Édition du 25 mars 2025

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Asie/Proche-Orient

Iran : Entretien avec Frieda Afary 2e partie

La rébellion iranienne, le rôle de la Russie et la responsabilité des intellectuels

Dans cette partie de l’entretien, la socialiste et féministe irano-américaine, traductrice et écrivaine Frieda Afary parle du plus récent soulèvement féministe et anti-autoritaire dans le pays, ainsi que de l’invasion russe de l’Ukraine et des défis pour les mouvements progressistes mondiaux.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Dans la première partie de cet entretien, publiée précédemment, Frieda donne une explication historique et structurelle détaillée de la manière dont les fondamentalistes islamiques sont arrivés au pouvoir en Iran, y compris une évaluation critique du rôle que les forces de gauche iraniennes ont joué dans ce processus en se concentrant exclusivement sur l’opposition à l’impérialisme occidental.

Quelle est la relation entre les revendications féministes, politiques et socio-économiques dans la dernière vague de protestations ?

Il y a beaucoup de colère non seulement parmi les femmes contre le hijab obligatoire, mais aussi de la part de la grande majorité de la population dans son ensemble qui ne pense plus que le hijab devrait être obligatoire. Les gens sont également en colère à cause de la crise économique et de la famine à laquelle ils sont confrontés, car ils ne sont pas en mesure de fournir à leurs familles suffisamment de nourriture, de vêtements, de logements et de soins de santé. Les minorités nationales telles que les Kurdes, les Arabes et les Baloutches font l’objet d’une discrimination de la part de l’État. Mahsa Amini était une femme kurde et elle est devenue le symbole de l’insatisfaction et de la souffrance des femmes en Iran depuis plus de 40 ans. En 2022, des manifestations ont eu lieu à Téhéran, au Kurdistan et dans tout le pays pour protester contre le hijab imposé. Les gens ne demandaient pas seulement la fin du hijab obligatoire. Ils demandaient également la fin de la République islamique, la fin de la brutalité de l’État et de la police, la fin des arrestations, la fin de la violence sexiste, de la répression et de la tyrannie.

Les personnes qui participent à ce mouvement actuel sont très jeunes. La majorité des manifestants du mouvement « Femme, vie, liberté » ont entre 15 et 19 ans. Il s’agit de lycéen·es, d’étudiant·es et de nombreux jeunes hommes et femmes au chômage. C’est un facteur très important : ce sont des jeunes. L’autre facteur très important est qu’il s’agit de jeunes qui sont connecté·es au monde par l’intermédiaire d’Internet et qui ont certaines attentes quant à leur avenir qui ne sont pas satisfaites.

Les manifestations les plus récentes ne concernaient pas seulement les droits des femmes et la lutte contre la dictature conservatrice, mais soulevaient également la question des droits des minorités ethniques. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Mahsa Zhina Amini était kurde, ce qui souligne le fait que les Kurdes sont une minorité nationale dont les droits ont été bafoués. Les minorités nationales en Iran comprennent également les Arabes dans le sud du pays et les Baloutches dans le sud-est de l’Iran, à la frontière avec le Pakistan. Il y a aussi les Turkmènes et les Azéris. De toutes les minorités nationales que j’ai mentionnées, les Azéris sont mieux intégrés dans le système. Il y a eu un certain nombre d’Azéris très influents dans l’histoire iranienne et au sein de la République islamique. En ce qui concerne les minorités nationales, des droits très fondamentaux leur ont été refusés, comme le droit d’utiliser leur langue comme langue d’enseignement et comme langue de l’administration, le droit de contrôler les ressources dans les régions où elles vivent – comment elles sont utilisées, quel est l’impact sur l’environnement, qu’advient-il des bénéfices. Telles sont les principales revendications – elles veulent le respect de leur culture, le droit de parler leur langue, le droit de contrôler leurs ressources et le droit de ne pas faire l’objet de discriminations. Elles ne demandent pas la séparation, mais elles veulent un système fédéraliste qui permettrait un certain niveau d’autonomie dans leurs régions.

L’un des problèmes soulevés contre l’autonomie est que la région où vivent la plupart des Kurdes, dans le nord-ouest, compte également beaucoup d’Azéris, et qu’il y a eu des conflits entre les Kurdes et les Azéris. Par exemple, on dit qu’en cas de fédéralisme, comment gérer le conflit entre les Kurdes et les Azéris ? Mais je pense que les Kurdes et les Azéris ont fait valoir que ces questions pouvaient être résolues, parce que le principal problème est qu’iels veulent être respecté·es, qu’iels veulent que leurs langues soient développées et qu’iels veulent un contrôle équitable des ressources.

