Édition du 18 juin 2024

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Élections 2018

Élections locales le 4 mai en Grande-Bretagne

La coalition Respect seule à gauche

L’événement le plus marquant du long règne à droite de Tony Blair restera la décision d’engager l’Angleterre dans l’intervention militaire en Irak. Une décision dont les répercussions politiques ont été majeures tant à l’interne du New Labour que dans le cadre politique national.

Une de ces répercussions fut la création et la construction de la coalition de gauche Respect, sur la base d’une opposition à la guerre en Irak. À l’opposé, les politiques antisociales du gouvernement et les attentats de juillet 2005 ont contribué à la montée du racisme, des préoccupations concernant la sécurité nationale et ainsi de l’extrême droite.

Fin de règne du New Labour

Des remous agitent actuellement le New Labour suite à la déclaration faite le 17 avril par la ministre de l’Emploi Margaret Hodge. Elle déclarait que huit voteurs blancs sur dix de sa localité de Barking dans l’est de Londres se disaient prêts à voter pour le British National Party (BNP, extrême-droite) aux élections locales du 4 mai prochain [1]. Ces remous sont révélateurs des tensions auxquelles est en proie le New Labour en cette période de fin de règne, divisé entre la toujours moins loyale cour des Blairiens et le nombre grandissant des dissidents (en général de gauche) plus et moins déclarés.

Plus révélatrice encore est la stratégie d’aller chercher chez les conservateurs les votes qui lui font défaut chez ses propres députés pour l’appui à son projet de loi sur l’éducation, qui inclut notamment le financement public d’écoles religieuses privées et semi-privées. Plusieurs politiques récentes du Labour lui ont aliéné des alliés traditionnels et importants dans le milieu syndical. Ce fut le cas notamment avec la réforme du système de fonds de pension pour les travailleurs et travailleuses de l’État ; même chose avec les coupes drastiques et les débuts de privatisation du système de santé public.

Dans le conflit majeur qui se joue en ce moment entre les travailleurs de la fonction publique et le gouvernement sur la question des fonds de pension, UNISON, le plus important syndicat de travailleurs de la fonction publique britannique, a suspendu ses cotisations au parti en attente d’un règlement. Il a aussi retiré tout support matériel et politique au Labour pour les élections locales du 4 mai prochain, qui se tiennent dans tout le pays.

Pour couronner le tout, le parti ne se déprend toujours pas d’une série de scandales financiers qui ont accompagné le clan Blair depuis 1997. Le dernier en date concerne les révélations relatives aux nominations au Sénat de candidats ayant par ailleurs prêté de substantielles sommes au parti ou contribué au financement des fondations pour les nouvelles écoles confessionnelles de Blair.

Le candidat tout trouvé pour la succession à Tony Blair à la tête du New Labour est l’actuel chancelier Gordon Brown. Brown vient de rentrer d’une visite éclair au Mozambique où il a été salué par Nelson Mandela comme un homme respectant ses promesses dans le financement de programmes d’éducation dans les pays en développement. Il est considéré comme un homme de gauche et incarne l’espoir de redressement des dissidents travaillistes avant les prochaines élections générales.

Tony Blair ayant annoncé récemment qu’il ne souhaitait pas mener la prochaine élection comme chef du Labour, il est à peu près certain, malgré les doutes que Blair se plaît à entretenir sur sa décision de se retirer, que Gordon Brown occupera sa place. La question qui se posera alors pour le Labour sera de savoir si le nouveau chef peut parvenir à ramener rapidement la cohésion au sein du parti. Pour le reste du monde, ce sera de voir jusqu’à quel point le New Labour est prêt (ou pas) à rectifer sa dérive droitière.

Conservateurs : du thatchérisme au conservatisme compatissant.

