Édition du 5 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La proposition de Pierre Curzi sur une alliance électorale, Une solution inadéquate face à de réels problèmes

Dans son « appel à la nation » [1], Pierre Curzi soulève des problèmes réels en vue des prochaines élections au Québec mais avance une solution inadéquate pour s’en sortir. La tenue de primaires pour choisir une seule candidature souverainiste par circonscription au prochain scrutin n’est pas un projet mobilisateur et confier à Pauline Marois les rennes d’un futur gouvernement de coalition l’est encore moins.

Toutefois, force est d’admettre que nous faisons face à deux problèmes évidents en prévision de la prochaine campagne électorale : la division du vote et l’abstentionnisme d’une grande partie de la population. La combinaison de ces deux problèmes nuit à l’émergence d’un changement significatif quant à la composition de l’Assemblée nationale et par conséquent favorise le maintien au pouvoir d’un parti corrompu qui n’en a que faire des intérêts du plus grand nombre, parlant bien sûr ici du Parti libéral du Québec dirigé par Jean Charest.

La division du vote favorise les libéraux

Pierre Curzi a raison quand il dit que les libéraux sont dangereusement avantagés par la répartition démographique des allégeances politiques de la population québécoise, faisant en sorte qu’ils sont en théorie assurés de 35 à 42 sièges à l’Assemblée nationale. Il est vrai en général que « lorsqu’une circonscription est composée de moins de 70 % de francophones, un candidat libéral du PLQ s’y fait élire presque assurément. » Ce qui fait en sorte, comme il le dit, que « les libéraux n’ont qu’à faire élire que 21 à 28 autres députés » pour former un gouvernement majoritaire.

La carte électorale et le mode de scrutin actuel sont principalement responsables de cet état de fait et nous devrons composer avec lors du prochain scrutin… qu’on le veuille ou non et ce, malgré le fait que de plus en plus de Québécois-e-s comprennent que notre système électoral fait en sorte que leur représentation à l’Assemblée nationale ne correspond pas à la pluralité et à la diversité des opinions politiques au Québec. Il faut donc selon moi contourner ces obstacles par une stratégie momentanée, le temps de la campagne électorale, et concertée, c’est-à-dire qui implique tous les partis qui partagent la volonté de faire du Québec un pays.

Faire sortir le vote des abstentionnistes

Pierre Curzi admet cependant, et je suis aussi d’accord avec lui, que « ce n’est pas la division du vote qui a permis aux Libéraux de gagner en 2008 mais l’abstentionnisme ». Comment alors faire sortir le vote des Québécois-e-s qui ne se rendent pas aux urnes et qui pourraient faire réellement changer la composition future de l’Assemblée nationale si c’était le cas ?

Amir Khadir a raison quand il dit que « pour combattre l’abstentionnisme, il faut offrir à la population des choix politiques diversifiés et clairs. » [2] Toutefois, si Québec solidaire offre ces choix depuis six ans, et très bien à part cela, il n’arrive pas à faire sortir le vote et il obtient encore trop peu d’appuis populaires dans les urnes pour espérer à court terme briser l’hégémonie des vieux partis et devenir une force parlementaire capable de changer les règles du jeu qui avantagent ces mêmes partis. L’appui que Québec solidaire obtient dans les sondages depuis l’élection de 2008 ne permet malheureusement pas de croire qu’il en sera autrement au prochain scrutin.

Soyons humbles et admettons que des obstacles structurels, comme le contrôle absolu des médias par les tenants de l’idéologie dominante, et organisationnels, comme son manque de ressources, nuisent à Québec solidaire pour renverser, seul de son côté, la vapeur. Pour le moment, aucun parti politique n’arrive à offrir à la population, à ses yeux et non aux miens, un projet suffisamment mobilisateur et rassembleur qui permette de croire que la participation au prochain scrutin augmentera au point de rendre ineffective la division actuelle du vote.

