Tiré de Europe solidaire sans frontière.
D’une part, ce scénario présuppose, comme tous les autres, « des marchés qui fonctionnent pleinement et des comportements de marché concurrentiels » (5e rapport du GIEC, groupe de travail 3). D’autre part, il implique, comme les autres, un important développement du nucléaire (+100% d’ici 2050 !). À nos yeux, cela suffit à l’écarter… Néanmoins, il n’est pas sans intérêt d’y regarder de plus près. En effet, ce scénario nécessite une réduction significative de la consommation finale d’énergie : -15% en 2030 et -32% en 2050, selon le GIEC. Vu qu’une réduction aussi importante est irréalisable sans une certaine diminution de la production matérielle et/ou des transports, la question se pose : en admettant un instant que le nucléaire soit acceptable, serait-il malgré tout possible de rester sous 1,5°C de réchauffement sans « produire moins, transporter moins et partager plus » ? Autrement dit : sortir de la logique capitaliste d’accumulation est-il vraiment aussi nécessaire que le disent les écosocialistes ? N’y aurait-il pas quand même une forme de possibilité du « capitalisme vert » ? Pour répondre, il faut aller dans le détail des simulations qui ont servi de base au scénario 1 du GIEC.
La plus radicale de ces simulations est baptisée Low Energy Demand (LED) [1]. Elle tend effectivement à démontrer que la limite des 1,5°C pourrait être respectée dans le cadre du marché, sans technologies à émissions négatives. Comment ? Parce que la digitalisation, l’électrification et l’urbanisation croissantes réduiront la demande finale en énergie de 40% en 2050, ce qui créera la marge de manœuvre nécessaire à la décarbonisation du système énergétique, selon les auteur·e·s. Exemple : un smartphone consommant 5W (2,5W en mode veille) pourra remplacer plus de quinze appareils actuels, ce qui réduira la consommation d’énergie d’un facteur cent [2] (trente en mode veille). Du coup, selon les auteur·e·s, la production industrielle baissera spontanément de 15%. Pour le reste, tout continuera sans problème : l’urbanisation continuera à vider les campagnes, la productivité agricole croissante de l’agrobusiness continuera d’approvisionner les villes, le transport de fret (+20% au Nord, + 70% au Sud !) continuera à répartir les marchandises sur toute la planète, et la diminution de l’usage des biocarburants permettra même d’étendre les forêts… N’est-ce pas merveilleux ?
Le problème ? Pour que ça marche, il faut supposer que le capital ne profitera pas de la réduction des besoins en énergie pour produire davantage de marchandises. Or, cela ne s’est jamais produit dans l’histoire de ce mode de production. Jamais : lorsque l’efficience d’un processus a augmenté, les capitalistes en ont toujours profité pour produire davantage, afin d’empocher davantage de profits. C’est ce qu’on appelle l’« effet rebond ». Les auteur·e·s de Low Energy Demand l’avouent : leur projet ne peut réussir que si cet effet rebond est désamorcé. Pour cela, ils comptent d’abord sur la réduction tendancielle de la demande dans un certain nombre de domaines (exemples : du fait de l’urbanisation, moins de jeunes achètent une voiture, il y aura davantage de voitures électriques partagées, etc). Mais cela ne suffira pas (le fait que les jeunes en ville achètent moins de voiture ne réduit pas la production matérielle globale), de sorte qu’il faudra…quoi ? Eh bien une taxe, pardi ! Et pas une petite taxe : une taxe pour faire en sorte que les factures d’électricité des consommateurs restent constantes… même si la consommation diminue d’un facteur cent [3] !
En clair, voilà donc des scientifiques qui admettent que sauver le climat requiert de réduire la production matérielle, mais qui ne voient pas d’autre moyen pour cela que l’accentuation des politiques fiscales inégalitaires – à un point que même Emmanuel Macron n’oserait pas imaginer [4] ! Supprimer les productions inutiles et nuisibles (les armes par exemple), ne vient même pas à l’idée de ces gens. C’est révoltant et très significatif de l’emprise capitaliste-libérale sur la recherche. De toute manière, à supposer même que le défi climatique puisse être relevé au prix d’une telle injustice sociale, il saute aux yeux que rien ne serait résolu pour autant à la crise écologique globale, en particulier sur les fronts de la biodiversité, de l’empoisonnement chimique de la biosphère, de la perturbation grave du cycle de l’azote et de la dégradation des sols.
Conclusion : oui, le capitalisme vert est vraiment impossible, ce n’est pas de la propagande…
Daniel Tanuro
Notes
[1] Comment le capitalisme transforme les solutions écologiques en problèmes
[2] un facteur cent » : la consomation d’énergie sera divisée par cent
[3] En parallèle, Low Energy Demand nécessite que les pouvoirs publics décident des normes strictes d’efficience énergétique, des incitants à l’achat des technologies vertes, et des aides aux entreprises qui lancent de nouveaux business models.
[4] Les auteur·e·s notent que cette politique « pourrait éventuellement être difficile à appliquer ». Iels semblent avoir entendu parler des Gilets jaunes mais n’en tirent aucune conclusion…
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