Quelle est l’importance de l’élément nationaliste (kurde, sunnite/baloutche) dans les manifestations de 2022-2023 ? La résistance de la société ukrainienne a souvent été rejetée par certains représentants de la gauche mondiale comme contenant de nombreux éléments de droite et conservateurs. Existe-t-il de tels éléments dans la résistance iranienne ?

Il existe différentes tendances au sein des partis kurdes iraniens, dont certains ont formé des alliances avec d’autres puissances de la région. Toutefois, l’élément progressiste et le désir d’un système fédéraliste viable en Iran sont très forts chez les Kurdes iranien·es. Les éléments conservateurs et misogynes au sein de la direction baloutche ont été fortement critiqués par l’organisation féministe baloutche, Dasgoharan. Il existe également des éléments nationalistes conservateurs au sein de la population azérie et arabe. Toutefois, la majorité des minorités nationales iraniennes ne sont pas intéressées par le séparatisme.

Le nationalisme persan est très fort en Iran. Par exemple, Reza Pahlavi, le fils du roi déchu Mohammad Reza Pahlavi, a tenté de créer une alliance et de se présenter comme l’alternative pour accéder au pouvoir. Il a pu obtenir le soutien de Shirin Ebadi, la féministe iranienne qui a reçu le prix Nobel en 2004. Il a également reçu le soutien d’un leader kurde qui représente l’un des partis politiques kurdes, et d’un activiste bien connu de l’organisation des familles des personnes tuées dans l’avion ukrainien abattu par la République islamique en 2020. Cependant, il semble que l’alliance de Reza Pahlavi se désagrège en raison de ses pratiques autoritaires.

Nous avons également le nationalisme iranien des intellectuel·les iranien·nes qui ne sont pas monarchistes, mais qui veulent un Iran unifié. Iels sont très attachés à la promotion de la culture/langue persane et s’opposent à l’idée de promouvoir différentes langues. Iles affirment que cela conduira au séparatisme. Iels constituent un élément très fort de la société iranienne, qu’il ne faut pas négliger.

Ensuite, il y a bien sûr la République islamique elle-même, qui a la capacité de se débarrasser de son aspect fondamentaliste religieux et de devenir un État autoritaire laïque comme le régime d’Assad en Syrie. C’est une autre possibilité, qui serait également très basée sur le nationalisme perse/chiite. Ce sont toutes des possibilités très dangereuses.

Ces éléments nationalistes dans la société et les manifestations iraniennes ont-ils une influence sur la solidarité des mouvements féministes et de gauche dans le monde ? Y a-t-il des gens dans d’autres pays qui disent qu’ils ne peuvent pas soutenir les manifestations en Iran parce qu’il y a des nationalistes dans le mouvement iranien ?

C’est une très bonne question. Heureusement, les militant·es iranien·es font beaucoup d’efforts pour se concentrer sur le fait qu’iels sont contre l’impérialisme occidental, pour les droits du travail et pour les droits des femmes. C’est pourquoi cet élément de nationalisme de droite, même s’il est présent et très dangereux, n’est toujours pas utilisé par la gauche occidentale pour dénigrer le mouvement iranien en ce moment.

Quelles sont, selon vous, les principales menaces qui pèsent actuellement sur le mouvement progressiste en Iran ? Y a-t-il des menaces à l’intérieur de la dynamique du mouvement ?

Je pense que les menaces extérieures sont certainement énormes le gouvernement lui-même et sa machine répressive qui est très puissante, et qui reçoit le soutien de la Russie et de la Chine. Poutine a même proposé d’envoyer des troupes en Iran peu après l’apparition du mouvement « Femme, vie, liberté » à l’automne 2022. Et je me demande si la Chine va envoyer des troupes en Iran pour défendre le gouvernement ? La Russie enverra-t-elle des troupes en Iran à un moment ou à un autre ? C’est une préoccupation majeure, sans parler de la puissance militaire du régime lui-même.

Sur le plan intérieur, je pense que le nationalisme iranien des monarchistes et des nationalistes laïques constitue une menace. Je dirais même que les nationalistes laïques sont encore plus menaçants que les monarchistes.