L’élection du jeune David Cameron à la tête du Parti conservateur, en décembre dernier, a lancé la bataille pour un véritable aggiornamento historique du parti. Selon son nouveau chef,le parti doit effectuer un “retour aux valeurs sociales qui sont aussi à la racine du Parti conservateur”. Sur un air de renouveau générationnel, c’est avec tout le thatchérisme des années 80 et 90 -donnant une si mauvaise image sociale au parti, selon son leader actuel - que Cameron affirme aujourd’hui vouloir rompre.

Il déclare solennellement que “maintenant, les conservateurs comprennent qu’il y a bien quelque chose comme la société. Seulement, il faut la distinguer de l’État”. Accusant les travaillistes de leur voler leurs idées sur la privatisation du système de santé et d’éducation en les appliquant de mauvaise manière, les conservateurs de David Cameron se font fort, aujourd’hui, de donner des lecons de justice sociale à Tony Blair, en appuyant par exemple le nouvel objectif du Labour pour l’élimination de la pauvreté infantile pour 2020.

Dans un texte du 11 avril 2006 [2], Oliver Letwin, président des politiques du parti, explique comment, là où les dépenses centralisées des travaillistes ont failli à améliorer le sort des “victimes de la faillite de l’Etat”, les conservateurs s’engagent maintenant à réduire l’écart avec les plus pauvres de la société par le support décentralisé de l’État aux “héros de l’entrepreneuriat social”.

Pour le Parti conservateur et son nouveau conservatisme compatissant (sic), c’est maintenant “l’effet de ses politiques sur les plus désavantagés qui sera le test de survie”. Cette tentative de repositionnement politique des conservateurs s’accompagne d’un souci d’élargir son audience et de modifier l’image un peu trop blanc-de-bonne-famille de l’organisation, notamment en présentant davantage de candidats et de candidates issus de communautés culturelles. (Ce repositionnement est d’ailleurs assez fortement contesté par l’aile droite du parti, et ce malgré la démonstration lors de son élection du fort appui dont jouit Cameron.)

Mais, ici comme ailleurs, les choses ne sont pas si simples. Encore la semaine dernière, Cameron s’est vu forcé de rappeler à l’ordre une de ses candidates aux élections locales dans la région de Manchester qui affirmait, dans la presse locale, qu’une “candidature de couleur ne pourrait pas faire l’affaire dans sa circonscription ” [3]. La candidate s’est rétractée, mais aucune mesure disciplinaire n’a été prise contre elle.

Ce louvoiement des conservateurs, dans une modernisation qui suscite plus d’incrédulité que d’enthousiasme, correspond à l’image projetée d’un parti dont personne ne sait plus trop à quelle enseigne il loge. Derrière ce tournant annoncé se trouve bien sûr le simple espoir des conservateurs d’effacer le mauvais souvenir laissé dans l’électorat par la dure répression sociale et économique des années Thatcher et de renouer enfin, après dix ans de règne travailliste, avec la pratique du pouvoir.

Mais quoi qu’il en soit des teintes qui seront adoptées par les conservateurs de Cameron dans l’avenir, il demeure que c’est avant tout la persistance du courant de droite imposé par Tony Blair au New Labour au cours des deux derniers mandats qui permet aujourd’hui aux conservateurs de jouer à fond sur une rhétorique populiste et de prétendre sans rire occuper le centre déserté (à droite !) par les travaillistes.

BNP : le fascisme rampant

Comme souvent, malheureusement, la peur, la colère et l’insatisfaction présentes dans une population font les choux gras d’organisations d’extrême-droite qui excellent à pointer l’autre du doigt pour lui imputer tous les maux de la terre. Les politiques antisociales du Labour (manque de logements sociaux, dégradation des services sociaux), la mauvaise situation de l’emploi, la concentration de l’immigration dans certains quartiers et villes du pays ainsi que le traumatisme de la guerre en Irak et des attentats de Londres sont un terreau fertile pour le BNP qui tente aujourd’hui de se professionnaliser, à l’image de son homologue francais du Front national.

