S’il est une thématique qui remplit les ateliers du Forum social mondial sur le campus de l’université El Manar de Tunis, depuis le 26 mars, c’est bien celle de la dette. Pour écouter les intervenants, mieux vaut arriver en avance : les salles sont combles, les débats passionnés.
Abdullah, syndicaliste sénégalais, est bien placé pour parler de la dette. Dans les années 1980, son pays a été soumis aux plans d’ajustement structurel menés, contre des prêts, par le FMI. Il explique, avec nombre d’exemples, la logique dans laquelle son pays est pris depuis lors : « Pour la population, la chose est claire. Tout augmente. Depuis que l’eau a été privatisée, son prix augmente en moyenne de 3 % chaque année. Et que dire de la santé ! Certains ne peuvent pas se soigner tant les soins coûtent cher. » Des prix qui explosent, à cause des privatisations quand les recettes de l’État diminuent. « Nous avons été endettés, mais certains en tirent de forts profits », poursuit le syndicaliste. Dans la salle, les intervenants, belge, espagnol, tunisien, sénégalais, sont unanimes : la dette est un instrument de domination.
Ancien économiste en chef au Pnud, et membre du Conseil scientifique d’Attac, Djilali Benamrane dénonce aussi cette logique, un « moyen de prélever dans les pays à faibles ressources une rente pour les bailleurs de fonds qui ont octroyé cette dette de façon inacceptable. Elle porte le plus souvent sur les activités d’armement et soulève donc des interrogations sur la paix et la sécurité ». Les multinationales qui vendent des armes et les pays qui les produisent participent, à ses yeux, à maintenir le monde « dans un état de guerre permanente, ouverte ou en préparation ». Avec une conséquence, la perversion du Conseil de sécurité de l’ONU, fondé sur des États dépassés par les multinationales. Il revendique donc une réécriture de la charte des Nations unies et une réforme du système mondial tant les institutions issues de Bretton Woods sont illégitimes.
Le syndicaliste sénégalais dénonce, lui aussi, l’action du FMI sur le sol africain. Avant d’enchaîner : « En Europe, le mot utilisé est “austérité”, mais d’expérience, je peux vous le dire : ce sont des plans d’ajustement structurel. » Renaud Vivien, du CADTM, partage cet avis : « La dette est un outil pour mettre les peuples sous la tutelle des marchés financiers. »
Comment, alors, lutter contre ces mécanismes ? « Par la lutte et la résistance, nous avons réussi à ce que l’électricité reste une compagnie nationale », explique Abdullah. « Il faut mobiliser les recettes fiscales, faire payer un impôt juste et équitable », répond Renaud Vivien. Il souligne en même temps qu’il « n’y a pas de raison que, dans l’UE, la BCE ne puisse pas prêter aux États alors qu’elle prête à des taux très bas aux banques privées qui, elles, s’enrichissent en prêtant à des taux bien plus élevés aux États ». Il demande donc un moratoire sur les dettes afin de réaliser un audit et de déterminer la part qui doit être remboursée, et celle déclarée illégitime, et qui tomberait. Dans la salle, un Grec discute avec une Chypriote. Ils sont d’accord : « Nous en avons marre de payer pour nos banques. » De part et d’autre de la Méditerranée, le sujet en débat fait de plus en plus l’unanimité… contre le remboursement.
Voir en ligne : http://www.humanite.fr/monde/la-dette-point-nodal-des-debats-du-forum-518438