Je suis aussi d’accord avec Pierre Curzi quand il dit : « Il y a certes une mobilisation contre les libéraux dans le Printemps érable québécois, mais rien ne garantit que les abstentionnistes se présenteront aux urnes. » En effet, dans l’histoire récente du Québec, on observe que les crises n’ont pas jeté à la porte les gouvernements qui ont dû les gérer ou encore qui les ont provoquées. Rappelons-nous qu’en 1973 (après la Crise d’octobre de 1970) ce sont les libéraux de Robert Bourassa qui ont été réélus et en 1985 (suite au décret réduisant de 20% les salaires des employé-e-s du secteur public) le Parti québécois a conservé le pouvoir. Dans le dernier cas, le taux de participation aux élections a même diminué quelque peu [3].

Plusieurs facteurs expliquent l’abstentionnisme mais l’absence d’une « offre politique » à la population qui corresponde à sa volonté de changement et à une façon de faire réellement « autrement » de la politique en fait assurément partie. Il faut donc, selon moi, que celles et ceux qui aspirent à représenter les Québécois-e-s osent innover et leur présentent un choix différent qui aille au-delà de la partisannerie tant dénoncée avec des propositions concrètes qui les incitent à aller voter.

Un pacte tactique pour contourner la division du vote

La solution imaginée doit donc à la fois contourner la division du vote et contribuer à augmenter significativement le taux de participation aux élections. Il faut selon moi envisager une forme de pacte tactique entre les différents partis souverainistes qui, dans un certain nombre de circonscriptions, éviterait la division des votes au profit des libéraux et favoriserait l’élection d’une candidature issue de ces mêmes partis.

La forme d’un tel pacte tactique doit au départ garantir à chaque parti politique qu’il y trouvera son compte afin que tous ceux-ci y voient des avantages. La tenue de primaires, telle que proposée par Pierre Curzi, n’atteint pas cet objectif puisqu’il se pourrait que les plus petits partis, comme Québec solidaire et Option nationale, n’arrivent à faire élire une seule candidature lors des primaires qui donneraient droit de vote aux membres seulement, le PQ profitant de son membership plus élevé pour faire élire ses propres candidat-e-s dans toutes les circonscriptions où se tiendraient de tels choix.

Selon moi, un pacte tactique qui ferait en sorte que les partis impliqués acceptent de ne pas présenter de candidatures dans un certain nombre de circonscriptions, au profit d’un seul autre parti en échange d’une situation similaire dans d’autres circonscriptions à leur propre profit, a plus de chances de récolter l’adhésion de ces partis qui se divisent le vote francophone.

Voici une formule à laquelle j’ai réfléchie dernièrement : dans les 83 à 90 circonscriptions où les libéraux ne sont pas assurés de gagner, le Parti québécois, Québec solidaire et Option nationale se répartiraient un nombre de circonscriptions (54 dans le cas qui nous concerne – voir plus bas) équivalent à leur appui populaire dans les sondages (sur les 128 circonscriptions de la prochaine carte électorale). Cela ferait en sorte que chacun de ces partis n’aurait pas d’adversaires souverainistes dans le nombre suivant de circonscriptions :

Parti québécois : 38 (30%)
Québec solidaire : 13 (10%)
Option nationale : 3 (2%)

Ainsi, dans 42% des circonscriptions (54 sur 128), les libéraux et les caquistes n’auraient qu’un-e seul-e adversaire souverainiste alors que le vote fédéraliste se diviserait entre ces deux formations qui défendent dans les faits le statu quo par rapport à l’avenir constitutionnel du Québec. Ne serait-ce pas un joli retournement de situation ?

Une plate-forme électorale commune pour combattre l’abstentionnisme

Cette forme de pacte tactique, le temps des prochaines élections, est toutefois insuffisant pour combattre l’abstentionnisme et pourrait même, avouons-le, contribuer à décourager des électeurs-trices d’aller voter si le parti de leur choix, dans leur circonscription, n’y présente pas de candidature.

