Édition du 19 novembre 2024

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Luttes sociales

La lutte des peuples indigènes d'Amérique du Sud

Le Forum social mondial de Belém (Amazonie, Brésil), qui s’est tenu du 26 janvier au 1er février 2009, a été marqué par la présence massive et l’énergie impressionnante des peuples indigènes des Amériques. Elle traduit le dynamisme des luttes menées par ces peuples, au cœur d’un affrontement politique, écologique et social avec les multinationales. Elle atteste aussi du niveau de convergence et d’articulation continentale atteint par ces mouvements.

Des milliers de délégués des communautés de la région andine, de l’Amérique centrale et de l’Amazonie ont participé aux débats et approuvé une résolution qui dénonce sans ambiguïté l’exploitation et l’oppression mondiale capitaliste également responsable du réchauffement global menant à une catastrophe planétaire. Pour eux, « la crise de modèle de développement capitaliste […] est totale et nous dirige vers la plus grande crise socio-environnementale et climatique de l’histoire humaine. La crise financière, économique, énergétique, productiviste aggrave le chômage structurel, l’exclusion sociale, la violence raciste, machiste et le fanatisme religieux. Ces crises simultanées et profondes représentent une authentique crise de la civilisation, la crise du développement et de la modernité capitaliste qui met en péril toutes les formes de vie ». La résolution se conclue par un appel à une mobilisation intercontinentale, le 12 octobre 2009 (en référence au 12 octobre 1492, jour de la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb), en défense d’ Abya Yala (désignation indigène de la « Mère nourricière ») et des peuples, contre la marchandisation de la vie, la pollution, la consommation toxique et la criminalisation des mouvements sociaux (lire ci-dessous le programme des manifestations prévues à Paris).

La tonalité anticapitaliste de la résolution de Bélém a été reprise par le quatrième Sommet des peuples de Abya Yala, tenu, en mai, à Puno (Pérou) qui a également appelé à tenir un sommet alternatif des peuples indigènes, lors la Convention sur le changement climatique de Copenhague, en décembre 2009. Une audience du Tribunal international de justice climatique se déroulera à Cochabamba (Bolivie), les 13 et 14 octobre.

La vie face au saccage capitaliste

Aucun espace n’échappe aux multinationales. Les traités de libre échange (TLC), en s’imposant sur les législations nationales, ouvrent la voie au pillage effréné des ressources naturelles, aux dégâts écologiques, aux privatisations des biens communs et au démantèlement d’acquis sociaux.

La propriété collective des terres des communautés indigènes et d’origine africaine représente un obstacle empêchant les multinationales d’accéder aux ressources de leurs territoires. Les populations font face à des tentatives de contrôle de leur terre par la militarisation ou par leur expulsion. Elles ne veulent ni de régions misérables et polluées ni d’exode rural. Pour conserver leurs terres, leurs cultures, leurs semences natives, elles s’allient aujourd’hui à d’autres secteurs pour renforcer la résistance au modèle productiviste et capitaliste, avec un projet de portée universelle, qu’elles appellent le « bien vivre », en opposition au « toujours plus ».

Morts pour la forêt péruvienne

Le 5 juin 2009 a marqué un nouveau tournant dans la lutte pour la défense des droits des populations indigènes et de leurs territoires ancestraux. La journée mondiale de l’environnement a été ensanglantée par la répression du gouvernement péruvien contre les Indiens d’Amazonie occidentale. Bloquant une route à Bagua, ils manifestaient contre dix décrets législatifs lancés par le gouvernement néolibéral d’Alan Garcia. Ces décrets encouragent les investissements étrangers et facilitent les forages pétroliers, l’exploitation de minerais et de bois précieux sur 45 millions d’hectares de forêt. Ces décrets accompagnent des traités de libre échange signés avec les États-Unis, la Chine et bientôt l’Europe.

Un véritable massacre a eu lieu, faisant plusieurs dizaines de morts, majoritairement indiens. L’image d’un Pérou progressiste sur les droits des peuples autochtones – le président Alan Garcia est signataire de la convention 169 de l’Organisation internationale du travail et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones – a fait long feu face aux appétits transnationaux et nationaux.

Les communautés indiennes de l’Amazonie péruvienne sont organisées dans l’Association pour le développement de la forêt péruvienne (Aidesep). Alors que les mobilisations paysannes et syndicales s‘essoufflaient, l’Aidesep a obtenu l’abrogation de deux textes remettant en cause la propriété collective de la terre. L’association est devenue un acteur politique de premier plan.

Face à la forte mobilisation, le gouvernement péruvien, à la suite du massacre de Bagua, a du abroger deux autres décrets législatifs. Aujourd’hui, les peuples indiens de l’Amazonie péruvienne sont devenus les principaux acteurs de la lutte pour la protection de la forêt amazonienne, rejoignant les luttes transfrontalières et très organisées des peuples andins. Alberto Pizango, président l’Aidesep a été forcé de se réfugier au Nicaragua, recherché pour sédition, conspiration et rébellion, mais la base de l’Aidesep continue avec comme mot d’ordre « la forêt ne se vend pas, elle se défend ».

Pas de criminalisation des indigènes et démilitarisation de leurs territoires

Malgré l’adoption de la Déclaration sur les droits des peuples indigènes par l’Assemblée générale de l’ONU, les États et les multinationales piétinent toujours plus leurs droits, envahissent leurs territoires et criminalisent leurs organisations. Sans les consulter, ni respecter leur autonomie et leur autodétermination, ils exploitent leurs ressources naturelles.

Au Pérou, des centaines de dirigeants indigènes sont arrêtés, accusés de graves délits et de terrorisme parce qu’ils défendent le droit de leurs communautés et la préservation de leurs ressources naturelles. En Colombie, la politique du gouvernement Alvaro Uribe a exterminé dix-huit peuples indigènes. Au Chili, les Mapuches sont jugés sous avec la loi anti-terroriste en vigueur sous Pinochet. Les aspirations du peuple hondurien sont écrasées par un coup d’Etat. En Équateur où 30% de la population est indienne, le gouvernement de Rafael Correa a refusé de renouveler la présence des bases militaires étasuniennes mais ne refuse pas la privatisation de l’eau aux multinationales, ce qui a donné lieu à une mobilisation des Indiens. La Bolivie (plus de 70% d’Indiens) dirigée par le président indien aymara Evo Morales, est l’exception à ce cadre, qui reste sous la vigilance des organisations indigènes.

Face aux attaques des États et des multinationales, les peuples indigènes organisent leurs luttes, de façon unitaire avec les mouvements sociaux d’Amérique latine et du monde.

Décimé, exploités, opprimés

Sur les 525 millions habitants du continent sud-américain, 44 millions sont aujourd’hui indiens. Les Indiens représentent 60% de la population totale du Guatemala et de la Bolivie, entre 40 et 50% en Équateur et au Pérou, moins de 20% en Équateur ou au Chili, 13% au Mexique (13 millions). Lors de l’arrivée en Amérique de Christophe Colomb, en 1492, ils étaient plus de 50 millions, un peu moins que la population européenne de l’époque qui était de 67 millions d’habitants. En 1650, exterminés par les conquistadores et les maladies importées d’Europe, ils ne seront plus que 4,5 millions.

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