Éric Pinault rejette l’idéologie dominante du « développement ’’durable’’ permett[ant] de concilier la préservation de l’environnement et la croissance économique, [faisant] que le motif de profit et le désir de protéger la planète aillent main dans la main ». En plein dans le mil. La décroissance est nécessaire et elle n’a rien à voir avec la récession capitaliste, encore moins celle de la pandémie, imposée au 90% les moins nantis d’autant plus que même la croissance du capitalisme néolibérale conduit elle-même à plus d’inégalités et de pauvreté. Pour arriver à « partager plus », il faudrait, selon Éric Pinault, « décider ensemble » comme le fait le Front commun pour la transition énergétique représentant « environ 1,8 million de Québécois et Québécoises ».
De conclure le professeur Pinault. « [la population] sera choquée devant l’ampleur des changements qu’implique une transition vers une économie qui reconnaît des limites. Mais ce ne sera pas la première ni la dernière fois qu’une société se lance dans une transformation révolutionnaire — fût-elle tranquille. » La deuxième version du long plan du Front renonce à l’objectif « choquant » de la première version d’une « [l]oi climat obligeant une réduction d’au moins 65 % des GES d’ici 2030 et la neutralité carbone en 2040 » soit un objectif GIEC+ qui tienne compte de la responsabilité historique. Pour ne pas « choquer », aucune cible n’est cette fois proposée sauf à rappeler celles du GIEC ce qui pourrait peut-être être interprété comme quoi le Front y adhère. Subtilement, cependant, le nouveau document du Front ne mentionne aucune autre cible pour 2030 que celle mondiale « de 45 % en 2030, par rapport à 2010 » du GIEC quitte à parler de carboneutralité pour 2040 ou 2050 et en rappelant la réserve du GIEC vis-à-vis « [l]’élimination du dioxyde de carbone déployée à grande échelle [qui] n’est pas prouvée ».
Front commun pour la transition énergétique coincé entre concertation de classe et ambiguë radicalité
Dans sa présentation à la une de son site, le Front annonce une société paisible qui l’aura été « tout au long de sa transformation ». Ce serait la grande concertation sans lutte sociale. Le professeur Pinault se souvient-il que la dite révolution tranquille fut tout sauf tranquille au point de créer en 1972 une grève générale avec un moment prérévolutionnaire ? À contrario, il faudrait dorénavant « [à] l’intérieur des entreprises privées, une approche de cogestion [pouvant] amener une certaine démocratisation. Les comités paritaires [...] en sont un exemple courant. » Comble de la collaboration, le Front prévoit « [a]ccompagner les entreprises pour permettre leur décarbonation ici plutôt que créer un cadre qui les amènerait à délocaliser leurs activités... » Le Front accepte d’avance de capituler au chantage de la fuite des capitaux et de la grève des investissements. On prévoit bien un « [p]rogramme de soutien à la conversion d’entreprises à but lucratif en entreprises collectives » mais rachetées par des « [i]Incitatifs fiscaux » et des « [o]utils de financement ». On peut être assuré que le capital se débarrassera à prix fort de ce qui devient non rentable.
Contradictoirement, le Front exige de « stopper l’étalement urbain... » tout en acceptant à terme l’« [i]mmatriculation uniquement de véhicules électriques »... de préférence de petite taille. Interdire ou limiter la construction de maisons unifamiliales en zone urbaine ? Ni vu ni connu. Construction majoritaire de logements sociaux écoénergétiques ? Le silence est d’or. Sans cible, sans échéancier, sans remise en question de la dynamique auto-bungalow de l’étalement urbain et de la consommation de masse, le Front prétend arriver à une société qui consommerait 50% moins d’énergie laquelle serait 100% renouvelable ! On y critique bien l’extractivisme du lithium et tutti quanti pour sa violation des droits humains mais sans aucune considération pour ses effets polluants et énergivores. C’est comme si on envoyait le message subliminale qu’il suffirait de résoudre les pires abus des mines congolaises pour excuser l’extractivisme minier de l’électrification tous azimuts dans un contexte de croissance. Faut-il se surprendre qu’il ne soit nullement question dans les 124 pages de Québec ZÉN de décroissance même si pour faire parade on dénonce croissance et gaspillage et même les « mirages de la ’’croissance propre’’ et du ’’capitalisme vert’’ ».
Que le Front n’ose pas opposer décroissance à croissance ne doit pas surprendre car celle-là n’est pas le miroir inversé de celle-ci. Autrement, comme le souligne justement Éric Pinault, la décroissance serait le synonyme de récession prolongée. Comme cette compréhension du concept ’décroissance’ s’impose spontanément, on devine son impopularité tout aussi spontanée auprès du peuple-travailleur. Une société de décroissance ne se comprend que comme une trans-croissance, pourrait-on dire, ou une mue vers une société solidaire de prendre soin (le care éco-féministe) des gens et de la terre-mère. ’Prendre soin’ prend du temps. C’est donc incompatible avec l’axiome, relevant de la minimisation des coûts imposée par la loi de la concurrence, que « le temps, c’est de l’argent ». La décroissance en devient une négation de l’accumulation du capital et de son corollaire, la consommation de masse. Elle nécessite une société niant l’aveugle et cumulative valeur d’échange pour affirmer la valeur d’usage comblant de réels besoins humains sous gouverne populaire. Ce rejet du capitalisme ne sied pas au Front commun pour la transition énergétique coincé entre la concertation de classe et l’hésitante et ambiguë radicalité de son alternative pro-climat. Mieux vaut pour lui rejeter le concept de ’décroissance’ que ce soit sa spontanée version populaire de privation que sa version anticapitaliste de ’prendre soin’.
