Dans la ligne de mire : les 11 milliards d’euros d’économies, décidées par l’exécutif belge pour la seule année 2012. A titre de comparaison, le deuxième plan de rigueur de François Fillon, annoncé en novembre, prévoit « seulement » sept milliards de coupes cette année. Au-delà de la méthode (trop peu de concertation sociale, jugent-ils), les syndicalistes belges critiquent surtout les « injustices » du plan de rigueur.
« Nous avons toujours dit qu’il fallait un plan d’assainissement budgétaire, mais cela doit se faire de façon équilibrée, en protégeant les épaules des plus faibles », explique Claude Rolin, secrétaire général de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), première centrale du royaume, dans La Libre Belgique.
Di Rupo, l’un des très rares socialistes aux affaires en Europe, serait-il déjà voué à un devenir « à la Zapatero », à trop vouloir jouer les bons élèves de l’orthodoxie budgétaire ? Après 541 jours de crise politique ouverte, le nouveau gouvernement est-il déjà piégé, sous les pressions cumulées des marchés financiers, de la Commission européenne ou du Fonds monétaire international (FMI) ?
Les marges de manœuvre de Di Rupo, en tout cas, sont minces, alors que la Belgique, dont la dette frôle les 100 % du PIB, a vu sa note financière à nouveau dégradée d’un cran, vendredi 27 janvier, par l’agence Fitch. Menacé de sanctions financières par la Commission européenne en tout début d’année, l’exécutif a dû, à la va-vite, trouver 1,3 milliard d’euros d’économies supplémentaires sur le budget 2012.
Cette docilité a choqué, y compris au sein du gouvernement : « Absurde », a jugé Paul Magnette, ministre socialiste, l’un des représentants de l’aile gauche du gouvernement.
« Nous devons tenir tête à la Commission européenne, comme les grands Etats le font, sinon nous allons glisser vers une Europe ultralibérale », a poursuivi l’ancien ponte de l’Université libre de Bruxelles, qui a mis en garde contre le spectre d’une « récession de 15 ans ». Autre ministre socialiste à être montée au créneau, Laurette Onkelinx : « Je m’inquiète du corset budgétaire à tous crins. Pour moi, serrer la vis, ce n’est pas un projet de société. »
La Confédération européenne des syndicats se réveille
Au fond, ces ministres ne disent pas autre chose que... Christine Lagarde, la patronne du Fonds monétaire international (FMI), qui s’inquiète elle aussi de la récession qui menace en Europe. Le 23 janvier à Berlin, l’ancienne ministre française de l’économie, jadis avocate de la « ri-lance » (la rigueur et la relance), a estimé que, si rien n’est fait, « nous risquerions de sombrer de nouveau dans un épisode digne des années 30 ».
Les syndicats belges n’ont pas fixé leur journée d’action au hasard : leur appel à la grève générale tombe le même jour qu’un énième Conseil européen à Bruxelles, au terme duquel les chefs d’Etat concluront un « traité inter-gouvernemental ». Ce texte, qui pourrait être adopté par l’ensemble des membres de l’Union, à l’exception de la Grande-Bretagne, va muscler la discipline budgétaire, et prévoir de nouvelles sanctions contre les mauvais élèves en Europe.
Dénoncé par bon nombre de parlementaires européens, ce futur traité, qui pourrait entrer en vigueur au 1er janvier 2013, a également fait l’objet d’une attaque en règle des syndicats européens. Quasiment inaudible depuis le début de la crise, dépassée par les mouvements « indignés » aux quatre coins de l’Europe, la Confédération européenne des syndicats (CES) tente de reprendre des couleurs. Une journée d’action est prévue le 29 février prochain, dans l’ensemble des pays de l’Union.
« Le nouveau traité cadenasse l’austérité en Europe, il retire aux citoyens le droit de voter pour d’autres politiques », a mis en garde Brendan Barner, secrétaire général de TUC, la principale centrale britannique, lors d’une conférence à Bruxelles. « Le traité ne nous offre pas de solution pour sortir du tunnel. C’est un frein qui va étouffer la croissance. C’est un frein pour l’Europe sociale », a renchéri, de son côté, Bernadette Ségol, de la CES.
Quant à Bernard Thibault, le patron de la CGT, il met en garde : « Toute augmentation de salaires, toute amélioration des conditions de travail, seront demain soumises à des instruments de contrôle européens. » Et de poursuivre : « On ne peut pas continuer à élaborer des traités selon des procédures aussi peu démocratiques. Si l’on continue comme ça, l’UE va être en très mauvaise santé, dans sa conception même... »
Même son de cloche au sein de la Confédération allemande des syndicats (DGB) : « N’importe quel partisan d’une Europe plus démocratique se doit de s’opposer à l’ensemble du traité », juge Annelie Buntenbach, une dirigeante de cette centrale proche du SPD.
Des mesures pour la croissance ?
Les chefs d’Etat font mine d’avoir entendu une partie des reproches. A la demande de Herman Van Rompuy, le président du Conseil, une large séquence du sommet de lundi sera consacrée à la relance, à la croissance, et à la lutte contre le chômage des jeunes sur le continent. Ceux-là mêmes qui, depuis bientôt deux ans, de sommet en sommet, n’ont eu que le mot « austérité » à la bouche, vont tenter d’arrondir les angles.
Plus de 23 millions de personnes se trouvaient sans emploi dans l’Union fin 2011 (soit un taux de chômage à 10 %), dont 16 millions environ au sein de la seule zone euro, selon Eurostat. Un volume en forte augmentation depuis le début de la crise, marqué, surtout, par une hausse du nombre de chômeurs de longue durée. Ils étaient, en 2010, 40 % à ne plus travailler depuis plus de 12 mois. Un an plus tard, ils sont 43 %.
Sans surprise, les jeunes sont la catégorie la plus touchée. Plus de 22 % d’entre eux sont au chômage dans l’Union (+7 % par rapport à 2008), avec des pics impressionnants en Grèce (46,6 %) et en Espagne (49,6 %). Au-delà de grands discours et de bonnes intentions, il ne faut pas s’attendre, lundi soir, à des annonces spectaculaires, du côté de Bruxelles.
Comme l’a proposé Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol, jeudi lors d’un déplacement à Berlin, l’argent encore disponible, dans les fonds structurels, et autres fonds de cohésion de l’Union, pourrait être ré-investi dans des politiques pour l’emploi. La présidence danoise de l’Union pourrait, de son côté, insister sur les vertus de la croissance verte.
Au fond, les Européens auront du mal à parler d’une voix sur le sujet, tant leurs approches divergent. Ils ne devraient pas se prononcer sur un sujet décisif, mais houleux, qui touche à l’harmonisation de la fiscalité des entreprises.
Lors de son débat avec François Hollande, jeudi sur France-2, Alain Juppé a fait valoir au candidat socialiste que le futur traité européen allait prendre en compte, également, les questions de croissance. C’est donc inexact, puisque ces discussions auront bien lieu, mais en marge de la signature du futur traité, et ne devraient déboucher sur rien de formel. Mais elles marqueront peut-être le début d’une prise de conscience, chez les dirigeants européens, des dégâts de l’austérité pur jus.