Plusieurs mois plus tard, le combattant revint. Cinq de ses compagnons surgirent dans la hutte, la jetèrent au sol et la violèrent. Ils déclarèrent qu’ils étaient les combattants dans un Djhad, une guerre sainte et que toute résistance était considérée comme un crime contre l’Islam, punissable de mort.
Elle raconte, maintenant qu’elle a pu s’enfuir de la zone qu’ils contrôlent, qu’elle a fait des mauvais rêves au sujet de ces hommes : « Je ne sais pas de quelle religion ils sont ».
La Somalie a été dégradée par des décennies de conflits et de chaos ; les villes sont en ruine, le peuple meurt de faim. Seulement au cours de 2011, des dizaines de milliers de personnes sont mortes à cause de la famine et un nombre indéterminables d’autres au cours de combats interminables. Maintenant, une autre terreur sévit dans ce pays : la montée alarmante des viols et des abus sexuels contre les femmes de tous âges.
Les membres de l’organisation militante appelée Shabab se présentent comme moralement droits et des défenseurs de la pureté de l’Islam. Pourtant ils capturent femmes et jeunes filles comme un butin de guerre, les abusent en se servant de ces crimes pour semer la terreur dans le sud du pays. Les victimes, les intervenantEs humanitaires et les représentanEts de l’ONU en attestent. Les militants sont en perte de vitesse, ils perdent du terrain et sont à cours d’argent. Pour se renflouer, se réconforter et attirer des recrues, ils obligent les familles pauvres à leur livrer leurs filles pour des mariages forcés qui ne durent souvent pas plus de quelques semaines mais quelques semaines d’esclavage sexuel.
Il n’y a pas que les Shabab qui agissent ainsi. Des travailleurs-euses humanitaires rapportent que depuis quelques mois, des hommes armés sévissent aussi en s’attaquant aux femmes qui sont obligées de partir de chez-elles à cause de la famine. Elles doivent parcourir des centaines de kilomètres à pied pour trouver de la nourriture. Elles se retrouvent dans des camps improvisés où sévissent les militants islamistes, des miliciens voyous et même des soldats de l’armée Somalienne qui les violent, les volent et les tuent en toute impunité.
Cette famine pousse des centaines de femmes hors des mécanismes de protection traditionnels assurés par le clan. Les travailleurs-euses humanitaires assurent que, de mémoire, une telle ampleur de ces fléaux ne s’est jamais vue. En certains endroits, elles sont utilisées comme monnaie d’échange à des barrages routiers, cédées à des guerriers qui gardent le point de contrôle pour qu’ils laissent passer des groupes de réfugiés désespérés.
Radhika Coomaraswamy, déléguée des Nations Unies pour l’enfance dans les conflits armés, déclare que la situation se détériore. Les récentes batailles ont multiplié les conditions favorables aux viols : « Pour les Shabab les mariages forcés sont un autre moyen de contrôler les populations ».
Au cours des deux derniers mois, les Nations Unies déclarent que, dans Mogadishu seulement, ils ont enregistré plus de 2,500 plaintes de violence sexuelles ; un nombre particulièrement inhabituel. Comme ils ne peuvent se déplacer à travers le pays, ils ne peuvent confirmer les rapports d’incidents ; ils se fient aux organisations locales qui sont elles aussi constamment menacées.
La Somalie est un pays très traditionnel. Toujours selon les Nations-Unies, 98% des filles y sont soumises aux mutilations génitales. La plupart sont illettrées et confinées à domicile. Quand elles s’aventurent à l’extérieur c’est pour aller travailler, marchant à travers les gravats, le long des ruelles, enveloppées dans leurs longs habits noirs qui les couvrent de la tête aux pieds. Elles portent couramment des fardeaux sur leurs dos sous le soleil écrasant.