La croissance capitaliste tue, plutôt le « buen vivir » latino-autochtone et éco-féministe du « prendre soin »
La richesse d’une société solidaire est celle des rapports sociaux égalitaires et non l’accumulation de la propriété privée. C’est cette solidarité qui mène au plein emploi selon la capacités des gens quitte à l’améliorer, à la sécurité contre la maladie et la vieillesse, à la garantie du logement social confortable et éco-énergétique et de la nourriture fraîche et saine sans hypertrophie de viande, de sucre, de gras et de sel. De ce fait tendent à disparaître le stress, l’anxiété et la violence liés à la pauvreté, l’inégalité, la précarité et l’isolement. Ces maux conduisent à singer l’accumulation capitaliste par l’accumulation de « biens » durables, dont le logement souvent individuel et surdimensionné et le véhicule aussi souvent surdimensionné sont le noyau dur, et de capital fictif, dont les aléas rythment la viabilité de la sécurité de la vieillesse. Avec la boulimique consommation compensatoire c’est ce que l’idéologie capitaliste nomme « bonheur » et mesure par le PIB. Ce dernier compte sur un pied d’égalité les produits de consommation, qu’ils soient des ’biens’ que la pandémie a révélé « essentiels » ou des ’maux’ induits par la propagande capitaliste appelée publicité et le crédit et sans cesse renouvelés par l’obsolescence programmée, et les moyens de production autant que de destruction guerrière ou polluante.
Il ne s’agit pas de caricaturer le concept de ’décroissance’ en envoyant sous le tapis la nécessité de la production matérielle nécessairement énergivore et polluante. Une majorité de la population mondiale ne dispose pas de quoi vivre correctement et décemment. Il faut simplement réaliser que l’agro-écologie essentiellement végétarienne, le logement social carboneutre dans une urbanité multi-fonctions, le vêtement durable tout en étant élégant mais libéré de la mode, le transport en commun et l’autopartage réduits par la communication électronique, le transport des marchandises maximisant les circuits courts et drastiquement réduit par l’absence de consommation de masse vont permettre une très importante réduction de la production énergétique qui pourra être comblée par la sobriété et l’efficacité énergétiques complétées par les énergies solaire, éolienne et géothermique. Il ne s’agit pas non plus de nier le problème de la transition qui requiert d’utiliser de l’énergie fossile pour fabriquer les nouveaux moyens énergétiques. Il faudra plus que compenser par la réduction drastique de la consommation luxueuse et de masse ce qui suppose une redistribution draconienne de la richesse et des revenus tout comme de la sobriété du style de vie riche de rapports humains et libéré de l’angoisse du lendemain.
Cette trans-croissance ne se fera pas toute seule ni par la magie de la main invisible du marché, malgré les faire accroire des prophètes de l’écofiscalité même « progressiste » acculant au pied du mur les banlieusards condamnés à utiliser leurs automobiles faute de transport en commun adéquat, ni par un dictateur soi-disant éclairé prisonnier du soutien de la ploutocratie financière. Le secret de sa mise en oeuvre réside dans les grands et prolongés soulèvements populaires qui ne cessent depuis dix ans, dont le printemps érable de 2012 fut un écho au Québec, mais auxquels il manque pour déboucher un guide politique prônant cette ’décroissance’ qui finalement n’en est pas une car elle requiert paradoxalement une croissance fulgurante des services publics et une décroissance tout aussi fulgurante de la consommation de masse, assise de l’accumulation du capital basée sur l’American way of life généralisé au monde comme réalité ou comme rêve clin-clan depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. Comme le disait un participant à une réunion récente d’écosocialistes d’Afrique, des Amériques, d’Australie et d’Europe occidentale, « la croissance capitaliste nous tue ». Plutôt le « buen vivir » latino-autochtone d’une société éco-féministe de prendre soin.
La société solidaire débute par l’embauche de 250 000 personnes pour une stratégie de covid-zéro
La porte d’entrée québécoise vers cette société solidaire, le conseil national de Québec solidaire l’a voté en septembre 2020 : l’embauche immédiat de 250 000 personnes dans les services publics et le communautaire dont la première tâche serait la mise en oeuvre d’une stratégie de covid-zéro qui a suscité en Angleterre la mise sur pied d’une vaste coalition populaire. Comme partout dans le monde, sauf dans certains pays de l’Asie du Pacifique dont l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les politiques anti-Covid de yo-yo, ou stop-and-go, épuisent les travailleuses essentielles, d’autant plus qu’elle sont confrontées à des politiques d’austérité, et démoralisent la population en général, d’autant plus que les soutiens financiers et humains sont déficients particulièrement pour les plus vulnérables. En conséquence, le scepticisme croît, les farfelues théories conspirationnistes foisonnent et la désobéissance envers les consignes gagne du terrain.
En désespoir de cause, les gouvernements misent leur va-tout sur les vaccins qui arrivent au compte-goutte leur production et distribution, pourtant financées par ces mêmes gouvernements, étant régies par les stratégies de maximisation des profits des monopoles pharmaceutiques. La faillite des politiques pandémiques de l’Amérique du Nord et de l’Europe se combine en un accaparement égoïste de la trop faible production mondiale de vaccins aux dépens des pays de l’Amérique du Sud, de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud. Pendant ce temps, les GAFAM et milliardaires de ce monde s’enrichissent queue par dessus tête, sans impôts supplémentaires, sur le dos des PME qui malencontreusement jappent pour des ouvertures hâtives non essentielles faute d’aide suffisante gouvernementale pour soutenir leurs frais fixes et subvenir aux besoins essentiels de leurs propriétaires et personnes employées. Et voilà que les super-virus envahissent la scène pour nous précipiter vers une troisième vague qui va déferler principalement sur les personnes âgées, affaiblies et malades et leurs soignantes.
Marc Bonhomme, 15 février 2021
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.c a
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