sur le camp présidentiel. Dans la plus grande opacité, Macky Sall a sorti de son chapeau son Premier ministre Amadou Ba dont personne ne conteste ni au Sénégal ni à l’étranger les qualités de grand commis de l’Etat, un homme de dossiers qui a travaillé pendant une trentaine d’années dans l’administration des impôts.

Pour admirable qu’il soit ce profil-là, il ne suffit pas pour réussir en politique au Sénégal, à fortiori gravir les dernières marches du palais présidentiel. Amadou Ba n’est pas un « tueur », il n’a pas la réputation d’un « cogneur », comme ses prédécesseurs Abdoulaye Wade et Macky Sall, mais celle d’un homme de consensus qui cherche à arrondir les angles.

Et pour ne rien arranger à son sort, il n’est pas un grand tribun qui adore les bains de foules. Résultat, les débuts trop timides de la pré-campagne du dauphin désigné de Macky font douter le camp présidentiel. Plusieurs figures emblématiques des 12 années de règne du président sortant ont déjà préféré prendre le large et seront candidats contre celui choisi par leur ancien mentor. Jusqu’ici fidèle parmi les fidèles de Macky Sall, son ancien ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, considéré naguère comme l’homme des basses œuvres du régime, sera candidat dissident de la coalition au pouvoir. Dans le doute sur la chance d’Amadou Ba à garantir la victoire, l’ancien Premier ministre (2014-2019) de Macky Sall et ancien Secrétaire général de la présidence de la République, Mohamed Boun Abdallah Dionne jouera lui aussi sa partition lors du scrutin du 25 février. Outre les « ennemis intérieurs », le dauphin de Macky devra affronter d’autres prétendants encore plus sérieux au fauteuil présidentiel tels que l’ancien Premier ministre Idriss Seck, arrivé deuxième en 2019, Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye, attendu à Dakar dans les prochains jours après, huit années d’exil au Qatar.

La France piégée

En pleine controverse sur la tenue de la présidentielle sénégalaise qui s’annonce très incertaine, Paris a choisi de dérouler le tapis rouge à la fin de l’année 2023 à Amadou Ba dans le cadre d’un séminaire gouvernemental franco-sénégalais. Le symbole d’un Premier ministre sénégalais-candidat posant tout sourire aux côtés de son homologue français Elisabeth Borne n’est pas inaperçu. Ce voyage, qui serait passé inaperçu hors contexte pré-électoral, a été perçu comme un adoubement d’Amadou Ba voire une ingérence française.

Les thèses de l’adoubement et de l’ingérence sont d’autant plus convaincantes que le président français Emmanuel Macron avait nommé en novembre 2023 son homologue sénégalais Macky, alors qu’il n’a pas encore quitté ses fonctions, envoyé spécial pour le Pacte de Paris sur les Peuples et la Planète (4P). L’opposant sénégalais Habib Sy du parti « Espoir et modernité » n’est pas allé du dos de la cuillère pour « fustiger une France qui n’a toujours rien compris » aux subtilités de la vie politique de ses anciennes colonies africaines. Même si on peut considérer que Paris n’a pas mesuré la confusion entre les agendas d’Amadou Ba Premier ministre et Amadou Ba candidat à la présidentielle, la réception en grandes pompes de celui-ci à Paris dans le contexte actuel au Sénégal est une démarche à tout le moins imprudente.

Cette posture est, en tout cas, la preuve que Paris n’a pas tiré les leçons des violences politiques qui ont secoué le Sénégal en mars 2021 et juin 2023. Dix des quatorze magasins du groupe français Auchan avaient, à cette époque, été pillés à Dakar par des émeutiers qui s’en étaient également pris aux stations-service Total et aux boutiques Orange.

La France d’Emmanuel Macron en recevant si chaleureusement le dauphin désigné mais peu charismatique, Amadou Ba, est une erreur supplémentaire de la diplomatie française en Afrique.

L’armée en embuscade

Si le président sortant a réussi à imposer sans grands remous son Premier ministre à sa coalition, tout indiquait qu’il pourrait en être autrement auprès des électeurs sénégalais. Comme si son bilan seul ne suffisait pas à faire élire son dauphin, Macky a cherché à lui baliser la route de la victoire en « « neutralisant » Ousmane Sonko, son opposant le plus en vue du moment. Il a ainsi fait dissoudre en juillet 2023 sa formation politique le Parti des patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF).

Contre toute attente, le président sortant a limogé en novembre 2023 les 12 membres de la Commission électorale nationale autonome (CENA) et porté à sa tête Abdoulaye Sylla, un inspecteur général d’Etat à la retraite, qu’il espère plus malléable que le président remercié Doudou Ndir.

Malgré deux décisions de justice rendues par le tribunal de Ziguinchor en octobre 2023 et celui de Dakar en décembre 2023, la direction générale des élections (DGE), qui relève du ministère de l’Intérieur, refuse toujours de réintégrer Ousmane Sonko dans les listes électorales. Cette volonté de forcer le destin présidentiel de son dauphin est un pari risqué et incertain pour Macky Sall. Les violences politiques de mars 2021 avaient éclaté lors de l’inculpation d’Ousmane Sonko pour une affaire de viol présumé. Celles de juin 2023 s’étaient produites après la condamnation de ce dernier à deux de prison pour « corruption de jeunesse », après l’abandon des charges pour viol, ont fait au moins 20 morts.

Dans le contexte d’une Afrique de l’Ouest frappée par une vague de coups d’Etat militaires et au regard du niveau inédit de tensions politiques dans le pays, les yeux étaient rivés sur l’armée sénégalaise. Appelée en renfort des forces de sécurité intérieure (police, gendarmerie) très largement débordées, l’armée a eu la prudence de n’a pas trop s’avancer dans la confrontation entre Macky et ses adversaires, acceptant seulement de déployer quelques blindés de l’armée de terre dans les rues de Dakar. Les scènes montrant des manifestants fraternisant avec des soldats aux pieds des blindés, largement diffusés sur les réseaux sociaux, ont finalement alerté le pouvoir. Méfiant, le président sénégalais avait alors remanié la hiérarchie militaire en précipitant le départ du chef d’état-major Cheikh Wade, dont le commandement n’était pas encore terminé, et son remplacement par le général Mbaye Cissé, qui n’est autre que le chef d’état-major particulier de Macky Sall.

Rien n’indique, toutefois, que cette reprise en main de la hiérarchie militaire suffise à servir d’assurance-vie à Macky Sall, si demain il devait persister dans sa volonté de contourner la volonté populaire.

A trop vouloir garantir ses arrières, Macky Sall faisait le pari hautement risqué de quitter le pouvoir sans crise post-électorale. Cette tentative est pour l’instant vouée à l’échec et entraine le pays vers l’inconnu.

Nicolas Beau

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Nicolas Beau

Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l’Institut Maghreb (Paris 8) et l’auteur de plusieurs livres : "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)

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