La famine et les déplacements de masse qui ont commencé à l’été, les ont rendues vulnérables. Beaucoup de villages ont été démantelés par les groupes armés qui ont obligé les hommes et les garçons à joindre leurs rangs. Les femmes se sont retrouvées seules avec les enfants et ont dû tenter de rejoindre les camps de réfugiéEs pour assurer leur survie.
Les représentantEs des Nations Unies disent que les Shabab qui combattent le gouvernement de transition de Mogadishu, imposent une version étroite de l’Islam dans les zones qu’ils contrôlent mais qu’ils ne sont plus capables de payer leurs centaines de combattants comme ils le faisaient antérieurement. Ils s’emparent des récoltes, du bétail et de femmes qui servent de « d’épouses temporaires » pour fidéliser et augmenter le nombre de leurs troupes.
Mais difficile d’appeler ça des mariages, déclare Sheik Mohamed Farah Ali, un ancien commandant des Shabab qui est passé dans les rangs de l’armée du gouvernement. « Il n’y a aucun clerc, aucune cérémonie, rien du tout ». Et il ajoute que les combattants ont été appariés à des fillettes aussi jeunes que 12 ans qui sont laissées là complètement déchirées et incontinentes. Si elles refusent, « elle est tuée soit par lapidation ou par balle ».
Une jeune femme qui vient juste d’accoucher d’un bébé moitié somalien moitié arabe déclare qu’elle a été sélectionnée par un Shabab somalien qu’elle connaissait. Il l’a conduite dans une maison pleine d’armes, l’a menée vers un commandant arabe, un de ces nombreux étrangers qui ont rejoint les Shabab. « Il a fait ce qu’il voulait de moi jours et nuits ». Elle dit avoir réussi à s’enfuir alors qu’il dormait.
Le Elman Peace and Human Rights Center est une des rares organisations somaliennes à aider les victimes de viols. Il est dirigé par une forte femme qui a son franc-parler, Mme Fartuun Adan dont le mari a été assassiné il y des années par des seigneurs de la guerre. Elle dit que depuis que la famine a commencé, elle a rencontré des centaines de femmes qui ont été violées et des centaines d’autres qui se sont enfuies pour échapper à des mariages forcés. Elle ajoute : « vous ne pouvez vous imaginer comme c’est difficile pour elles de s’en sortir. Il n’y a pas de justice ici, pas de protection ». Le dicton populaire dit d’ailleurs : si vous êtes droguée, c’est que vous avez été violée.
Souvent les femmes sont abandonnées blessées ou enceintes forcées de demander de l’aide. Mme Adan voudrait élargir son offre de soins médicaux et de support aux victimes de viols. Elle voudrait même leur ouvrir un refuge. Mais difficile à faire quand un maigre budget de 5,000$ par mois fourni par une petite organisation humanitaire, Sister Somalia, est sa seule source de revenus. Mme Adan a pleuré ces jours derniers en entendant le récit de la jeune femme qui a vu son amie lapidée et qui s’est retrouvée elle-même victime d’un viol collectif. « Cette fille m’a demandé comment elle allait pouvoir se marier maintenant, quel était son avenir, ce qui allait lui arriver ? Qu’est que je peux lui répondre ? »
On a l’impression que ces femmes qui arrivent dans le bureau de Mme Adan sortent d’un autre temps. Elles ont réussi à s’y rendre grâce au réseau du Centre Elman. Elles arrivent du fond de la Somalie rurale où les femmes sont encore traitées comme du bétail. Une jeune femme de 18 ans, qui se fait appeler Mme Nur, a été mariée à l’âge de 10 ans. Elle vivait en nomade et jusqu’à ce jour elle n’avait jamais vu un téléphone ou une télé. Elle dit avoir été violée par des combattants Shabab dans un camp de déplacéEs en octobre dernier. Elle explique qu’ils n’ont pas fait de manières lorsqu’ils sont entrés dans sa hutte. Ils ont simplement pointé leurs fusils sur sa poitrine et lui ont ordonné : « Tais-toi ! »
Jeffrey Gettleman, journaliste,
New-York Times, 28 décembre 2011,