Avec 24 conseillers locaux élus à travers le pays (mais aucun député national), le BNP est aujourd’hui en mesure de présenter un record de 356 candidats et candidates aux élections locales de mai sur un programme de ségrégation dans les écoles et d’emploi des réfugiés et réfugiées à l’entretien des rues. Le BNP dénie l’accusation de racisme, mais un reportage incognito de la BBC a démontré l’existence de liens entre le BNP et des organisations racistes du type skin-heads. Selon un porte-parole du magazine anti-fasciste anglais Searchlight, “l’est de Londres est la nouvelle ligne de front dans la bataille contre le BNP ” [4]. Heureusement, l’est de Londres est aussi le lieu d’un solide enracinement de la coalition de gauche Respect, qui y présente une cinquantaine de candidates et candidats locaux.

Respect : une volonté de construction à gauche

Selon Georges Galloway, leader de Respect, ces élections qui sont à la fois “une affaire d’enjeux locaux [et] une réponse aux comportements des partis au niveau national et international ” [5] seront “le dernier clou dans le cercueil de Tony Blair.” Présentant plus de 150 candidats et candidates dans une dizaine de villes du pays, Respect mène une bataille particulièrement féroce contre le Labour dans la localité défavorisée de Tower Hamlet (est de Londres), et y présente notamment un large nombre de jeunes candidates bengali sur un programme de défense du logement social.

À travers une opposition nationale à la guerre en Irak et des campagnes locales menées en plusieurs points du pays, Respect s’est construit une base militante enracinée dans les communautés locales, dans le milieu syndical, dans la communauté musulmane et les coalitions citoyennes comme Stop the War. La coalition a aussi fait élire plusieurs conseillères et conseillers municipaux, principalement dans les quartiers défavorisés de l’est de Londres.

Respect continue aussi à s’enrichir de la venue de plusieurs anciens et anciennes élues ou militantes et militants travaillistes dégoûtés des agissements de leur ex-parti. Bien qu’elle ne puisse encore prétendre rassembler l’ensemble de la gauche anglaise, Respect réussit néanmoins à apparaître, depuis sa fondation en janvier 2004, comme l’alternative la plus crédible et la plus prometteuse à la gauche du Labour. (Un meeting tenu le 19 mars dernier à Londres et organisé par le Parti socialiste (SP, Socialist Party) a regroupé diverses organisations et groupuscules de la gauche radicale ne participant pas à Respect autour du lancement d’une “campagne pour la fondation d’un nouveau parti des travailleurs”.)

Il est vrai que les coûts politiques des récentes frasques de Galloway - député national (Bethnal Green, East London) et vedette médiatique de Respect - sur les ondes du « reality show » Big Brother n’ont pas encore été mesurés à l’aune électorale. Mais pour autant que la réalité de Respect tienne à plus qu’un effet de mode et s’étende au-delà de l’audience d’une figure de proue, les discussions internes au parti qui auront suivi les ratés démocratiques internes ayant conduit à cette situation cauchemardesque devraient réussir à compenser le traumatisme de cette expérience. Et l’humiliation qu’aura eu à subir Galloway en restera peut-être le plus grave dommage.

Quoi qu’il en soit, avec le déplacement vers la droite des libéraux-démocrates (troisième principal parti anglais, pro-guerre), dont le précédent leader Charles Kennedy a quitté le poste en janvier dernier après des aveux d’alcoolisme, il n’y a plus que Respect pour offrir des propositions de gauche à la population britannique lors de ces élections locales.


[1Daily Mail, 18 avril 2006. L’ex-ministre Dobson mènerait actuellement une campagne interne réunissant près d’une cinquantaine de travaillistes rebelles afin d’imposer une intervention ciblée du Labour dans les localités les plus concernées, alors que la ligne actuelle du parti est d’essayer de noyer le poisson. Un sondage récent montre un appui national de 25% pour le BNP. Selon le ministre de l’Intérieur Andy Burnham, “Il n’y a aucune chance que le BNP aille chercher 25% des votes”.

[2Guardian

[3Guardian, 11 avril 2006

[4Morning Star, 18 avril 2006

[5Site web de Respect, www.respectcoalition.org

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