S’il n’y a pas de reconnaissance des droits des minorités nationales, pas de système alternatif qui prenne en compte les droits de toustes et en particulier des femmes et les préoccupations environnementales au sein de chaque identité nationale, il pourrait y avoir des combats entre les différentes régions du pays.

Quel est le programme positif de la résistance iranienne ? Quels sont les points négociés et quel est le cours de son développement en général ?

J’ai essayé de résumer la vision positive qui a été exposée par les militantes féministes iraniennes au cours des derniers mois dans mon article « This International Women’s Day, Iranian Feminists Are at the Front Lines » (Cette journée internationale de la femme, les féministes iraniennes sont en première ligne). Cet article s’appuie sur la Déclaration des revendications minimales des syndicats iraniens indépendants et des organisations de la société civile. Cette déclaration a été publiée le 14 février et a été approuvée par les principaux groupes progressistes, syndicaux, de défense des droits des femmes et de certaines minorités nationales du pays. La déclaration dit ceci :

«  Les manifestations fondamentales qui ont éclaté aujourd’hui, organisées par les femmes, les étudiant·es·des universités et des lycées, les enseignant·es, les travailleurs et les travailleuses, les personnes en quête de justice, les artistes, les homosexuel·les, les écrivain·es et la majorité du peuple opprimé d’Iran, lieu après lieu, du Kurdistan aux provinces du Sistan et du Baloutchistan, ont attiré un niveau de soutien international sans précédent. Ces manifestations s’opposent à la misogynie, à la discrimination fondée sur le sexe, à l’insécurité économique permanente, à l’asservissement de la main-d’œuvre, à la pauvreté, à la misère, à l’oppression de classe et à l’oppression fondée sur la nationalité et la religion. Il s’agit d’une révolution contre toute forme de dictature religieuse ou laïque qui nous a été imposée, à nous, la majorité du peuple iranien, au cours du siècle dernier ».

Ce texte appelle à « la déclaration immédiate de l’égalité complète des droits des femmes et des hommes dans tous les domaines politiques, économiques, sociaux, culturels et familiaux. L’abrogation inconditionnelle de toutes les lois discriminatoires à l’encontre des identités et orientations sexuelles et de genre. La reconnaissance de la communauté arc-en-ciel « LGBTQ+ ». La dépénalisation de toutes les identités et orientations sexuelles. L’adhésion inconditionnelle aux droits des femmes à contrôler leur propre corps et leur avenir et la prévention de l’application du contrôle patriarcal ».

Par la suite, un groupe de militantes iraniennes des droits des femmes en Iran, dont la plupart avaient également participé à la rédaction de la déclaration précédente, a publié une déclaration à l’occasion de la Journée internationale de la femme, dans laquelle elles soulignent que la discrimination fondée sur le sexe est enracinée dans la poursuite du patriarcat capitaliste. Elles ont également confirmé un grand nombre des demandes formulées dans la déclaration des revendications minimales et affirment que le mouvement actuel est allé au-delà de la simple demande au gouvernement. Elles contestent toutes les institutions du pouvoir, qu’il s’agisse de la République islamique ou de la monarchie. Elles recherchent également des changements radicaux et structurels, notamment le droit de choisir sa tenue vestimentaire, un salaire décent, des droits complets en matière de reproduction et d’avortement, une éducation et des soins de santé gratuits, ainsi que la prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées.

Sur la base de ces déclarations, je dirais que si ce mouvement réussit avec ces militant·es à sa tête, il peut être extraordinaire. Mais le problème est que les personnes et les organisations qui ont publié ces déclarations n’ont pas précisé par quels moyens cela se produira. Je suis sûr qu’elles y travaillent en ce moment même en Iran, parce qu’elles doivent le faire dans la clandestinité et que nous n’en connaissons pas tous les détails. Mais il est clair que cela ne peut se faire que si les activistes iranien·es tendent activement la main à la solidarité avec les pays où l’Iran intervient militairement et politiquement. Il s’agit de l’Ukraine, de la Syrie, du Liban, de l’Irak, du Yémen et de l’Afghanistan. La dirigeante féministe iranienne Nasrin Sotoudeh a publié une déclaration de solidarité avec les Ukrainiens en mars 2022, juste après que la Russie a lancé son invasion à grande échelle.

