C’est à Pyeongchang, en Corée du Sud, près du Mont Gariwang – un site dont l’écosystème va disparaître suite à la décision d’y construire de nouvelles pistes de ski pour les Jeux Olympiques d’hiver de 2018 – que s’est ouverte lundi 5 octobre la 12ème Conférence des Parties (COP 12) de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Née il y a 22 ans à Rio de Janeiro, tout comme la Convention sur le changement climatique, elle n’a pas su enrayer la perte de biodiversité. Ségolène Royal, en charge de ces questions au gouvernement, n’a pas prévu de s’y rendre (http://www.developpement-durable.gouv.fr/spip.php?page=agendas&ministre=688).
Au contraire, un rapport publié quelques jours avant le début de la conférence montre que la biodiversité animale a été divisée par deux entre 1970 et 2010. Le plan stratégique 2011-2020 pour la diversité biologique et les vingt objectifs d’Aichi (http://www.cbd.int/doc/strategic-plan/2011-2020/Aichi-Targets-FR.pdf) pour 2020 fixés lors de la conférence de Nagoya en octobre 2010 sont loin de porter leurs fruits. A mi-chemin de la mise en œuvre de ce plan stratégique, un rapport d’étape (http://www.cbd.int/gbo4/) révèle déjà que dix-neuf objectifs sur vingt ne pourront être atteints, comme celui visant à diviser par deux la perte d’habitats naturels.
L’objectif n°3 consistant à « éliminer, réduire progressivement ou réformer d’ici à 2020 au plus tard, les incitations, y compris les subventions, néfastes pour la diversité biologique » est un élément clef de toute politique de conservation et de financement de la biodiversité. Comment en effet mobiliser des ressources pour la conservation de la biodiversité si les Etats continuent de dépenser quatre ou cinq fois plus dans des secteurs qui la détruisent ? Cet objectif ne devrait pas être atteint non plus. Notamment au sein de l’Union européenne, où aucun Etat-membre n’a encore interdit les subventions qui sont préjudiciables à la biodiversité, la plupart d’entre eux étant encore en train de les identifier selon une étude (https://www.foeeurope.org/sites/default/files/progress-towards-aichi-targets-oct2014.pdf) des Amis de la Terre Europe.
Quatre ans après la définition des objectifs d’Aichi, il n’y a donc toujours pas de stratégie pour en financer la réalisation et les mettre en œuvre. Selon les Amis de la Terre Europe, aucun pays européen ne finance suffisamment les aires protégées et la biodiversité, tous restant en deçà de 0,1% des budgets des Etats, hormis la Norvège et la Suisse. Plus le temps passe, plus il est urgent d’agir et plus les mécanismes financiers innovants et les financements privés sont mis en avant comme des pistes alternatives à l’absence de financements publics.
L’Union européenne, qui envisage de revoir l’ensemble de ses directives portant sur la biodiversité, promeut ainsi les mécanismes de compensation biodiversité à travers une initiative intitulée « Pas de perte nette » (« No net loss »). Les promoteurs de ces dispositifs considèrent que les dommages à la biodiversité sont inévitables dans certaines activités humaines. Pour mener à bien leurs projets, les aménageurs et industriels sont alors autorisés à financer, sur une période limitée dans le temps, des projets de restauration jugés plus ou moins équivalents à la destruction ou la détérioration de biodiversité occasionnée. Objectif : ne pas avoir in fine de « perte nette », voire même avoir un « gain net » de biodiversité.
La Commission européenne a lancé une consultation publique (http://ec.europa.eu/yourvoice/ipm/forms/dispatch?form=NoNetLoss&lang=en) à ce sujet et souhaiterait généraliser l’adoption et le développement des mécanismes de compensation au sein des différents Etats-membres. Dans une lettre ouverte (http://naturenotforsale.org/letter2eu/) à la Commission, qu’il est toujours possible de signer, de nombreuses organisations de la société civile s’inquiètent de la mise en œuvre d’un « permis de détruire » à travers des dispositifs qui « augmentent la pression sur la biodiversité en blanchissant des infrastructures et aménagements controversés » : jugée comme compensée, la perte de biodiversité n’est plus un frein à la réalisation des projets.
Au sein de la CBD, la compensation est un des mécanismes financiers innovants mis en avant (avec les paiements pour services écosystémiques par exemple) dans le cadre de la mobilisation de ressources financières. Pourtant, les fonds mobilisés par la compensation biodiversité sont destinés à des sites où la biodiversité a été détruite, et non à des projets de conservation de biodiversité en tant que tels. Sous couvert de restaurer la biodiversité, aménageurs et industriels peuvent être incités à poursuivre leurs activités, tout en les compensant. Ce qui fait dire à certaines gouvernements et acteurs de la société civile que ces dispositifs ne seraient pas cohérents avec l’objectif Aichi n°3 consistant à supprimer ou réduire toutes les incitations à la destruction de biodiversité (voir cette note sur les financements de la société civile).
