Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

La lutte pour la défense des services publics est une lutte féministe sous plusieurs aspects

Discours de Mélanier Pelletier, responsable de la condition des femmes au Conseil central de Québec-Chaudière- Appalaches prononcé lors du panel 7 mars sur les Résistances féministes organisé par le Regroupement des groupes de femmes de la région de Québec.

 Ce sont majoritairement des femmes qui travaillent dans les services publics. Lutter pour de meilleures conditions de travail et de salaires dans les services publics, c’est lutter pour de meilleures conditions pour les femmes qui y œuvrent.

 Ce sont majoritairement des femmes qui utilisent les services publics. Les services publics concernent le care, les soins de la personne. Que l’on parle de santé, de services sociaux ou d’éducation, l’immense majorité du temps ce sont des questions qui, dans les ménages, sont de la responsabilité des femmes.

Qu’elles soient personnellement concernées ou que ce soit pour des proches, ce sont les femmes qui ont cette charge mentale.

Bref, elles y travaillent en majorité, mais même dans leurs vies personnelles, familiales, ce sont habituellement les femmes qui prennent soin des membres de la famille et qui veillent à l’éducation.

"Les femmes occupent 81 % des emplois en santé et services sociaux, 69 % en éducation et 59 % dans la fonction publique."*

"À noter également que la ségrégation professionnelle dans le secteur parapublic ne s’estompe pas avec le temps, bien au contraire. Les femmes sont passées de 58 à 69 % des effectifs du système public d’éducation entre 1987 et 2017 et elles sont passées de 74 à 81 % des effectifs du secteur public de santé et services sociaux sur la même période."*

En gros, dans l’administration québécoise (santé et services sociaux, éducation et fonction publique) les femmes sont majoritaires et plus présentes que dans d’autres secteurs comme le municipal ou les sociétés d’État. Non seulement les femmes sont majoritaires, mais on assiste à une plus grande ségrégation professionnelle : l’administration québécoise devient de plus en plus "féminine" au fil des années.

Or, en parallèle à cette féminisation de l’administration québécoise, on assiste à une stagnation des salaires précisément dans les secteurs qui se sont féminisés.

L’étude récente la plus pertinente est celle de François Desrochers et Éve-Lyne Couturier de l’IRIS de 2019 : Inégalités de rémunération entre les hommes et les femmes au Québec : L’impact de la ségrégation professionnelle du secteur public

En voici les conclusions :

Les femmes ont intégré le secteur public en plus grande proportion que les hommes, devenant majoritaires dans ce secteur dès 1988.

L’administration québécoise, qui regroupe les métiers traditionnellement associés aux femmes, compte la plus forte proportion de femmes à l’emploi (72,2 %) de même que le plus grand nombre de métiers à prédominance féminine.

Les professions de l’administration québécoise ont connu une stagnation de leurs salaires par rapport à l’IPC entre 2000 et 2017, accusant même un léger recul de leur pouvoir d’achat (1,2 %).

L’administration québécoise est le seul sous-secteur du secteur public qui a connu un tel recul du niveau de vie de son personnel entre 2000 et 2017. Les administrations municipales et fédérales, le secteur universitaire, les entreprises publiques de même que le secteur privé ont tous bénéficié de hausses de salaire supérieures à l’IPC sur la même période (de 11 % en moyenne).

Cette stagnation des salaires témoigne du fait que les mesures d’austérité des 18 dernières années ont touché plus durement les femmes, mais également du fait que l’État employeur a usé et abusé de son pouvoir législatif en limitant sévèrement le droit de grève et en imposant plus souvent qu’à son tour les conditions de travail du personnel du secteur public par décret.

Cette stagnation des salaires dans l’administration québécoise peut expliquer, en partie, le plafonnement du rattrapage salarial des femmes par rapport aux hommes au Québec, alors que l’écart de la rémunération hebdomadaire est toujours d’environ 20 % et que l’écart de la rémunération horaire se situe toujours à environ 10 %.

Et ça ne risque pas d’aller en s’améliorant. Actuellement, les « offres » du gouvernement pour les travailleuses du secteur public sont de 9 % sur 5 ans et un forfaitaire de 1 000 $.

La beauté de la CSN c’est qu’on regroupe autant du public que du privé. On voit passer toute sorte d’ententes de principe dans toute sorte de secteurs. Dans le privé aussi on manque de bras et on a de la misère à recruter. Il y a de plus en plus de boss qui appellent pour ouvrir les conventions collectives et augmenter les salaires avant le temps pour retenir leur monde, recruter et réussir à faire leurs contrats.

Ce n’est pas rare qu’on voit du 9 % et plus… la première année. Pas plus tard qu’hier soir, les syndiqué-es du Métro Donnacona ont adopté une entente de principe. Leur nouvelle convention collective prévoit des augmentations rétroactives de 10,5 % la première année et de 11 % pour les cinq années suivantes. On parle d’une épicerie, pas de l’entrepôt. Il est important de noter que ce n’est pas le secteur avec le meilleur rapport de force.