Ces revendications semblent constituer un grand pas en avant pour la société iranienne. Dans quelle mesure sont-elles soutenues en masse, même au sein de cette mobilisation de masse, qui était assez désordonnée et très diverse ? Dans quelle mesure la déclaration sur les droits des LGBTIQ+ est-elle soutenue par le grand public ou au moins par les partisan·es du mouvement ?

Je pense qu’il y a une plus grande ouverture d’esprit, surtout parmi la jeune génération. Mais je ne sais pas dans quelle mesure la société dans son ensemble soutiendrait des droits légaux pour la communauté LGBTIQ+. Mais je pense que le fait que certaines organisations syndicales aient approuvé la déclaration est très important, et certaines des organisations signataires représentent des couches très profondes de la société. On m’a dit que le syndicat des travailleurs du bus n’avait d’abord pas accepté de soutenir la déclaration en février, mais qu’il avait changé d’avis quelques mois plus tard. C’est un très bon signe ! Ceux qui ont signé la déclaration du 14 février 2023 ne sont pas qu’une bande d’intellectuel·les. La société iranienne est vraiment en train de vivre des transformations majeures au niveau de la base, ce qui est très inspirant. Nous verrons bien. Je suis pleine d’espoir, mais je suis aussi très prudente.

Le régime fondamentaliste islamique et son oppression des femmes ont souvent été présentés comme quelque chose d’« orientaliste », de « religieux » et de « non moderne », par opposition aux sociétés « occidentales », « laïques » et « modernes » présumées progressistes. Quel est le rôle politique de cette dichotomie et comment les mouvements progressistes doivent-ils la surmonter ?

Ce qui se passe en Occident avec l’attaque contre les droits des femmes et les droits à la reproduction et à l’avortement montre vraiment qu’on ne peut pas dire que l’Occident s’occupe des droits des femmes et que l’Orient s’occupe de l’oppression des femmes. Nous assistons à un niveau incroyable de régression en matière de droits des femmes en Occident même. N’oublions pas non plus qu’en août 2021, l’impérialisme américain a conclu un accord avec les talibans après 20 ans d’occupation de l’Afghanistan, et leur a rendu le pouvoir, ce qui montre à quel point le gouvernement américain se soucie peu des droits des femmes.

Aujourd’hui, ce sont les femmes iraniennes qui mènent la cause du féminisme, tandis que la plupart des féministes américaines se contentent d’appeler à voter pour les démocrates et à modifier la composition des assemblées législatives des États, une réponse défensive qui est nécessaire dans l’immédiat pour maintenir les droits dont nous disposons, mais qui est totalement insuffisante et n’aborde pas la relation entre le patriarcat, le capitalisme et le racisme. Les féministes noires aux États-Unis sont les plus tournées vers l’avenir. Elles ont créé le mouvement pour la justice reproductive qui réclame non seulement le droit de choisir, mais aussi le droit à une existence digne, ce qui inclut les soins de santé, l’éducation et le logement. Les féministes noires des États-Unis font également partie des responsables et des penseuses du mouvement abolitionniste des prisons.

Au lieu de parler de la dichotomie entre l’Ouest et l’Est, nous devons parler de l’assaut contre les progrès en matière de genre à l’échelle mondiale, qui est l’une des caractéristiques de l’autoritarisme capitaliste du 21e siècle.

Avec les récentes attaques directes contre les droits des femmes dans de nombreuses régions du monde, cette dichotomie civilisationnelle pourrait être remise en question et se transformer en un continuum d’oppressions, causées par des facteurs connexes. Pensez-vous que les racines de ces niveaux et systèmes d’oppression très différents sont liées ? Ou existe-t-il des facteurs distincts, enracinés dans la religion (soit islamique ou chrétienne, soit juive ou hindoue), qui contribuent aux systèmes les plus oppressifs ?

Je dirais les deux : Nous souffrons de systèmes d’oppression apparentés – capitalisme, patriarcat, racisme – et nous avons également des facteurs distinctifs dans chaque pays, liés à la religion et à la culture, ainsi qu’à l’évolution historique, qui font que nous ressentons ces symptômes d’oppression apparentés parfois de manière différente.