A ce jour, un cinquième des pays membres de la CBD disposent de mécanismes de compensation biodiversité (http://www.cbd.int/financial/offsets/), pour un total de 45 programmes en cours et un montant de 2,4 à 4 milliards de dollars. De quoi avoir des premiers retours sur les projets mis en œuvre, notamment provenant des Etats-Unis, d’Australie et du Royaume-Uni. Bien souvent, la possibilité de faire appel à la compensation biodiversité justifie des projets qui, si ce n’était pas le cas, n’auraient pas été autorisés. En ce sens, la compensation biodiversité institue bien un droit à détruire, contribuant à contourner les réglementations et à laisser penser que le business as usual pourrait se poursuivre.
Pour des entreprises minières, des compagnies pétrolières et des aménageurs – comme Rio Tinto Eramet Lafarge Bouygues Eiffage Shell Total par exemple – la compensation biodiversité offre une possibilité de se prémunir et de répondre aux critiques portant sur les conséquences écologiques de leurs activités. Et d’éviter que les législateurs accroissent les régulations contraignantes qui les encadrent. De son côté, le secteur bancaire et financier pourrait être intéressé par la compensation, sous réserve d’une certaine uniformisation et standardisation des dispositifs, comme une nouvelle possibilité d’investissements sur une nouvelle classe d’actifs, des actifs biodiversité, créés de toute pièce.
Travaillant souvent avec des cabinets d’étude spécialisés, des ONG de conservation voient dans ces projets de compensation une source de financements à ne pas négliger en période de raréfaction des ressources disponibles pour financer des projets de conservation et de restauration. Au risque de faire dépendre leurs financements et leur survie de la construction de nouveaux projets industriels et d’aménagement rendus possible par la compensation biodiversité. Au point qu’il arrive, comme au Royaume-Uni, que des sites de compensation réalisés il y a quelques temps deviennent des sites à compenser, étant eux-mêmes l’objet de nouveaux projets d’aménagement (sic).
Parmi les promoteurs des mécanismes de compensation biodiversité, se trouve la Caisse des dépôts et consignations. A travers une filiale privée, la CDC Biodiversité, l’établissement public français s’est lancé dans la réhabilitation de plusieurs hectares dégradés par l’installation de vergers industriels dans la plaine de Crau, une steppe unique en Europe, entre le Massif des Alpilles et la Camargue. Pour ce faire, une banque d’actifs biodiversité a été créée qui permet à des aménageurs de poursuivre leurs projets contre l’achat de ces actifs biodiversité. Fortement critiqué, ce projet est même érigé en exemple à ne pas suivre (http://www.nacicca.org/spip.php?article222) par des spécialistes du dossier.
Ce qui n’empêche pas la CDC Biodiversité de faire la promotion de ces banques d’un nouveau genre, en France mais aussi à travers la planète, puisqu’elle anime un side event de la conférence de la CBD qui se déroule en Corée pour promouvoir son expérience et son expertise en la matière. Avec un certain succès auprès du gouvernement français puisque la loi Biodiversité1 en cours de lecture au Parlement, prévoit d’instituer des « obligations de compensation écologique » qui pourraient être satisfaites par le recours à un « opérateur de compensation », et/ou contribuer au financement d’une « réserve d’actifs naturels ».
Alors, partant pour confier l’avenir (http://www.bastamag.net/Biodiversite-Madame-Batho-il-faut) et la préservation des écosystèmes aux banques, au secteur financier et aux industriels et aménageurs qui sont à l’origine de sa destruction ?
Maxime Combes, membre d’Attac France et de l’Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
Pour aller plus loin, quelques publications sur la financiarisation de la nature
par Jutta Kill, pour la Fondation Rosa Luxembourg - Economic Valuation of Nature. The Price to Pay for Conservation ? A critical exploration : http://rosalux-europa.info/publications/books/economic-valuation-of-nature/
par Thomas Fatheuer pour La Fondation Heinrich boll - New Economy of Nature - a critical introduction : http://www.boell.de/sites/default/files/new-economy-of-nature_kommentierbar.pdf
par Barbara Unmüßig pour La Fondation Heinrich boll - On the Value of Nature : http://www.boell.de/sites/default/files/on_value_of_nature.pdf
par le réseau World Rainforest Movement : Le commerce des services écosystémiques : quand le ‘paiement pour services environnementaux’ équivaut à l’autorisation de détruire : http://wrm.org.uy/fr/livres-et-rapports/le-commerce-des-services-ecosystemiques-quand-le-paiement-pour-services-environnementaux-equivaut-a-lautorisation-de-detruire/
Note
1-Présentée en Conseil des ministres le 26 mars, la loi a été discutée en commission du développement durable fin juin http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/biodiversite.asp