Édition du 12 novembre 2024

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La guerre en Ukraine - Les enjeux

La contre-offensive ukrainienne et la possibilité d’une escalade meurtrière du conflit

Depuis près d’une semaine Kiev a lancé une contre-offensive au Nord-Est du pays. Zelensky revendique le contrôle de 4000 km² de territoire jusqu’ici occupé. Le scénario reste pour autant celui d’un match nul stratégique pouvant pousser à une escalade.

Tiré du site Révolution permanente
Le 14 septembre 2022

Par Julien Anchaing

Sur la route de Balaklia, dans la région de Kharkiv (Ukraine), le 10 septembre 2022. | Juan Barreto / AFP Juan Barreto / AFP

Derrière le triomphe ukrainien, les aides majeures de l’Occident

Depuis le début de la semaine l’Etat Major ukrainien et une partie de la presse occidentale semblent avoir renoué avec les espoirs (au moins dans le discours) d’une potentielle victoire ukrainienne. Le pro parti Démocrate The Atlantic va jusqu’à parler de la réactualisation d’une victoire ukrainienne. Dans une interview pour le Monde Oleskii Reznikov, le ministre de la Défense ukrainien, parle ouvertement d’une « troisième étape de la guerre » et va jusqu’à revendiquer une définition d’une potentielle victoire ukrainienne : la libération totale des territoires reconnues internationalement en 1991 de l’Ukraine (dont la Crimée) ainsi que la possibilité de demande de réparations contre les crimes de guerre de la Russie.

Il faut dire que les avancées ukrainiennes récentes pourraient paraître spectaculaires : entre mardi dernier et aujourd’hui l’Ukraine revendique avoir récupéré 6000km2 de son territoire, dont une partie importante de l’oblast de Kharkiv et des villes comme Balakliya, Kupyansk et Izium, une ville centrale du fait de son emplacement sur les routes d’approvisionnement des troupes russes. Cette ville était revendiquée jusqu’à présent comme l’un des objectifs tactiques centraux de la contre-offensive.

Derrière cette avancée indéniable, deux éléments sont revendiqués par l’Etat-Major ukrainien : la fuite (en partie avérée) de troupes russes ainsi que la possibilité pour l’Ukraine de s’appuyer sur les aides militaires fournies par l’OTAN. C’est notamment le cas des missiles du système Himars de fabrication américaine qui auraient permis d’importantes avancées contre la logistique russe. C’est une démonstration supplémentaire du rôle de l’OTAN dans la guerre et du caractère international du conflit. Avec le tournant de la contre-offensive, l’Ukraine parvient à se positionner d’une manière différente aux yeux de la presse et des gouvernements occidentaux. Reznikov tout comme l’ensemble de l’Etat-Major ukrainien n’ont d’ailleurs pas lésiné en revendiquant la nécessité d’un saut des aides militaires de l’Europe et des Etats-Unis pour l’Ukraine.

Pour la revue très conservatrice The National Interest, «  l’Occident a le pouvoir d’aider à mettre fin à la guerre. Par conséquent, la communauté internationale doit continuer à fournir à l’Ukraine l’aide dont elle a besoin pour cette opération et la suite du conflit. L’hésitation à continuer de soutenir l’Ukraine pendant cette période charnière permettra aux Russes de se regrouper et de redéfinir leurs stratégies, ce qui ne fera que prolonger la guerre. » Le signe d’un renouveau dans le discours occidental et ukrainien et la possibilité d’un retour d’un logiciel plus triomphant alors même que l’Union européenne subit de plein fouet les conséquences de la guerre économique menée avec la Russie et que l’Ukraine cherche à mettre la pression à ses alliés occidentaux pour recevoir des armes supplémentaires.

En effet, comme l’explique The Guardian plusieurs ministres européens, malgré leur prudence, ont affirmé leur soutien à la contre-offensive ukrainienne. «  Annalena Baerbock, la ministre allemande des Affaires étrangères, s’exprimant à Kyiv alors que l’impact de l’offensive se dessinait samedi, a déclaré que c’était "un moment d’espoir". Après 24 heures supplémentaires d’avancées, un débat acharné dans la politique allemande avait éclaté au sujet de la fourniture directe d’armes lourdes, y compris des chars Leopard. Agnieszka Brugger, chef adjointe du groupe des Verts au Bundestag, a déclaré : « Toutes les options doivent être à nouveau testées sans aucun tabou. Ce sont des mois cruciaux pour le peuple ukrainien et pour l’ordre sur notre continent »

La revue 19fortyfive rapporte elle aussi les mots triomphants des responsables occidentaux : « "Ce progrès ukrainien montre la bravoure, les compétences et la détermination des forces ukrainiennes, et cela montre que notre soutien fait une différence chaque jour sur le champ de bataille", a déclaré le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, lors d’une conférence de presse le 9 septembre. » Les célébrations et le triomphalisme montrent comment le camp occidental, confronté à la perspective d’une crise économique et politique croissante due notamment à l’explosion des prix de l’énergie, se satisfait de pouvoir revendiquer une Ukraine combative pour la première fois après plusieurs mois d’incapacité militaire à obtenir des victoires sur les Russes.