Ces dernières années, nous avons assisté à des soulèvements contre l’autoritarisme, avec des femmes en première ligne ou très activement impliquées, que ce soit en Iran ou en Ukraine, au Myanmar ou au Soudan, ou encore dans le cadre du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis. Nous avons assisté à la montée en puissance du mouvement MeToo, qui s’attaque aux violences sexuelles. Ce mouvement a montré que même dans un capitalisme avancé, les femmes les plus prospères ne sont pas à l’abri des violences sexuelles. Pourtant, l’effort d’organisation du mouvement MeToo n’est pas allé au-delà de la dénonciation d’individus ou de la prise en charge de survivantes individuelles. Je pense que si le mouvement MeToo veut relever ce défi, il doit s’attaquer aux viols de masse en Ukraine, aux massacres de femmes par les talibans en Afghanistan ou aux viols de masse des femmes au Soudan. C’est vraiment là que le mouvement MeToo devrait se situer. Sinon, nous restons au niveau des cas individuels.

Dans les pays du Sud, la Russie est souvent perçue à travers le prisme du soutien de l’URSS aux mouvements anticoloniaux. Il est souvent ignoré ou dévalorisé que la Russie n’est pas l’URSS, que l’Ukraine faisait également partie de l’URSS et qu’il existe une différence radicale entre l’URSS et la Russie de Poutine. L’impérialisme russe et soviétique est souvent ignoré. Au début du XXe siècle, la Grande-Bretagne et l’empire russe se sont partagé l’Iran en fonction de leurs sphères d’influence. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’URSS et la Grande-Bretagne ont occupé l’Iran et l’URSS a essayé d’obtenir des concessions pétrolières après la guerre. Comment cette histoire est-elle rappelée et reflétée dans l’Iran d’aujourd’hui ? Comment l’URSS et la Russie sont-elles perçues par la société en général et par les mouvements progressistes ?

La Russie n’est pas perçue avec bienveillance. Comme vous l’avez mentionné, au 19e siècle, nous avons eu les traités de Turkmenchaii et de Gulistan par lesquels la Russie s’est emparée de certaines des terres qui sont actuellement considérées comme le Caucase et l’Asie centrale et qui faisaient partie de l’Iran à l’époque. Ensuite, pendant la révolution constitutionnelle iranienne de 1906-11, la Russie a joué un rôle très contre-révolutionnaire : Elle a bombardé le Parlement iranien et exécuté certains des dirigeants qui représentaient le mouvement constitutionnel et voulaient mettre en place des réformes. Le parti Tudeh, soutenu par l’URSS, a eu un impact très fort sur les intellectuel·les iranien·es pendant de nombreuses années. De nombreux intellectuel·es iranien·es étaient favorables au stalinisme et, plus tard, au maoïsme.

Comme je l’ai mentionné précédemment, cet héritage stalinien a eu des conséquences terribles pour l’Iran car, pendant la révolution, la majorité des intellectuel·les de gauche affirmaient que l’ennemi principal était l’impérialisme américain et qu’il fallait donc être plus doux avec le fondamentalisme islamique. Bien sûr, nous avons vu ce que cela a donné. Le parti Tudeh a prôné le soutien aux islamistes jusqu’en 1983, date à laquelle leurs dirigeants ont été arrêtés et certains exécutés. La Russie vend des armes et des centrales nucléaires à l’Iran depuis une trentaine d’années. Même sous le Shah, il existait des relations. Toutefois, avec la République islamique, la Russie est devenue un allié majeur. L’Iran vend désormais des drones et des missiles à la Russie pour bombarder l’Ukraine et construit une usine de drones près de Moscou. Toutes ces questions font de la relation entre l’Iran et la Russie un sujet très important.

La majorité du public iranien voue une haine certaine à la Russie et à Poutine, et soutient les Ukrainiens.·e En ce qui concerne la gauche iranienne, malheureusement, beaucoup d’entre eux continuent à penser que la guerre en Ukraine a été déclenchée par l’OTAN et que si la lutte des Ukrainien·es pour l’autodétermination été soutenue, cela équivaudrait à défendre l’OTAN. Mais encore une fois, ce n’est pas un point de vue monolithique. Il y a quelques mois, trois membres de la gauche ont été interviewés par le rédacteur en chef du site web de gauche iranien Critique of Political Economy. L’un d’entre elles/eux, Kamran Matin, un intellectuel kurde, a fermement soutenu la lutte ukrainienne pour l’autodétermination et a complètement remis en question la thèse selon laquelle la guerre a été déclenchée par l’OTAN et que si nous soutenons l’Ukraine, cela équivaudrait à ne pas critiquer l’OTAN. Les deux autres, Saeed Rahnema et Yassamine Mather, avaient un point de vue différent.

