Part des dépenses de programmes consacrée à la rémunération, 2003 à 2021.
Lors du dépôt d’une 3e offre aux 550 000 employéEs des services publics en négociation depuis 15 mois, Sonia LeBel, ministre responsable de l’Administration gouvernementale, a ressorti l’argument classique du poids financier de la rémunération : « À elle seule, la rémunération globale des employés de l’État s’élève à environ 40 milliards de dollars, soit près de 60 % des dépenses de programmes du gouvernement »1. Les gouvernements et les ministres changent, pourtant, tour à tour, ils reprennent la même rengaine lors des négociations afin de rendre astronomique chacun des 1% d’augmentation salariale mise sur la table. La stratégie est simple, mettre en opposition le « pauvre contribuable » ou l’équilibre budgétaire contre les « syndicats déraisonnables ».
Si l’argument ne bouge pas… les chiffres réels, eux évoluent. En effet, la rémunération totale versée par le gouvernement à touTEs ses employéEs et contractuelLEs représentait près de 60 % avant l’arrivée des libéraux en 2003 et de celle de la CAQ en 2018 (précisément 59,5 % et 58,8%). Cette part cependant est maintenant en recul constant et représente en 2021-2022 plus que 55,6 %. L’écart entre le pourcentage réel et le 60 % allégué représente près de 4 milliards de dollars.
Comme nous l’a mentionné Pierre-Antoine Harvey (économiste à la Centrale des syndicats du Québec), dans le cadre d’une entrevue exclusive, ces chiffres représentent bien plus que la rémunération des employéEs impliquéEs dans les négociations du secteur public. Ils incluent la rémunération des médecins (et autres professionnelLEs rémunéréEs par la RAMQ). À elle seule, la rémunération de ces quelque 25 000 professionnelLEs représente 9,4 % des dépenses de programmes. Le chiffre utilisé publiquement inclut aussi la rémunération des cadres qui mobilise 4,2 % des dépenses. Ainsi, la rémunération des 550 000 employéEs en négociation (qui sont à 75% environ des femmes) ne représente que 42 % des dépenses de programmes ou une somme totale de 39 milliards de dollars.
La rémunération des employéEs syndiquéEs en chute de 3,8 milliards de dollars
La part des dépenses de programmes consacrée à la rémunération des employéEs syndiquéEs des services publics est, depuis la dernière négociation, en recul. Elle est passée de 43,1 % à 42 % entre 2014 et 2021. Ce recul est la poursuite d’un processus qui a été enclenché par les gouvernements libéraux (de Jean Charest et de Philippe Couillard). À leur arrivée au pouvoir en 2003, la rémunération des employéEs représentait 46,1 % des dépenses. C’est donc un recul de 4,1 points de pourcentage, l’équivalent, en argent sonnant et trébuchant, de 3,8 milliards de dollars de moins selon les calculs de la CSQ.
Entre 2003 et 2015, le recul de la part des employéEs syndiquéEs, laissait place à une augmentation importante de la place occupée par la rémunération des médecins (professionnels rémunérés par la RAMQ). Sur cette période, la part des médecins est passée de 8 à 11,7 % des dépenses de programmes. Depuis, la révision des ententes avec les médecins spécialistes, mais surtout le report de plusieurs interventions médicales en raison de la COVID, a permis de rétablir la part des médecins à 9,4 %.
Évolution de la rémunération et des dépenses de programmes, Gouvernement du Québec, 2014-15 à 2021-2022.
Source : Calculs de la CSQ. Secrétariat du Conseil du trésor, Budget des dépenses 2021-2022, renseignements supplémentaires, tableau page 108.
Que dégager comme constat de cet exercice autour des chiffres qui proviennent du Conseil du trésor et de calculs effectués par l’économiste de la CSQ ?
Redonner la place qu’occupaient les employéEs des services publics en 2014 (c’est-à-dire revenir à 43,1%) permettrait d’injecter 980 millions de dollars ou d’accorder près de 2,5 % de plus en augmentation ou en amélioration des conditions de travail. Revenir au niveau de 2003 (46,1%) ouvre l’espace budgétaire de 3,8 G$ ou une augmentation de la masse salariale de 10 % supplémentaire.
Conclusion
Il est de notoriété publique que les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic ne sont pas rémunéréEs à la hauteur de la valeur réelle de leur prestation de travail. Année après année, l’Institut de la statistique du Québec nous rappelle qu’un retard se creuse. Il est en 2020 de 9,2 %. Il en est ainsi parce que le gouvernement sait qu’il a le gros bout du bâton durant la négociation avec ses salariéEs syndiquéEs. Voilà pourquoi il se permet de distribuer généreusement des augmentations salariales à certains groupes privilégiés et qu’il réserve aux autres des augmentations qui se situent entre 0 à 2% par année.
Les faits sont têtus. Le gouvernement Legault préfère embrouiller le débat en utilisant des chiffres gonflés. En agissant ainsi, il passe sous silence certaines données réelles qui nous permettraient de comprendre que depuis des décennies on impose aux salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic de faire des efforts pour sauver les finances publiques. Constatons qu’à l’instar de ses prédécesseurs, lors des négociations des rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic, lui aussi se permet de manipuler les chiffres et d’y aller de données partielles qui correspondent à des demi-vérités.
La balle est maintenant dans le camp du gouvernement Legault. À lui de contester les données que nous sommes parvenus à accumuler depuis ces dernières semaines. À lui autrement dit de nous donner tort ou raison. Et si jamais nous avons raison, à son gouvernement d’annoncer qu’il va enfin délier les cordons de la bourse pour que s’amorce un véritable processus de rattrapage salarial pour les salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic.
Yvan Perrier
11 avril 2021
16h30
yvan_perrier@hotmail.com
Texte mis en ligne le 15 avril 2021.
Notes
1. http://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-71425.html. Le 31 mars 2021. Consulté le 10 avril 2021.
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