Pour atténuer cela, voire même éliminer cette possibilité, un tel pacte tactique devrait reposer sur un minimum de propositions mises de l’avant conjointement par les trois partis et qui seraient porteuses des espoirs de la population. Selon moi, ces propositions communes devraient garantir aux Québécois-e-s que :

question nationale : une Assemblée constituante représentative sera élue pour mener un vaste débat démocratique conduisant à la rédaction de la Constitution québécoise car l’avenir constitutionnel du Québec appartient au peuple ;
démocratie : le mode de scrutin sera réformée afin que chaque vote compte et que la représentation populaire à l’Assemblée nationale corresponde à la pluralité et à la diversité des opinions politiques au Québec ;
environnement : nos ressources naturelles seront protégées, exploitées de façon à assurer la protection de nos écosystèmes et que les bénéfices en découlant profitent aux Québécois-e-s, aujourd’hui et pour les générations futures ;
santé et éducation : la taxe-santé et la hausse des frais de scolarité seront annulés de façon à assurer le respect des droits de toutes et tous à des soins de santé et des services sociaux ainsi qu’à une éducation accessibles et de qualité ;

Ces quatre propositions pourraient constituer une plate-forme électorale minimale et commune sur laquelle s’entendraient les partis, acceptant de les défendre et de forcer le prochain gouvernement à les réaliser pour conclure le pacte tactique dont il a été question plus haut. En votant pour une candidature unique issue de ce pacte, les électeurs-trices des 54 circonscriptions concernées maximiseraient les chances de battre les libéraux et de faire progresser le Québec.

Un mal nécessaire pour l’intérêt supérieur du peuple québécois

Bien entendu, les trois partis politiques mentionnés présentent des différences notables et il s’en trouvera assurément pour souligner que ces différences rendent un tel pacte tactique électoral impossible, voire même contre-productif pour les intérêts partisans de ces mêmes partis. Dans la conjoncture actuelle cependant, il me semble nécessaire de dépasser ces intérêts pour placer ceux des Québécois-e-s en haut de la liste de nos considérations. La possibilité, bien réelle, que les libéraux appuyés par une poignée de députés caquistes, puissent diriger les destinées du Québec pour quatre autres années m’inquiète à un point tel que je suis prêt à réfléchir et à débattre d’une solution qui m’apparaît être un mal nécessaire.

Il ne s’agit nullement de cautionner l’ensemble des positions défendues par un autre parti que celui auquel nous adhérons, chaque parti conservant son entière autonomie programmatique. Il s’agit plutôt de reconnaître que la division du vote et le fort taux d’abstention aux élections sont deux problèmes réels qui favorisent la réélection d’un gouvernement qui a des prétentions nuisibles aux intérêts des Québécois-e-s. Notre système électoral actuel perpétue ces problèmes et face à l’impossibilité par la voie parlementaire de le réformer, il nous faut envisager une solution pour les contourner.

Un pacte tactique entre des partis disant avoir à cœur les intérêts de la population québécoise me semble une option qui irait en ce sens. Cela enverrait un message clair démontrant de notre volonté de « faire de la politique autrement ». Si un tel pacte s’appuyait sur une plate-forme électorale commune, ses propositions pourraient constituer un début de projet de société emballant et une base concrète pour inciter les électeurs-trices à aller voter.

Je suis conscient que mon point de vue n’est pas partagé majoritairement au sein de mon parti, Québec solidaire, et par la direction du Parti québécois. Je vous le partage bien humblement en espérant que nous pourrons en discuter sainement et en tout respect des opinions contraires. Finalement, je tiens à rappeler que peu importe l’issue de ces discussions, je continuerai de travailler au développement de Québec solidaire et à faire en sorte que le plus grand nombre de député-e-s solidaires soient élu-e-s lors du prochain scrutin général.

Solidairement.

Stéphane Lessard
Militant de Québec solidaire Granby
Ex-membre du Comité de coordination national (2006-2010)


[1.« Politique - Appel à la nation québécoise », Pierre Curzi, Le Devoir, 5 juin 2012, http://www.ledevoir.com/politique/quebec/351629/appel-a-la-nation-quebecoise.

[2« Lettre à mon ami Pierre Curzi sur la question des alliances électorale », Amir Khadir, 5 juin 2012, http://quebecsolidaire.net/actualite_nationale/lettre_a_mon_ami_pierre_curzi_sur_la_question_des_alliances_electorales_par_amir_khadir.

[3Comme les statistiques pour l’élection générale de 1970 ne sont pas disponibles sur le site Internet du DGEQ, il est impossible de comparer le taux de participation à ce scrutin par rapport à celui de 1973.

Stéphane Lessard

Stéphane Lessard, Ex-membre du Comité de coordination national de Québec solidaire (2006-2010)

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