Le soulèvement ukrainien de Maïdan en 2014 a été suivi par l’annexion de la Crimée par la Russie et par la guerre qui a commencé dans la partie orientale du pays, ainsi que par une politique néolibérale prédatrice promue par le nouveau gouvernement ukrainien. Cela a poussé certaines parties du mouvement de gauche dans l’espace post-soviétique à suivre l’idée que ce type de soulèvement populaire contre un régime autoritaire n’est pas bon et qu’il faut s’en tenir éloigné. Dans le cas de la Biélorussie, par exemple, lorsqu’il y a eu une grande manifestation à l’été 2020, une partie de la gauche post-soviétique a dit : nous ne pouvons pas soutenir cela parce que cela mènera au néolibéralisme et à la guerre. Y a-t-il quelque chose de similaire en ce qui concerne le printemps arabe ? Comment la gauche ou certaines sections de la gauche le reflètent-elles dans la région ? Existe-t-il un fantôme du printemps arabe ?

En Iran, ces dernières années, de nombreux intellectuels disaient : Oh, si nous lançons un mouvement et appelons à la fin de la République islamique au lieu de passer par des réformes, cela ne fera qu’entraîner des troubles et un autre Printemps arabe raté. Mais en fin de compte, les jeunes qui ont lancé le mouvement « Femme, vie, liberté » n’ont pas eu peur et ont dit « Non, nous voulons une révolution. Les réformes ne suffisent pas ». Je ne pense donc pas que l’expérience du Printemps arabe empêchera les gens de vouloir une transformation révolutionnaire. Mais ce qui me préoccupe, c’est que les intellectuel·les ne font pas vraiment leur travail. Il ne suffit pas d’écrire des livres et des articles. Nous devons parler du lien entre les idées libératrices et la forme et le contenu des organisations, ainsi que de la nécessité d’avoir des organisations dans lesquelles les gens apprennent à devenir des individu·es critiques. Pour moi, c’est la responsabilité la plus importante des intellectuels.

Que pensez-vous de la dynamique du mouvement progressiste, de gauche et féministe mondial au cours des dernières décennies et plus particulièrement aujourd’hui, face à des développements mondiaux extrêmement difficiles ?

Je suis assez inquiète. Après l’effondrement de l’Union soviétique, il y avait tant d’espoir de voir l’effondrement de la gauche stalinienne et maoïste et la montée d’une gauche sociale sérieuse et réfléchie à l’échelle mondiale. Dans certains endroits, des efforts importants ont été déployés, mais je pense que, dans l’ensemble, cela ne s’est pas produit. Ce n’est pas seulement que la gauche occidentale se concentre principalement sur la lutte contre l’impérialisme américain. Il semble aussi qu’en général, ceux qui font partie de la gauche ne peuvent pas rester indépendants de tous les pôles du capital. Ils sont aspirés par l’un ou l’autre de ces pôles.

Beaucoup de gens espéraient beaucoup du Printemps arabe, mais il s’est transformé en désastre, en partie à cause du sexisme interne et de la discrimination contre les minorités, et en partie à cause de la réduction de l’anticapitalisme à une simple opposition à Wall Street ou à la défense d’une forme de capitalisme d’État. Le printemps arabe s’est également effondré parce que le soulèvement syrien n’a pas reçu le soutien dont il avait besoin pour lutter contre le régime brutal d’Assad. Une fois de plus, ce discours sur « l’impérialisme anti-américain » a incité de nombreuses personnes de gauche à soutenir le régime d’Assad.

En ce qui concerne les femmes et le féminisme, je garde beaucoup d’espoir grâce aux soulèvements que nous avons vus émerger ces dernières années, notamment en Ukraine, en Iran, au Soudan et au Myanmar. Dans tous ces cas, les femmes sont activement impliquées et, dans certains cas, en première ligne. C’est vraiment significatif. Mais le féminisme n’est pas non plus à l’abri de l’attraction des pôles du capital. Dans mes écrits et mon activisme, j’essaie de rassembler les féministes qui veulent vraiment assumer la responsabilité des défis auxquels nous sommes confrontés, en essayant de faire le travail philosophique et organisationnel pour développer une alternative. Je dois avoir de l’espoir, car sinon, je ne vois pas comment nous pourrions arriver à quelque chose.

Frieda Afary interviewée par Oksana Dutchak
https://commons.com.ua/en/intervyu-z-fridoyu-afari-druga-chastina/
Traduit avec http://www.DeepL.com/Translator (version gratuite)

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