Cependant, cette dynamique pourrait ouvrir la voie à une escalade guerrière meurtrière, du côté Européen, où l’OTAN joue un rôle central dans l’escalade du conflit armé, et du côté russe.

Une contre-offensive qui reste limitée et qui ouvre la voie à des représailles

Du côté de la Russie, alors même que la contre-offensive bat son plein, le ton du Kremlin reste impassible. L’État major Russe revendique un repli volontaire vers le Sud du pays pour se concentrer sur les tentatives d’avancées de l’Ukraine sur Kherson, tout en cherchant à minimiser la réalité de l’état de fatigue morale des troupes russes. La partie Sud du pays a toujours un intérêt diplomatique central pour les Russes : consolider les positions déjà occupées sur le territoire ukrainien ainsi que sur l’accès à la mer du pays.

Il reste que la contre-offensive ukrainienne connaît d’importantes limites. Moscou a d’ailleurs affirmé que le changement significatif de la ligne de front de la guerre était le résultat d’une décision de « regrouper » et de déplacer les forces plus au Sud pour repousser les attaques ukrainiennes dans la région occupée de Kherson. En effet la rapidité des avancées des troupes ukrainiennes ne saurait faire oublier que la Russie occupe encore aujourd’hui 25% du territoire ukrainien. Dans ce cadre, les avancées pourraient fragiliser rapidement l’armée ukrainienne qui a déclaré une potentielle « pause » dans sa contre-offensive du fait du danger que représentent de tels kilomètres de conquête du fait de la fragilisation des chaînes d’approvisionnement militaire ukrainiennes. Loin du ton triomphaliste (et volontairement exagéré) d’une partie de la presse occidentale le journaliste du Financial Times Gideon Rachman appelle en ce sens à la « prudence » : «  Mais une certaine prudence s’impose. Près d’un cinquième de l’Ukraine est encore occupée. Les Russes tenteront de se regrouper et les Ukrainiens pourraient aller trop loin. »

Bien que le ton du conflit puisse changer, les Ukrainiens s’exposent par ailleurs aussi à une escalade du conflit contre leurs installations civiles ainsi que leurs populations civiles. A la suite de la prise de Izium, la Russie a en effet bombardé une partie du réseau électrique ukrainien. Des réseaux russes ont même revendiqué la destruction de « 40% du réseau électrique du pays ». Bien que ces chiffres soient extrêmement surestimés, la guerre de Poutine montre encore une fois son visage réactionnaire : la prise d’otages de populations civiles est utilisée comme une arme de guerre. Enfin, ces attaques destructrices laissent planer un doute sur le potentiel renouvellement du « risque nucléaire » dans ce conflit en tant qu’arme de dissuasion.

D’un autre côté, on aperçoit pour la première fois du côté Russe une multiplication de critiques de l’aile droite nationaliste du pays aussi ouvertement. Plusieurs blogueurs d’extrême-droite ont attiré l’attention récemment, comme Girkin, un ancien vétéran et nationaliste d’extrême-droite qui critique ouvertement le Kremlin pour son incapacité à obtenir une victoire stratégique rapide sur l’Ukraine et qui agite les risques d’une défaite et d’un écrasement de la Russie par le camp occidental. La capacité de l’Ukraine de reprendre l’oblast de Kharkiv pourrait ainsi renforcer une aile profondément réactionnaire russe qui soutient les objectifs stratégiques de Poutine tout en se délimitant des décisions tactiques de l’État-major du Kremlin.

Sur Russia Today, télévision de propagande d’Etat dans le pays, des soutiens de Vladimir Poutine appellent ainsi à une réaction réelle à la contre-offensive ukrainienne. Ces différents courants réactionnaires semblent surtout avoir pour objectif de pousser le Kremlin à prendre des décisions plus radicales, en incitant à la mise en place d’une mobilisation générale (rejetée jusqu’à présent par Poutine) ainsi que l’utilisation massive de bombardements. Le renforcement de ces courants réactionnaires pourrait participer à une potentielle escalade du côté russe et contraste avec l’incapacité de se renforcer d’une aile libérale en Russie.

La guerre en Ukraine reste pour l’instant une guerre basée sur un équilibre de force. L’invasion réactionnaire de l’Ukraine par la Russie a été largement suivie de la mobilisation du camp tout aussi réactionnaire de l’OTAN qui participe largement à l’escalade du conflit. Les récentes avancées de l’Ukraine pourraient aboutir à une réponse violente des Russes, et il semble qu’encore aujourd’hui aucun scénario ne soit écrit d’avance. Le renforcement d’une aile d’opposition nationaliste en Russie tout comme celui du gouvernement de Zelensky et des gouvernements impérialistes occidentaux sont deux démonstrations du caractère ouvertement réactionnaire de ce conflit. Le renforcement du camp occidental et de Zelensky seraient les principaux points d’appui pour que l’OTAN puisse réaffirmer son expansionnisme dans l’Est de l’Europe.

Du côté des occidentaux, certains commencent à parler ouvertement des possibilités de changement de régime en Russie et à établir des hypothèses sur la suite des évènements. Reste à savoir si l’Occident est prêt à « payer le prix » d’une déstabilisation croissante du continent due à celle du régime du Kremlin.

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