Dans Chaudière-Appalaches, nous avons eu quelques règlements dans les derniers mois. Chez Sanimax, les membres sont allés chercher 21,25 % sur 4 ans, dont 11,5 % de rétro. À la Davie, les travailleurs sont allés chercher entre 20 % et 45 % et un mécanisme de protection contre l’inflation pour les 8 prochaines années. À Bibby Ste-Croix, où le patron a demandé de rouvrir la convention collective avant le temps, les travailleuses et les travailleurs ont eu 24 % sur 4 ans, dont 19 % à la signature.

Ah, c’est sûr que c’est du privé. C’est sûr que ce n’est pas exactement des PME, mais le gouvernement non plus ce n’est pas une PME. Quelle est la différence avec le secteur public ? Il y en a deux en fait. La première c’est que ce sont des secteurs traditionnellement masculins (sauf l’épicerie) et la deuxième c’est que leur droit de grève est à peu près intact. Bien sûr, ça peut arriver des lois spéciales dans le privé (parlez-en aux gars de la construction), mais disons que c’est plus rare que dans le secteur public, surtout le secteur public québécois.

De plus, bien qu’il ne s’agisse pas de la négociation des conventions collectives du secteur public, il faut rappeler que le gouvernement tarde toujours à régler les plaintes de maintien de l’équité salariale pour des dizaines de milliers de travailleuses, notamment le personnel de bureau du réseau de la santé et des services sociaux. Dans ce secteur, il y a un réel ghetto de femmes, celles-ci représentant souvent plus de 95 % des salarié-es.

Après avoir eu un gain net pour les préposé-es en retraitement des dispositifs médicaux (PRDM) en juin dernier, la CSN a relancé la lutte pour le personnel de bureau du réseau de la santé et des services sociaux (un des, sinon le secteur le plus négligé du secteur public). Imaginez, ça fait plus de 12 ans que le litige perdure, 12 ans à attendre la justice la plus élémentaire.

Voici quelques informations plus précises sur les négociations du secteur public.

Déjà, il faut savoir que cette année, les centrales syndicales –la CSN, la CSQ et la FTQ—ont décidé de s’unir en Front commun pour la négociation. Un grand syndicat indépendant, l’APTS, a décidé de s’y joindre aussi. Ensemble, ces quatre organisations représentent une majorité des employé-es du secteur public soit 420 000 personnes œuvrant principalement en éducation, en santé et dans les services sociaux, dans les services gouvernementaux ainsi qu’en enseignement supérieur (les cégeps). Les conventions collectives viendront à échéance le 31 mars 2023.

Les négociations se déroulent essentiellement à deux endroits soit la table centrale pour tout ce qui concerne les matières monétaires (on parle ici de salaires, d’assurances, de retraites, de différents congés et de certaines primes) et aux tables sectorielles pour ce qui concerne surtout les conditions de travail et de pratique.

Les principales revendications du Front commun sont  :

• L’amélioration des conditions de travail et de pratique de même que nos conditions salariales ;
• Un enrichissement visant un rattrapage salarial général pour l’ensemble des personnes salariées ;
• Une protection permanente contre l’inflation.

Évidemment, il y a d’autres revendications, mais ce sont là les principales, celles qui concernent tout le monde. Évidemment, il va sans dire que l’amélioration des conditions de travail et de pratique implique un investissement massif dans les services publics et que cela a un impact direct sur la qualité des services.

La pandémie que nous vivons depuis deux ans aura permis de démontrer à l’ensemble des Québécoises et des Québécois à quel point le travail du personnel des services publics est crucial. Ils ont été là, à chaque instant, pour la population. Ils ont été les piliers qui ont permis à l’édifice social de rester debout, au détriment de leur propre santé, au détriment de leur vie. La démonstration de leur valeur n’est plus à faire.

Après des décennies d’austérité, de compressions et de modération salariale, après des années de pandémie à tenir à bout de bras les services à la population, il ne fait aucun doute que les demandes sont justifiées et qu’un rattrapage est essentiel pour assurer la pérennité des services publics. Bref, avec les salaires que le gouvernement offre et les conditions de travail qui prévalent, c’est de plus en plus dur de recruter. Tout simplement parce que les gens peuvent avoir mieux, avec une meilleure qualité de vie, ailleurs.

En terminant, on ne le dira jamais assez : la lutte des travailleuses et des travailleurs du secteur public est une lutte féministe. C’est une lutte féministe au premier chef parce qu’elle concerne surtout des femmes autant comme travailleuses que comme utilisatrices. C’est aussi une lutte féministe parce qu’elle concerne tellement de femmes dans un tel ghetto d’emploi que son issue aura un impact certain au plan macro sur les disparités entre les hommes et les femmes. En d’autres mots, si les employé-es du secteur public font des gains, ce sont toutes les femmes qui avancent, mais s’il y a des reculs, ce sont toutes les femmes qui reculent.

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